La lutte antinucléaire en France et ses limites

 

En France, une critique radicale de l’industrie nucléaire alimente de nouvelles luttes contre le monde marchand.
 

L’activisme écologique ne se limite pas à Notre-Dame des Landes, et encore moins aux pitreries d’Europe Écologie. La lutte antinucléaire permet d’attaquer le capitalisme, l’État et la civilisation industrielle. La catastrophe nucléaire, avec l’épisode récent de Fukushima, révèle le désastre de la civilisation marchande et son processus d’autodestruction.

Le brochure Antinucléaire Mix-Texte regroupe des analyses et des réflexions critiques sur la lutte contre le nucléaire et son monde. Les tracts et les textes recueillis sont issus directement du mouvement antinucléaire et s’inscrivent dans une démarche d’automédia. Les luttes n’ont pas besoin des partis, des intellectuels, des journalistes ou d’une quelconque avant-garde pour produire leurs propres réflexions.

Cette brochure assume le ton de la subjectivité. Les luttes dans la région de la Normandie sont privilégiées. Surtout, entre octobre 2011 et septembre 2012, cette région connaît une activité politique importante. Un camp antinucléaire est organisé à Valognes et la lutte anti-THT se développe au Chefresne. Les textes recueillis s’inscrivent dans un mouvement qui se construit en dehors du cadre corseté défini par les partis et les associations écologistes. Ensuite, loin du triomphalisme militant, les limites de la lutte antinucléaire semblent également évoquées.

 

 

La lutte antinucléaire de Fukushima à la Normandie

Malgré le désastre de Fukushima, la lutte antinucléaire semble déliquescente. La ligne Très Haute Tension (THT) Cotentin Maine relie des réacteurs nucléaires. Cette THT produit un champ électromagnétique particulièrement nocif pour la santé. Mais la contestation contre ce projet s’affaiblit. L’opposition s’est essentiellement portée sur le terrain juridique, avec toutes les illusions sur l’État démocratique et la légalité que cette démarche colporte. Ensuite, les politiciens de l’écologie (Greenpeace ou Europe Écologie) délaissent la lutte contre le nucléaire pour privilégier le réchauffement climatique, plus rentable électoralement. La résignation et l’échec de nombreuses luttes expliquent également l’effondrement de l’opposition au nucléaire. Ce mouvement est vécu par la population en spectateur. « Le combat contre le nucléaire, l’EPR et les THT, ne se gagnera pas avec un bulletin de vote, mais seulement avec un mouvement capable de faire plier l’État », précise la brochure.

 

Un texte sur les lignes THT, diffusé en juillet 2011, inscrit cette lutte dans le cadre d’une opposition globale à l’énergie nucléaire. Les réacteurs implantés en France «sont des bombes à retardement qui menacent à tout moment d’exterminer la population vivant à proximité et ailleurs et risquent de contaminer durablement l’ensemble de la planète », informe le texte. La diffusion de la radioactivité touche une grande partie de la population. 40 % de la population en Europe a subit les conséquences de Tchernobyl. Après Fukushima, des colis radioactifs circulent tranquillement à travers la planète. Les lignes THT ont également des conséquences avec des effets indésirables et de nombreux troubles qui vont des maux de têtes à l’état dépressif en passant par l’apathie, le manque de sommeil ou l’agressivité.

 

L’État soutien l’industrie nucléaire. Il finance les paysans pour qu’ils acceptent des projets mortifères. Surtout, la police n’hésite pas à réprimer la moindre contestation. Le nucléaire et son monde incarnent une civilisation industrielle, avec ses TGV et ses décors high-tech, mais aussi ses guerres et ses pillages pour extraire l’uranium. Le nucléaire incarne un monde mortifère d’oppression et de désastre permanent.

Seule la lutte à travers l’action directe peut permettre d’en finir avec la catastrophe marchande. Les élections ne changent rien. Le pouvoir change de main mais les projets restent inchangés. Les écologistes participent tout aussi activement à la destruction de la planète que les autres politiciens. Mais ils véhiculent davantage d’illusions. « Nous n’avons d’autre choix que de lutter par nous-mêmes et pour nous-mêmes », tranche le texte. Des pique-niques, des manifestations, des actions de sabotages et même la pose d’un faux bidon radioactif deviennent des moyens de lutte.

 

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Camp de Valognes et assemblée du Chefresnes

En novembre 2011, un Appel au camp de Valognes est diffusé. Le train Castor transporte des déchets nucléaires tranquillement enfouis sans soucis des conséquences. Le parcours du train devient un symbole pour lancer une vague d’actions. Manifestations et blocages doivent perturber le bon fonctionnement de l’horreur nucléaire. En France, tout un lobby industriel défend cette technologie mortifère, mais jugée prestigieuse et rentable.

Informer ne suffit plus. Malgré la catastrophe de Fukushima, la résignation perdure. Si le nucléaire doit être arrêté en Allemagne, c’est en raison de la puissance d’un mouvement qui a construit un rapport de force avec l’État. La lutte doit également s’appuyer sur un ancrage local pour bénéficier du soutien de la population.

Le réformisme demeure une impasse. Le nucléaire même mieux géré et sécurisé demeure toujours très nocif. Ensuite, les énergies alternatives ne sont pas la solution. Ses nouvelles sources de profit ne permettent pas de satisfaire les besoins de la population. L’énergie doit être produite et contrôlée par la population locale.

Le mouvement antinucléaire français semble tiraillé entre de multiples tendances. Les luttes parviennent à construire un rapport de force lorsque la diversité des stratégies est assumée. Les différentes démarches et les divers types d’action participent aux succès de ses mouvements.

L’auto-organisation de la lutte demeure indispensable. Les bureaucraties écologistes et électoralistes se contentent d’un lobbying inoffensif. Au contraire, le mouvement antinucléaire doit permettre à chacun de se réapproprier la lutte pour réfléchir et agir collectivement. Le camp antinucléaire à Valognes doit permettre de reprendre en main la conduite de nos révoltes et de nos vies.

 

Un texte pertinent brise cet enchantement militant de l’Appel au camp Valognes. L’arrêt du nucléaire, en Allemagne et ailleurs, s’apparente à un effet d’annonce et à une promesse politicienne qui vise à démobiliser la contestation. Les États ne sont pas des entités neutres car leurs intérêts convergent avec ceux de l’industrie nucléaire.

Ensuite, l’idéologie triomphaliste du militantisme doit être désamorcée. La catastrophe de Fukushima et toutes les informations sur le nucléaire ne suscitent aucune prise de conscience. En France, les partisans du nucléaire sont particulièrement nombreux et c’est un secteur économique majeur. Un camp Valognes ne suffit pas. Seules des luttes enracinées localement, qui construisent un véritable rapport de force sur la durée, peuvent tenter d’inverser la tendance. L’opposition au nucléaire semble réduite à des écologistes arrivistes et au Réseau Sortir du nucléaire qui s’apparente à une bureaucratie en décomposition.

L’appel du camp Valognes s’apparente à un cri militant aussi volontariste qu’inaudible. En dehors du petit milieu militant libertaire, personne n’est au courant de cet appel. Surtout, cette initiative s’apparente à un appel au suivisme. Les organisateurs planifient l’événement et les individus doivent se mouler dans le cadre déjà décidé. En revanche, malgré ses limites, cette tentative de blocage peut permettre de rompre avec la résignation ambiante et le lobbying ridicule.

 

Le camp Valognes apparaît comme un succès militant et les organisateurs semblent contents d’eux. Mais, dans les assemblées, l’activisme prime sur la réflexion collective. Comme souvent dans ce type de cadre, les discussions portent sur l’organisation pratique et immédiate plutôt que sur les perspectives de lutte à long terme.

 

L’assemblée du Chefresne diffuse un texte rédigé le 4 mars pour présenter son combat. Dans le sillage du camp Valognes, le mouvement se poursuit localement. La lutte contre la ligne THT Cotentin-Maine sort des vielles routines militantes, avec ses bureaucraties hiérarchisées et ses pleurnicheries réformistes. « Cette assemblée, composée autant d’habitants proches du projet que d’individus en lutte contre toutes les politiques de gestion de nos vies par l’aménagement des territoires, assume entièrement l’héritage de l’action de Valognes, autant sur les pratiques de lutte, les formes d’organisation que sur le sens politique de ses luttes», présente le texte. Cette lutte s’oppose à l’industrie nucléaire, mais aussi au règne de l’économie et du productivisme. Les différents projets d’aménagements du territoire, comme l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou la ligne de TGV Lyon-Turin, participent à la même logique d’une dépossession de la population face à la gestion bureaucratique. Le mouvement se construit en dehors des appareils politiques et syndicaux. L’assemblée, avec des pratiques horizontales, doit permettre à la population de se réapproprier la lutte.

Rassemblements, occupations et déboulonnements de pylône rythment ce mouvement.

 

En juin 2012, le Collectif Radicalement AntiNucléaire (CRAN) publie un texte qui propose un bilan critique de la lutte anti-THT. Le retour de la gauche au pouvoir ravive les illusions citoyennistes. Des membres du collectif Stop THT demandent même un moratoire et ont rencontré des élus. Pourtant, les intérêts de l’industrie nucléaire convergent avec ceux de l’État. Mitterrand et le Parti Socialiste ont permis la promotion du programme nucléaire en France. « Avec l’industrie nucléaire et ses THT c’est un monde qui travaille à la domination capitaliste de l’homme sur lui-même et la nature, à la domestication étatique de l’ensemble du vivant », analyse le CRAN.

L’idéologie autonome de l’activisme révèle également ses limites. Les actions directes et le sabotage révèlent leur faible portée. Surtout, l’État laisse faire pour peaufiner ses fichiers policiers et ces actions exposent à la répression ceux qui y participent. Le mouvement des faucheurs anti-OGM a reflué en raison des lourdes amendes que l’État a imposées à ses activistes. Mais le repli sur des actions isolées n’aurait aucun impact sur la population et sur la construction de la lutte. «Comment continuer à porter des actions qui nous permettent de nous croiser, de discuter, d’élaborer mais qui nous évite également de nous exposer trop facilement à l’arsenal répressif ? », interroge le CRAN. La lutte doit surtout permettre de construire de nouvelles relations humaines, sans représentants ni hiérarchies, et de propager le désir de révolte.

 

 

 

Les limites de la spécialisation antinucléaire

 

Le CRAN critique le texte de l’Assemblée du Chefresne. Des illusions citoyennistes perdurent. L’Assemblée du Chefresne se contente de dénoncer les excès du capitalisme et s’indigne du « mépris » de l’État. Pour le CRAN, le désastre productiviste demeure une conséquence inévitable du capitalisme qui ne peut être ni aménagé, ni régulé. Ses dérives supposées demeurent inévitablement liées à l’organisation de la société. Ensuite, l’État ne pourra jamais entendre la contestation et lui céder. Seul un rapport de force durable peut faire plier l’État, et non d’éventuelles négociations qui ne peuvent qu’échouer.

Ensuite, le CRAN dénonce la rhétorique de la « résistance ». Ce terme demeure surtout défensif et présuppose un échec. La résistance ne suffit plus pour s’opposer au nucléaire. « Seul pourrait en effet y parvenir un mouvement qui saurait reconnaître, dans la ligne THT Cotentin-Maine, une modalité parmi d’autre d’un processus général d’asservissement par l’aménagisme, l’électrification totale de la vie et l’anéantissement du monde sensible », souligne le CRAN. La lutte doit donc également dépasser le cadre local pour construire un mouvement plus vaste et coordonner les révoltes.

 

André Dréan revient sur un phénomène étrange. L’assemblée du Chefresne, qui prétend s’opposer à l’État et aux institutions, semble soutenue par la mairie qui lui prête ses lieux de réunion. Les opposants aux nucléaires semblent donc conserver certaines illusions sur l’État et les pouvoirs locaux, ce qui limite les perspectives de lutte et crée des divisions.

Certes le « week-end de résistance » a subit une forte répression policière, avec de nombreux blessés. Pourtant, le campement semble autorisé par la mairie. Cette occupation ne s’inscrit donc pas dans la démarche d’une action qui brise la légalité et l’autorité des institutions. Même les insurrectionnalistes, et autre partisans de l’affrontement direct avec la police, attendent que les forces de l’ordre respectent le cadre de la légalité et s’indignent naïvement des tirs tendus à hauteur du visage.

L’expérience historique de la lutte à Malville montre que les illusions sur la nature de l’État a précipité l’effondrement de la contestation. Quelques moratoires ont suffit pour calmer les municipalités et les oppositions citoyennes.

 

Le témoignage d’une jeune femme, blessée au court du « week-end de résistance », revient sur ce carnage. Loin des fanfaronnades insurrectionnalistes, elle évoque sa peur de la police et décrit son expérience sensible. Elle replace sa lutte contre le nucléaire dans la révolte plus large contre l’aliénation dans un monde mortifère. «Nous, à force, dépossédés de presque tout ; de notre histoire, de son sens, du langage, de l’information, de nos corps, de nos désirs, de notre temps, de nos vies», décrit la jeune émeutière. Pour elle, il n’y a pas à s’indigner de la brutalité policière. Cette violence semble banale et quotidienne. Même en démocratie, la répression demeure féroce et aucune bienveillance n’est à attendre de la part de l’État.

 

Un texte évoque la lutte contre le nucléaire comme un aspect de la contestation du monde marchand. Ce texte évoque les assemblées et les relations tissées par le mouvement. Il évoque même le plaisir de la révolte. « La jouissance dans la lutte permet de renforcer cette dernière, et, d’après moi, porte en elle la puissance de son propre auto-dépassement vers un mouvement plus large que celui existant actuellement », souligne son auteur.

 

Ce mouvement antinucléaire demeure particulièrement isolé et minoritaire. Cette lutte permet d’ancrer la critique du monde marchand à partir de ses conséquences locales. La réflexion part de la réalité et de la vie quotidienne, plutôt que d’une idéologie abstraite. C’est effectivement la principale force de l’opposition au nucléaire. En revanche, cette lutte doit sortir de la spécialisation. Ce ne sont pas des appels, des camps et autres émeutes programmées qui permettront de détruire l’industrie nucléaire. Seul un mouvement d’ampleur, qui regroupe tous les exploités, peut permettre d’abattre cette technologie mortifère et le monde qui la produit.

La lutte écologiste devient aujourd’hui une espèce de spécialité, avec ses sous-spécialités comme le gaz de schiste, la ZAD de Notre-Dame des Landes, l’opposition au nucléaire ou aux OGM. Ce morcellement de la révolte semble rarement remis en cause. Ensuite, les luttes écologistes semblent déconnectées des luttes menées par les salariés, les chômeurs, les précaires. Des sociologues, comme le répugnant Alain Touraine, ont même théorisé les « nouveaux mouvements sociaux » qui ne remettent pas directement en cause l’exploitation capitaliste. Les activistes autonomes se complaisent dans ce cloisonnement. Seul un mouvement de tous les exploités peut détruire ce monde marchand, et toutes ses conséquences mortifères. Seule une lutte globale peut permettre de reprendre le contrôle de nos vies.

 

Source : Antinucléaire Mix-Texte, Volume 0, Textes choisis autour de la lutte antinucléaire dans le Nord-Ouest, d’octobre 2011 à septembre 2012, Automne 2012

 

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Pour aller plus loin :

Rubrique « Anti Nucléaire » sur le site du journal La Mouette Enragée

Film « THT : Remballe ton éleck ! » publié sur le site Regarde à vue

Rubrique « Luttes antinucléaires » sur le site Le Jura Libertaire

Rubrique « Sciences, technologies mortifères et industrie » sur le site Non Fides

Site du Collectif Radicalement Anti-Nucléaire (CRAN)

Site de l’assemblée anti-THT

Site de l’action à Valognes

Brochure sur Greenpeace et la dépossession des luttes écologistes, Texte paru en version courte dans Pas de Sushi l’Etat Geiger n°3, juin 2012

Organisation Communiste Libertaire, Brochure « Aperçu sur l’histoire du mouvement antinucléaire en France«