Marxisme et féminisme, une dissonance épistémologique

On le sait, marxisme et féminisme se sont souvent affrontés dans le milieu militant. La prétention marxienne de considérer que l’histoire « se résume à l’histoire de lutte de classes » a semblé contradictoire avec les matériaux nouveaux qu’apportait la recherche féministe ainsi qu’avec les exigences portées par le mouvement. Ici, Abigail Bakan délimite certaines raisons à ce conflit : il s’agit en premier lieu de la résistance d’un marxisme arc-bouté sur une notion éthérée des classes, sur une lecture unilinéaire de l’histoire, ainsi que sur des routines militantes virilistes et anti-intellectualistes. Au-delà des grandes questions théoriques qui font débat, les analyses marxistes devront rompre avec les obstacles épistémologiques qui ont empêché l’émergence d’un marxisme authentiquement féministe.

Print Friendly

Introduction : identifier et nommer le problème.

Le rapport analytique entre le marxisme et le féminisme – ce dernier étant parfois désigné dans ses premières occurrences sous le terme de « la question des femmes » – a suscité une grande diversité de pratiques sociales et de recherches critiques au sein de la gauche dès l’époque des contributions fondatrices de Marx et Engels. La Femme et le socialisme d’Auguste Bebel (1891 [1883]) et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État d’Engels (2012 [1884]) continuent à être considérés comme des classiques au sein du marxisme. Cette discussion s’est avérée d’une considérable longévité, et ce pour une bonne raison. Les féministes révolutionnaires (socialists) ont profondément nourri le marxisme contemporain, en développant des concepts clefs et certaines questions essentielles. On peut notamment évoquer la notion de « reproduction sociale » (Benston, 1969; Hensman, 2011), le rapport entre les sphères publiques et privées (Young, 1990), la nature de la classe ouvrière (Armstrong et Armstrong, 2010 [1993]) ou encore le rôle du genre et de la sexualité dans la formation de l’hégémonie et des appareils idéologiques d’État.

LA SUITE SUR PERIODE