dossier de Cyril Vettorato
La pratique des freestyle battles chers aux passionnés de hip-hop est caractéristique du statut ambivalent des pratiques poétiques orales issues des cultures dites « urbaines ». Entre virtualité et actualisation, elles font apparaître avec éclat un ensemble de symboles et de valeurs extrêmement bien maîtrisés par leurs acteurs, maîtrise qui est sans commune mesure avec la fréquence à laquelle ces pratiques sont réellement exercées. Le battle, un tournoi opposant deux rappeurs qui se lancent au visage des couplets improvisés bardés d’insultes et de moqueries, est toujours relativement rare en France. Néanmoins, lors dubattle, chacun des acteurs semble connaître sa place et agir en fonction d’elle. L’apparition en 2010 de la première ligue de battle française, basée à Paris et dénommée Rap Contenders, en fournit un exemple frappant. Le premier tournoi organisé par cette ligue a eu lieu le 11 décembre 2010 dans le dix-neuvième arrondissement de la capitale et a réuni douze rappeurs français ; c’est ce tournoi qui retiendra particulièrement notre attention. L’événement, qui a été filmé dans son intégralité, est exceptionnel, à défaut d’être le premier du genre. Et pourtant, les règles du jeu sont parfaitement maîtrisées par tous, créant les conditions d’une mécanique ludique fonctionnelle, prête à se mettre en marche autant de fois que possible. Nous sommes ici au cœur de la génération virtuelle, qui s’est familiarisée avec le hip-hop et ses codes sur Internet et à la télévision. Elle a autant, sinon plus, fréquenté les tournois de battles dans le film à succès8 Mile – et sur les sites de partage de vidéos en ligne – que dans le vacarme des salles de concerts. Peu importe au final que le jeu soit pratiqué pour la première fois : les mots, les symboles, les postures et les valeurs qu’il engage le dépassent de loin, même si elles ont besoin de ces tumultueux moments d’actualisation pour exister.
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