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RĂ©guliers, bosseurs et particuliĂšrement motivĂ©s, les membres du crew coutoentrelesdents (CED) sĂ©vissent dans le rap underground et militant depuis plus de 10 ans ! En tant quâactivistes du DIY, leur productivitĂ© ne sâarrĂȘte pas Ă la musique et câest aussi ce qui nous a intĂ©ressĂ©.
On a rencontré le dénommé shaihulud : rappeur, beatmaker, clippeur, et bidouilleur de logiciel cracké en tout genre⊠| Par Polka B.
đŽââ ici et maintenant đ tout est commun đŽââ
Je me suis politisĂ© progressivement durant lâadolescence, vers les annĂ©es 2000, en dĂ©couvrant les diffĂ©rentes scĂšnes musicales issues des contre-cultures. Dâabord le reggae, puis le punk, sans avoir trop Ă chercher non plus, dans la mesure oĂč ces musiques et leurs identitĂ©s sociales Ă©taient vendues et diffusĂ©es par lâindustrie du divertissement dans des versions plus ou moins dĂ©politisĂ©es. Mais jâĂ©tais assez curieux pour dĂ©couvrir les idĂ©es et pratiques issues des luttes sociales qui imprĂ©gnaient ces mouvements musicaux.
Est-ce que tu liais tes idĂ©es et convictions Ă la musique que tu Ă©coutais, dĂ©jĂ Ă lâĂ©poque ?
Ăa sâest fait progressivement. Je pense que jâai tout de suite Ă©tĂ© sensible Ă des Ă©nergies et des discours qui cherchaient Ă dĂ©noncer les injustices et Ă transformer lâexistant ici et maintenant. Et puis la musique sâarrĂȘtait pas aux ondes sonores mais sâĂ©tendait dans les journaux, les clips, les fanzines, donc je la recevais aussi dans sa dimension sociale. Ce que je ne comprenais pas dans la musique, je finissais par le lire dans des chroniques et des interviews. Câest une interview de Marley qui mâa orientĂ© vers le punk par exemple, il disait que punks et rastas se ressemblaient.
Quels sont tes groupes de prĂ©dilection ? Quâest-ce-que tu aimais chez ces artistes ?Â
Les scĂšnes musicales issues des contre-cultures sont intimement liĂ©es, et au final lâensemble forme une histoire sonore et social oĂč tout se rĂ©pond. Punk, reggae, rap, electro, techno, mĂ©tal, rock et leurs multitudes de sous genres, synthĂšses et expĂ©rimentations mâintĂ©ressent parce quâils sâinscrivent dans des formes de contestation, ou de rĂ©cupĂ©ration de ces contestations durant le vingtiĂšme siĂšcle. Je trouve quâil y a des choses fascinantes et inspirantes dans tout ces styles et dans leur croisement. Mais au delĂ des questions esthĂ©tiques câest les questions de productions et de diffusions qui mâintĂ©ressent et les scĂšnes/groupes/individu.e.s qui refusent de reproduire le rĂšgne de lâexploitation et de la marchandise dans la musique comme dans nos vies en sâorganisant de maniĂšre Ă©mancipatrice. Jâai Ă©tĂ© assez marquĂ© de ce point de vue par la scĂšne anarchopunk et le screamo, par exemple un groupe comme belle Ă©poque qui appliquait la logique DIY.
Quels Ă©taient tes lieux emblĂ©matiques pour la culture alternative Ă lâĂ©poque sur Paris ?
Lâun de mes premiers concerts dans un lieu marquant, câĂ©tait Amanda Woodward Ă Alternation, un squat prĂšs de Nation. JâĂ©tais minot. Des annĂ©es aprĂšs il y a plusieurs autres squats oĂč il y avait plus ou moins rĂ©guliĂšrement des soirĂ©es de soutien qui mâont laissĂ© de chouettes souvenirs. Le Bourdon Ă bastille, le Transfo Ă Montreuil, le Dilengo Ă Ivry⊠des squats autonomes en lutte et en lien avec les luttes sociales.
Comment forges-tu tes idées politiques et militantes ? Comment en arrives-tu au rap ?
Comment est nĂ© le projet « coutoentrelesdents » ? Pourquoi ce nom ? (et pourquoi « Shaihulud » dâailleurs?) Peux-tu dĂ©crire lâidentitĂ© de votre collectif ? Son Ă©tat dâesprit et ses objectifs ?
La premiĂšre pierre Ă Ă©tĂ© lancĂ©e il y a une dizaine dâannĂ©es, via une mixtape quâon a fait Ă plusieurs dans un appartement squattĂ© rue de lâOdĂ©on Ă Paris. Que des face b, des enregistrements/mix approximatifs et des textes de totos! Lâexpression « couteau entre les dents » renvoie Ă la piraterie mais aussi aux communistes qui se faisaient caricaturer ainsi par la droite.Shaihulud câest en rapport avec Dune de Herbert, un roman de sf, mais aussi un clin dâĆil Ă un groupe de hardcore amĂ©ricain. On a jamais Ă©tĂ© un collectif. Coutoentrelesdents se dĂ©finissant plus par ce qui a Ă©tĂ© fait ou mis en ligne, câest Ă dire le blog, une revue de presse, un infokiosque, de lâaffichage et des stickers, des concerts de soutien quâon a organisĂ© ou auxquels on participe avec le rap, des Ă©vĂ©nements de partage de savoir, de la musique, des vidĂ©os et des textes. Toujours dans une perspective de luttes contre toutes formes dâoppressions. Un des fils conducteurs a toujours Ă©tĂ© de partager des savoirs et des pratiques Ă©mancipatrices sans dogmatisme ni orthodoxie, mais liĂ© Ă lâautonomie des luttes.
Comment Coutoentrelesdents est devenu un blog ? Pourquoi avoir voulu parler des autres ?
On a essayĂ© de diffuser auprĂšs de sites dĂ©jĂ existants notre mixtape, et comme personne nâa rĂ©pondu on sâest dit quâon allait le faire nous-mĂȘmes. Le blog est apparu comme un espace qui pouvait accueillir beaucoup plus que la musique et permettre de reflĂ©ter lâautonomie des luttes et ses tendances, en partageant des infos, des textes, des Ă©vĂ©nements, des liensâŠ
Vous nâĂȘtes pas du tout ce dĂ©lire « lâunderground pour lâunderground ». Les sons mainstream semblent mĂȘme vous inspirer Ă©normĂ©ment. Tu aimes beaucoup un rappeur comme JUL, peux-tu expliquer pourquoi ?
Pour moi, lâunderground ne ramĂšne pas des sonoritĂ©s spĂ©cifiques. Je le vois plutĂŽt comme une maniĂšre de faire Ă contre courant des normes. Figer des musiques expĂ©rimentales dans des formes codifiĂ©es, câest une dĂ©rive rĂ©actionnaire qui caractĂ©rise le passage de lâexpĂ©rimentation sonore et sociale Ă la « scĂšne » et ses injonctions, ses normes. On peut observer le phĂ©nomĂšne dans Ă peu prĂšs toutes les contre-cultures musicales du 20Ăšme siĂšcle. Et puis le son « mainstream » se renouvelle en permanence en intĂ©grant les expĂ©rimentations relĂ©guĂ©es dans l »underground ». Regarde la trap. Lâutilisation des Charley et des 808 sâest rĂ©pandue partout jusque dans les autres styles, alors quâĂ la base câest une musique avec des thĂšmes et paroles difficilement commercialisables. Au 20Ăšme, lâart a constamment fait des va-et-vient entre des espaces de productions contestataires et une industrie en mal de contenu novateur. Le son des « puristes » de rap nâa rien d’ »underground ». Câest mĂȘme le son dâune Ă©poque oĂč il Ă©tait commercialisĂ© Ă tout va, mĂȘme « industrialisé ». Jâaime bien Jul Ă cause de son approche du rap avec un certain cĂŽtĂ© DIY, expĂ©rimental, et sincĂšre. Typiquement, sa dĂ©marche est plus proche de celle que les « puristes » affectionnent alors que beaucoup le dĂ©nigrent. Regarde comme les gens de cette scĂšne critiquent le vocoder, alors mĂȘme quâil Ă©tait utilisĂ© dĂšs les dĂ©buts du hip-hop, notamment parce que câĂ©tait une musique qui bidouillait avec la technologie contemporaine en allant puiser dans la musique qui lâavait prĂ©cĂ©dĂ©e. Lâalbum 13 OrganisĂ© se situe dans cette dynamique.
Comment votre public a rĂ©agi quand vous ĂȘtes arrivĂ©s avec ce style ? Selon toi, certains blocages musicaux propres au milieu politisĂ© tendent Ă sâestomper ?Â
Au dĂ©part câest sur quâon se sentait un peu seul.e.s. Dâabord les milieux politiques anarchistes avaient une dominante punk. Ensuite, les rappeurs Ă©taient en mode puristes et tout ce petit monde sâaccordait trĂšs bien pour ne pas faire bouger les lignes et tenir sous assistance respiratoire des cadavres de scĂšne bien dĂ©passĂ©s par les Ă©vĂ©nements. Tout ça nous emmerdait, et dĂšs le dĂ©part on utilisait des beats trap ou electro. On essayait aussi de prendre de la distance avec une Ă©criture quâon jugeait trop « tract en musique ». On voulait plutĂŽt exprimer et reflĂ©ter nos vies quotidiennes marquĂ©es par le refus et le combat des dominations, parfois par le sarcasme et lâhumour.
Quelles sont vos rĂ©fĂ©rences musicales ? Personnellement, je les trouve trĂšs pointues, et trĂšs « amĂ©ricaines ». Cela me fait penser Ă toute cette pĂ©riode expĂ©rimentale du « rap soundcloud » de 2013 Ă 2015 qui a donnĂ© naissance au cloud-rap, ou au mumble-rap (comme ton morceau « Ohdieu »).Â
Le rap soundcloud pour moi, câest un peu la synthĂšse dâune gĂ©nĂ©ration dâado qui Ă©coutait du punk, du mĂ©tal, du hardcore et de lâindie plus ou moins emo en mĂȘme temps que la Three Six Mafia, Lil Wayne⊠et qui a dĂ©cidĂ© de sampler les mĂ©los des premiers en y collant les batteries des seconds. Ăa a fait plein de sonoritĂ©s nouvelles et personnellement ça mâa bien parlĂ© vu que jâavais Ă©tĂ© influencĂ© par tout ces styles ! Dâun point de vue du rap câest clair que « ohdieu » a Ă©tĂ© inspirĂ© par le mumble! !
Et je pourrais dire pareil pour les productions. Qui produit chez vous ? Quâest ce qui vous Ă motivĂ© Ă vous mettre Ă la page en terme de sonoritĂ©s ?
Moi je produis, aidĂ© et poussĂ© Ă lâĂ©poque par Unikogree et n2k, qui ont aussi sorti de la musique sur CED. Perso jâai toujours aimĂ© lâaspect expĂ©rimental et futuriste du hip-hop, donc je cherche toujours Ă voir comment ça Ă©volue, quelles surprises et nouveautĂ©s sortent.
Couto/cafar, câest le fruit dâune rencontre entre moi, Puzzmama, Dudu, Seppuku et a2r. Les compos et mix ont Ă©tĂ© faits par Dudu et moi. Et câest sur quâon voulait que ça shine ! Perso je suis autodidacte et jâessaie toujours dâamĂ©liorer ma comprĂ©hension de la musique et de la MAO. Cet album a bĂ©nĂ©ficiĂ© du home studio quâon a fabriquĂ©, traitĂ© acoustiquement, et de deux cerveaux et paires dâoreilles, ce qui a permis de pousser les mix et les compos lĂ oĂč on ne serait pas forcĂ©ment allĂ©s seuls !
Quels sont vos objectifs pour le futur ? Avez-vous dâautres projets en route ?
Musicalement je dirais que ça ne peut quâĂ©voluer, ça a toujours Ă©tĂ© le cas depuis une dizaine dâannĂ©es ! On a toujours les mĂȘmes perspectives : vivre libre et donc par consĂ©quent lutter pour lâabolition de toutes les oppressions par les moyens les moins contradictoires possibles! coutoentrelesdents nâest que le reflet de cette dynamique, et des multiples rencontres quâelle occasionne. En tout cas merci beaucoup de mâavoir interviewĂ©, et pour ce que vous rĂ©alisez avec Karton Zine ! Je pense que des initiatives comme KZ ou CED devraient se multiplier au maximum !
Petite dĂ©dicace Ă toute celleux qui font ou ont fait exister CED, celleux avec qui jâai fait un bout de chemin, tototune, momac, uniko, n2k, nad, tanchelijn, hulz, opikanoba, kris, samir, toska, choco, lascie, matia, ratur, sami, victor, clandomc, seppuku, alchemist vertigo, matieu, praxis, myscier blodya, griotte, nellio, MDP, les gentes du malandrin, 400 000, karter, les gentes qui depuis 10 ans nous invitent un peu partout !