Rosa Luxembourg et le socialisme français

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rosa Luxembourg analyse le socialisme français pour dévoiler sa propre conception du mouvement révolutionnaire.

 

L’œuvre de Rosa Luxemburg semble mobilisée à divers titres. Aujourd’hui, la révolutionnaire fait l’objet d’un embaumement académique à travers un colloque universitaire très conformiste. Ses textes marxistes sont également mobilisés par le Parti Communiste Français des années 1930 pour dénoncer le réformisme de la social-démocratie. Mais c’est l’appropriation libertaire, incarnée par Daniel Guérin, qui demeure la plus intéressante. Contre toutes les formes d’autoritarismes, Rosa Luxemburg insiste sur la spontanéité révolutionnaire et l’auto-organisation du prolétariat.

L’historien Jean-Numa Ducange présente les textes de Rosa Luxemburg sur la France. Il permet de contextualiser des textes politiques écrits dans la perspectives des débats politiques qui agitent le mouvement ouvrier allemand. Rosa Luxemburg s’oppose à la participation des socialistes au gouvernement en France en 1899. Elle privilégie la rupture radicale avec le capitalisme plutôt qu’un changement gradualiste à coups de réformes. Jean Jaurès devient l’une de ses cibles privilégiées. Rosa Luxemburg le considère comme un politicien bourgeois qui participe au Parlement. Le mouvement socialiste doit former un parti de classe autonome par rapport au monde bourgeois.

Comme Karl Marx, Rosa Luxemburg estime que la voie vers le socialisme nécessite de « briser l’État ». Elle critique également le centralisme politique. Mais elle préfère soutenir les guesdistes, des marxistes autoritaires et dogmatiques, plutôt que les anarchistes et le syndicalisme révolutionnaire. Mais, à partir de 1910, elle devient plus critique par rapport à la bureaucratisation de la social-démocratie. Rosa Luxemburg ne refuse pas toute forme d’action dans le cadre des institutions. Mais le Parlement demeure surtout une tribune destinée à la propagande révolutionnaire. Toutefois, elle insiste sur la spontanéité des masses pour bousculer l’inertie des parlementaires.

 

 

 

Le socialisme dans la France de la fin du XIXème siècle

En 1898, Rosa Luxemburg propose une analyse politique et sociale de la France. Le parti radical s’appuie sur une base sociale réduite qui ne comprend ni la bourgeoisie ni le prolétariat. En revanche, il peut s’appuyer sur une importante petite bourgeoisie de fonctionnaires et petits propriétaires.

La révolutionnaire évoque la démographie, la structure familiale et la misère sexuelle. « Mais l’abstinence sexuelle forcée d’une grande partie de la classe populaire s’explique plus profondément par les conditions sociales et surtout économiques et matérielles de la nation », observe Rosa Luxemburg. Le capitalisme semble alors conditionner tous les aspects de la vie quotidienne.

 

Les luttes ouvrières demeurent le meilleur moyen de diffuser les idées socialistes. En 1898, Rosa Luxemburg évoque le mouvement des cheminots et sa répression. «Le capital brandit la carotte et le bâton pour ôter aux esclaves du travail toute velléité de faire usage de leurs droits de citoyen à s’organiser et à lutter », observe Rosa Luxemburg. Les syndicalistes révolutionnaires privilégient la propagande pour la grève générale. Mais l’enjeu demeure surtout la création de caisses de solidarité pour organiser la grève générale.

Rosa Luxemburg regrette l’absence d’unité du mouvement ouvrier en France. Aucun parti social-démocrate ne parvient à se former. Mais elle relativise cet aspect. L’unité du socialisme se construit dans la lutte. Ce n’est pas un parti ou une avant-garde qui doit apporter la conscience de classe au prolétariat, mais la lutte. « Ce n’est que sur la haute mer de la vie politique, dans une large lutte contre l’État présent, par l’ajustement de toute la richesse variée à la réalité vivante que l’on peut former le prolétariat et l’éduquer dans le sens de la social-démocratie », souligne Rosa Luxemburg. Contre les anarchistes et les avant-gardes politiques qui privilégient la propagande, elle estime que seule la lutte peut apporter la conscience révolutionnaire au prolétariat. « Et c’est la vie qui lui impose cette orientation avec une force irrésistible », insiste Rosa Luxemburg.

 

 

 

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Contre la participation socialiste au gouvernement

En 1899, Rosa Luxemburg critique la participation d’un ministre socialiste à un gouvernement bourgeois. Cette décision devient pourtant naturelle. En effet, Édouard Bernstein préconise l’intégration progressive du socialisme dans la société bourgeoise. Cette idéologie pense ainsi pouvoir transformer l’État bourgeois en État socialiste par la participation de ministres. Mais cette tactique ne débouche vers aucun véritable changement social. « En effet, que ne saurait réaliser un ministre socialiste en fait de petites améliorations, d’adoucissements et de raccommodage social de toutes sortes ! », ironise Rosa Luxemburg. Cette tactique tente d’aménager le capitalisme plutôt que de le supprimer. Seule la lutte des classes, contre le capitalisme et son État, permet de véritables changements. La social-démocratie doit donc affirmer son autonomie par rapport à la politique bourgeoise pour privilégier la lutte des classes. « Dans la société bourgeoise, la social-démocratie, du fait de son essence même, est destinée à jouer le rôle d’un parti d’opposition ; elle ne peut accéder au gouvernement que sur les ruines de l’État bourgeois », précise Rosa Luxemburg.

La révolutionnaire défend le point de vue de Paul Lafargue. Ce socialiste refuse toute forme de collaboration gouvernementale. Jean Jaurès et les « indépendants » s’apparentent à une bourgeoisie opportuniste éloignée du mouvement ouvrier. « Le ministre socialiste est un homme perdu pour le socialisme, quoi qu’il fasse », affirme au contraire Paul Lafargue.

Rosa Luxemburg semble donc proche du courant de Jules Guesde qui se réfère à un marxisme orthodoxe. Mais la théoricienne observe également les dérives réformistes de ce courant qui finit par abandonner ses principes abstraits pour des succès immédiats.

 

En 1900, la révolutionnaire revient sur la participation socialiste au gouvernement. Rosa Luxemburg comprend bien la nature de l’État bourgeois avec sa bureaucratie qui empêche de réaliser la moindre réforme. Les socialistes, par leur participation à l’État, doivent alors se conformer à cette logique bureaucratique. « L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’État bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois », observe la révolutionnaire.

Dans le cadre d’un gouvernement bourgeois, les réformes s’apparentent à des demi-mesures, comme l’illustre le bilan du ministre socialiste Millerand. Seule la lutte permet d’imposer de véritables réformes. « Les concessions ne sont faites que sous la pression de la nécessité politique, pour apaiser la classe ouvrière stimulée par le parti socialiste », observe Rosa Luxemburg.

La théorie et la pratique ne doivent pas être séparées. Pour la révolutionnaire les moyens déterminent la fin. La participation ministérielle ne peut pas permettre de changer la société. « Le socialisme, qui a pour mission de supprimer la propriété privée des moyens de production et d’abolir la domination bourgeoise de classes, participe au gouvernement de l’État bourgeois, dont la fonction est de conserver la propriété privée et de perpétuer la domination de la classe bourgeoise », précise Rosa Luxemburg. L’État n’est donc pas un moyen de transformation sociale. Avec la participation de la social-démocratie au pouvoir, la classe ouvrière devient inféodée à la bourgeoisie républicaine. Comme Karl Marx, Rosa Luxemburg insiste sur l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. Au contraire Jean Jaurès préconise une alliance de la classe ouvrière avec la petite bourgeoisie du parti radical. Les députés socialistes renoncent alors à la lutte des classes « pour se transformer en un groupe parlementaire sans principes, navigant au gré des combinaisons du moment, en un pantin dont les mouvements seraient réglés par les partis bourgeois », raille Rosa Luxemburg. La classe ouvrière doit construire un mouvement autonome en opposition avec toutes les classes bourgeoises.

 

 

 

Une critique radicale de l’État et du capital

Les analyses de Rosa Luxemburg sont confirmées par les faits. Le gouvernement auquel participe Millerand n’est pas plus favorable à la classe ouvrière et le ministre doit être exclu de l’organisation socialiste. Le courant de Jaurès soutien la participation à ce pouvoir républicain à ses débuts. « Cependant le gouvernement bourgeois, en dépit du fait qu’il avait un socialiste en son sein, ne cessa pas d’un être le gouvernement de la violence de classe, d’être une organisation gendarmo-policière de la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire, et ne cessa pas, dans tous les domaines de la vie sociale, de servir fidèlement les intérêts de la classe capitaliste », constate Rosa Luxemburg. L’État continue de tirer sur les ouvriers en grève. Le prolétariat s’éloigne alors d’un mouvement socialiste qui cautionne le gouvernement.

Mais, en 1905, le « Parti socialiste » est créé à travers la Section Française de l’Internationale Socialiste (SFIO). Ce mouvement repose sur des bases politiques claires qui semblent désormais exclurent toute participation gouvernementale.

Ce nouveau parti doit favoriser l’autonomie politique de la classe ouvrière. « Or l’unification socialiste, en France comme partout ailleurs, ne doit pas être le couplage mécanique de différentes fractions en une organisation, mais un mouvement vivant et unitaire qui entraîne avec lui l’ensemble du prolétariat dans le grand et puissant fleuve de la lutte des classes », prévient Rosa Luxemburg. LeParti socialiste doit être relié au mouvement ouvrier. A l’intérieur comme à l’extérieur du Parlement cette nouvelle organisation ne doit pas se contenter de devenir une opposition républicaine, mais doit imposer une politique ouvrière révolutionnaire.

 

Cet article insiste sur la dimension libertaire de la pensée de Rosa Luxembourg. Mais la théoricienne conserve certaines ambigüités. Elle dénonce la participation au pouvoir bourgeois au niveau de l’État central, mais pas à l’échelle municipale. Elle défend également la participation au Parlement comme tribune. La révolutionnaire, avant 1905, ne semble pas se rattacher à une pratique de lutte avant de découvrir l’invention par le prolétariat lui-même des soviets et des conseils ouvriers.

Pourtant, la révolutionnaire s’attache déjà à l’auto-organisation du prolétariat dans les luttes. Elle dénonce toutes les formes de bureaucraties, y compris dans l’anarcho-syndicalisme. Elle s’attache à défendre la construction d’un mouvement autonome du prolétariat par rapport à la politique bourgeoise. Karl Korschradicalise cette position. Mais ce même courant révolutionnaire s’attache à penser une conception de la politique qui ne s’enferme pas dans les partis et les syndicats. L’organisation révolutionnaire doit surtout s’appuyer sur la spontanéité et la créativité du prolétariat.

 

Source : Rosa Luxemburg, Le Socialisme en France. Œuvres complètes – Tome III, Edition établie et préfacée par Jean-Numa Ducange, Traduit par Daniel Guérin et Lucie Roignant, Agone & Smolny, 2013

 

Articles liés :

Le marxisme critique de Karl Korsch

Marx, penseur de l’anarchie selon Rubel

Daniel Guérin et le mouvement de 1936

Refus du travail, peresse et oisiveté

La gauche au pouvoir pour servir le capital

 

Pour aller plus loin :

« Le tome 3 des Œuvres complètes de Rosa Luxemburg« , publié sur le site de Critique Sociale le 27 octobre 2013

« Il faut sortir Rosa Luxemburg des facs et autres cimetières« , publié sur le site Vosstanie le 30 octobre 2013

Collectif Smolny / Agone, « Rosa Luxemburg : l’intégrité d’une œuvre« , publié sur le blog des éditions Agone le 4 janvier 2011, Texte initialement paru dansContretemps n°8

 

Vidéo : « Conférence internationale sur Rosa Luxemburg » enregistrée à Paris, Sorbonne, les 04 et 05 octobre 2013 par Les Films de l’An 2

Vidéo : Jean-Numa Ducange, « Le socialisme français vu par Rosa Luxemburg« , diffusée sur le site Comprendre avec Rosa Luxemburg le 19 octobre 2013

 

Rosa Luxemburg (1871-1919) sur le site La Bataille socialiste

Textes de Rosa Luxemburg publiés sur le site de l’Archive internet des marxistes

LU SUR http://zones-subversives.over-blog.com/

Chronologie d’une lutte de logement à Saint-Denis : le collectif Guantanamo

GUANTANAMO… du plus effroyable, de l’inhumain, une prison loin de chez nous… mais suffisamment près pour qu’un collectif d’habitants dionysiens s’identifie à ces « combattants illégaux » par ses conditions de vie : « Pourquoi on s’appelle collectif Guantanamo ? Ça fait dix ans qu’on a choisi ce nom, il est connu depuis longtemps, jusqu’à Paris. On vit ici comme les gens de Guantanamo, on vit dans la misère, on est maltraités. A Guantanamo, il y a de l’eau et des toilettes, nous on en a pas, même si on est libre de sortir. Il y avait de l’eau avant mais la mairie est venue la couper. Alors que tout le monde en a besoin ».

Article paru dans le journal “Dos aux Murs” n°2

Guantanamo versus Saint-Denis : ce sont 25 habitants du 50 rue Gabriel Péri, ils vivent dans cet immeuble depuis plus de dix ans, travaillent, payent des impôts pour certains, s’impliquent dans la ville comme tout un chacun. Comme bon nombre d’habitants du centre ville ancien de Saint-Denis ils sont dans une extrême fragilité sociale et pécuniaire, sans-papiers pour beaucoup, vivent dans un immeuble insalubre.

Le centre-ville de Saint-Denis est la cible depuis 2009 d’un Programme de Rénovation, le PNRQAD (programme national de requalification des quartiers anciens et dégradés). Il s’agit pour les pouvoirs publics (Etat, Mairie, Plaine Commune) de requalifier socialement le centre-ville en prenant le prétexte de l’insalubrité réelle et subie par les habitants actuels pour mener une chasse aux pauvres organisée, puisque l’on rénove pour louer à plus offrant.

La gentrification des quartiers populaires est un processus lent et pernicieux qui relève de facteurs très complexes, lorsque la ville et l’Etat misent sur un programme aussi diablement efficace que le PNRQAD c’est pour accélérer la réussite de transformation sociale des quartiers.

Les habitants du 50 rue Gabriel Péri en font les frais actuellement, mais la liste des habitants dionysiens visés est longue… le PNRQAD fait son travail crasse de fourmis…
L’histoire de la lutte du 50 rue Gabriel Péri commence donc le 31 janvier 2013, jour où séance tenante le conseil municipal intègre l’immeuble au PNRQAD.

Le 11 février 2013, Stéphane Peu -adjoint au maire chargé de l’habitat, chantre de la rénovation urbaine et de la lutte contre l’insalubrité, et qui s’enorgueillit de vouloir éradiquer tous les squatts du centre-ville- signe l’arrêté de péril imminent pour le 50 rue Gabriel Péri.

La mairie n’a daigné contacter les principaux intéressés de ses diverses démarches.
Au même moment, dans la perspective de préparer une manifestation pour le logement à l’occasion de la fin de la trêve hivernale, des militant-e-s libertaires dionysiens de la CGA (coordination des groupes anarchistes) font le tour des immeubles menacés par le PNRQAD et rencontrent les habitants du 50 rue Gabriel Péri.

C’est là que le collectif se constitue, que la lutte prend forme.

Les habitants très lucides sur leur devenir, voyant l’expulsion arriver à très court terme, s’organisent. Dès lors d’avril à juin le collectif Guantanamo 50 rue Gabriel Péri multiplie les actions, les coups de pression, pour visibiliser sa lutte et obtenir un rendez-vous en mairie.

Le 6 avril une première lettre est adressée au maire, les habitants demandent à être reçus autour des revendications suivantes :
– l’ouverture d’un volet social pour tous les habitant-e-s de l’immeuble comme le préconise le PNRQAD.
- le soutien de la mairie pour les démarches auprès de la préfecture pour la régularisation des titres de séjour.

Ils tiennent à ce que ces revendications soient prises en compte pour la totalité des habitant-e-s et souhaitent un dépôt collectif à la sous-préfecture des dossiers pour la régularisation.

A ce stade, le collectif Guantanamo demande des garanties d’obtenir une réponse dans un délai de quinze jours. Le courrier reste sans réponse.

Le samedi 13 avril, toujours dans le cadre d’un rassemblement pour être reçu par le maire, discussion officieuse avec Antoine Bussy (directeur de cabinet du maire), Rose Gomis (élu PS), et Francis Langlade (maire-adjoint). Les élus se dédouanent en insistant sur la régularisation des habitants pour pouvoir renvoyer la balle vers les services préfectoraux. Or pour lancer les démarches de régularisation il faut une attestation de domiciliation au 50 rue Gabriel Péri de tous les habitants, donc c’est le chat qui se mord la queue… c’est symptomatique des luttes de relogement et d’obtention des titres de séjour, où les habitants sont à la merci de ce ping-pong lassant entre mairie et services préfectoraux.

Le 13 avril, lors de la fête des Tulipes, le maire promet un rendez-vous… même promesse que lors d’une démarche quartier à Allende le 26 avril qui suivra …La mairie reste coite toutes grilles fermées lors des prochains rassemblements …

Dimanche 14 avril, les habitants rencontrent au marché Matthieu Hanotin député PS de la 2ème circonscription (Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse). Il propose le cas par cas pour l’étude des dossiers. Guantanamo s’y refuse.

A partir du mardi 16 avril, le collectif Guantanamo est surveillé par la police.

Mercredi 24 avril, les rencontres furtives et officieuses sont visiblement le seul médium que connaisse la mairie pour discuter avec ses administrés… ainsi toujours à l’arrachée, le collectif rencontre Antoine Bussy et Bally Bagayoko qui affirment qu’aucun volet social ne serait ouvert, sans tenir compte du fait que le processus du PNRQAD implique un relogement des habitants et une prise en charge sociale des expulsés… Cette position intransigeante de la mairie est incompréhensible car dans d’autres luttes similaires le volet social était ouvert de facto, ce traitement de défaveur appliqué aux habitants de Guantanamo est un non-sens et une régression… La mairie elle-même se prend les pieds dans le tapis de ses contradictions car Bally Bagayoko pensait initialement que la prise en charge sociale avait été lancée dès la signature de l’arrêté d’évacuation des lieux….

Dès lors la communication est coupée…

Pourtant les habitants ne cessent de relancer la mairie sur les mêmes bases revendicatives.

Le jeudi 25 avril, silence radio, le conseil municipal se tient à huis clos. Le collectif Guantanamo est persona non grata. Une nouvelle lettre est remise par grille interposée à Antoine Bussy, voilà la seule marge de dialogue proposée… et l’on renvoie une nouvelle fois Guantanamo vers les services préfectoraux !

Ainsi la mairie ne prend pas ses responsabilités et refuse catégoriquement ce qui est dû :

« la ville de Saint-Denis, et les maîtres d’ouvrage concernés […] s’engagent à : Assurer des relogements de qualité prenant en compte les besoins […] des ménages concernés par les opérations de recyclage foncier » c’est stipulé article 11 p.32 de la convention du PNRQAD du centre ville de Saint-Denis.

52 millions d’euros ont été alloués par l’Etat à la ville pour la mise en oeuvre du PNRQAD. Quel est le budget prévu pour le relogement des habitants expulsés ? Si ces dossiers de relogement sont traités au rapport de force entre mairie et habitants les plus fragiles, il est légitime de se questionner sur l’utilisation de ces fonds et plus largement sur les ficelles administratives du PNRQAD traitées à l’emporte-pièce… 240 appartements sont concernés, c’est beaucoup alors on tire dans le tas… et pas de détail pour les plus précaires…

Tout est bon pour se dédouaner. Le 2 mai, dans un courrier à la sous-préfète, Didier Paillard qualifie les habitants du 50 rue Gabriel Péri d’“occupants”, leur niant une présence décennale dans l’immeuble et la qualité d’habitants “de facto”.

Lundi 27 mai, une manifestation est organisée à l’appel de divers collectifs d’habitants mal-logés (des habitants du 39 et 76 rue Gabriel Péri, de la cité Saint-Rémy Nord). Y répondent de nombreux-euses militant-e-s défenseurs-euses des mal-logé-e-s, des collectifs dionysiens, des organisations politiques et syndicales. Cette manifestation a pour but de réunir largement autour de la question du mal-logement. Deux points cruciaux marquent le parcours de la manifestation : la préfecture où la porte est close et où le rendez-vous pris en amont reste sans suite, et la mairie.

Sur le parvis de la mairie c’est petits-fours sans fausse pudeur, on y inaugure une expo photos sans intérêt, le maire est présent. Ce n’était absolument pas programmé mais l’occasion de lui parler est ici toute trouvée, mais le maire fuit la discussion une nouvelle fois en s’esquivant dans la mairie ! Pour une fois que les grilles ne sont pas fermées des manifestant-e-s s’engouffrent dans le hall slogans et danses en avant demandant un rendez-vous… M.Langlade nous dit que les conditions favorables à un dialogue ne sont pas réunies…

Au bout d’une heure la police nationale expulse à la demande du maire, à coups de poing, matraque, tasers de contact, gaz lacrymo, sous la menace de flashballs braqués au niveau des têtes. Les notables dionysiens venus s’empiffrer de chips restent cois et inertes sur le parvis.

Bilan : des ITT pour deux militants, coups au visage… dépôt de plainte à l’IGPN…

Le mercredi suivant, dans le Journal de Saint-Denis, un communiqué de la mairie traite l’évènement sous l’angle du mensonge et de la calomnie, un démenti est envoyé en retour…

Le vendredi 7 juin 8h40. L’expulsion est imminente. La police est présente et a barricadé la rue et sous le regard des passants, des voisins, des enfants qui partent à l’école, déloge les habitants qui avaient décidé de ne pas résister. Des personnes solidaires sont présentes. Stéphane Peu promet un rendez-vous un peu plus tard dans la matinée… du vent …

La nuit du 7 au 8 juin se passe sous les tentes installées au pied de la basilique pour le prestigieux festival de musique classique que la ville organise. La mairie n’a pas tardé à envoyer les flics pour expulser à nouveau… Ils étaient plus de vingt à venir dégager le collectif le samedi 8 vers 20h…

La mairie non contente d’expulser, traque…

Un périmètre de sécurité autour des tentes est alors installé avec un dispositif de surveillance permanent.

Du 8 au 18 juin les habitants occupent le parvis de l’hôtel de ville ou plus précisément ont occupé le parvis en lui-même du 8 au 10 juin et en ont été chassés toujours par les forces de l’ordre demandées par la mairie. Ce sont les habitants qui ont décidé de poursuivre l’occupation du périmètre du parvis, et 8 interventions policières ont été essuyées depuis… Les occupations du parvis de l’hôtel de ville pour ces mêmes motifs sont fréquentes à Saint-Denis mais il n’est pas souhaitable que cette solution perdure davantage. La mairie n’a montré aucun signe ou de si minces volontés de dialogue que les solutions sont à trouver ailleurs que dans leur “pouvoir salvateur”.

13 juin, le collectif Guantanamo n’est plus tout seul devant la mairie, le squat du 103 rue Gabriel Péri a aussi été expulsé, même modus operandi. Ils sont une quinzaine à rejoindre la lutte.

Vendredi 14 juin le collectif Guantanamo après une semaine passée à la rue et 4 mois de lutte est reçu par la mairie et ce n’est pas trop tôt !

Est présente une délégation formée de 5 mandatés pour les habitants et de 5 mandatés soutiens, côté mairie : Didier Paillard, Stéphane Peu, Antoine Bussy, Michel Ribay. La réunion fut mitigée à tendance positive, on ne peut être dithyrambiques et satisfait-e-s, les élus acceptent d’ouvrir le volet social (bons princes, c’est la condition sine qua non à l’expulsion prévue par le PNRQAD… donc on obtient juste le dû…), ils établiront une liste des habitants du 50 rue Gabriel Péri et ils appuieront les démarches (ça ne relève que d’un cursus normal mais on note un semblant de prise de responsabilité).

Dans des luttes précédentes l’appui de la mairie pour le volet social a été certes symboliquement important et pour cela il est à saluer mais prosaïquement il ne consistait qu’en un simple parrainage pour un accès au 115 pas même facilité, un jeu de l’assistanat et de la bonne conscience.

Pour le volet du relogement la réunion est moins fructueuse, puisque rien de concret n’est proposé… et il est confirmé au collectif que l’occupation du parvis est proscrite… en d’autres termes… « soyez invisibles ! »

Le rendez-vous avec la mairie était attendu de longue date et arrive comme un signe d’ouverture pour initier un dialogue, mais ne nous y trompons pas ce rendez-vous signe surtout une volonté de la mairie de reprendre la main sur les événements et de les formaliser à son avantage en recadrant cette lutte dans un schéma qu’elle connaît ; en institutionnalisant le rapport de force.

16-17 juin, la mairie fait surveiller en permanence les alentours du parvis par la société de sécurité “1ère ligne”. Elle pousse aussi la mesquinerie à barricader le périmètre de la mairie pour réduire les espaces investis par le collectif, à envoyer la police pour intimider, confisquer les effets personnels pour désorganiser la lutte et la vie qui s’est bâtie autour du campement de Guantanamo.

Le 19 juin, dans un communiqué puant, la mairie justifie toujours l’expulsion sans relogement et renvoie toujours la balle à la préfecture.

Le 19 juin bis, dans un article du Journal de Saint-Denis, Patrick Vassallo commente l’expulsion du 103 rue Gabriel Péri : insalubrité, marchands de sommeils, abandons des lieux par des propriétaires irresponsables sont invoqués dans une musique justificatrice savamment huilée. En somme, la mairie se blanchit médiatiquement sur le dos de l’insalubrité, oublie de dire qu’elle est responsable d’avoir laisser pourrir les immeubles délabrés pendant des années. Dans cet article il n’est absolument pas question du devenir des habitants, encore moins de leur relogement… la ville et Plaine Commune sont bien trop occupées à opérer des tractations financières avec des opérateurs immobiliers charognards.

20-25 juin, avec le recul de quelques jours et les procédures de “domiciliation” qui ont débuté, le collectif se rend compte que la mairie n’a en effet rien donné sur ce volet revendicatif non plus… On est loin de ce qui avait été demandé : la mairie s’engage à domicilier à son adresse les habitants sans logis mais ne leur reconnait pas le titre d’habitants du 50 rue Gabriel Péri …Ainsi, si on fait le compte, la mairie n’a rien lâché sur les revendications de départ, RIEN DU TOUT… Le dialogue initié le 14 juin est resté sans suites : l’appel téléphonique pour discuter du relogement comme promis est toujours attendu … difficile d’imposer à présent l’idée que la mauvaise volonté vient du collectif…

Mais malgré tout cela les habitants restent cramponnés à leurs revendications, ne cessent de s’organiser pour lutter. Depuis le départ le cadre de la lutte est souhaité comme unitaire, Guantanamo souhaite rallier un large spectre de soutiens tout en gardant un fonctionnement auto-organisé et indépendant. C’est un exercice très acrobatique et assez difficile à installer dans un cadre unitaire, à l’image des rangs clairsemés qui se retrouvent auprès du collectif actuellement. Néanmoins pour qui connaît les luttes autour des questions de sans-papiers et mal-logés – qui bien souvent tournent à l’assistanat, aux rapports paternalistes entre “soutiens” et premiers concernés – se rendra facilement compte que dans le cas précis on en est bien loin. A l’image des multiples communiqués du collectif, relayant directement la parole des habitants, relatant avec vigueur et sans grands discours la réalité de cette lutte semaine après semaine…

Mais attention aussi inédite que soit la qualité des rapports humains dans cette lutte, aussi lucides et combatifs que soient les expulsés du 50 et du 103 rue Gabriel Péri ce serait franchement dommage que la lutte s’essouffle et s’enlise dans un campement s’éternisant comme vitrine institutionnalisée de la lutte du mal-logement, dans un paysage dionysien trop habitué à ce folklore.

P.-S.

À lire, le blog du collectif Plaie Commune : http://plaiecommune.noblogs.org

“Environ 200 hooligans sympathisants fascistes ont attaqué notre squat avec des pierres et des coktails molotov. Ils ont essayé d’y pénétrer mais nous avons réussi à les repousser”


 Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté lundi à Varsovie à l’appel de l’extrême droite, à l’occasion de la fête de l’Indépendance de la Pologne célébrée le 11 novembre. Selon les organisateurs, environ 50.000 personnes ont participé à cette manifestation.

La police, elle, n’a pas donné de chiffre. La mairie de Varsovie a décidé de dissoudre cette marche peu avant son terme, à la suite d’incidents provoqués par des groupes de jeunes en cagoules, dont certains arboraient les symboles de clubs polonais de football.

Les manifestants ont notamment attaqué un squat occupé par l’extrême gauche, endommagé plusieurs voitures, et brûlé sur une place centrale de la capitale une installation artistique représentant un grand arc-en-ciel en fleurs de papier et symbolisant la tolérance. “Environ 200 hooligans sympathisants fascistes ont attaqué notre squat avec des pierres et des coktails molotov. Ils ont essayé d’y pénétrer mais nous avons réussi à les repousser”, a dit à l’AFP un jeune résidant de ce squat portant un masque de ski et refusant de donner son nom. Les manifestants ont également attaqué la police à coups de jets de pierres et de bouteilles.

La police répondu par des gaz lacrymogènes et tirs de balles en caoutchouc. Quatre policiers ont été hospitalisés, alors qu’une quinzaine de personnes ont été arrêtées, selon le porte-parole de la police Mariusz Sokolowski. La manifestation était organisée à l’appel d’organisations d’extrême droite non représentées au Parlement. Les manifestants ont notamment réclamé la démission du gouvernement libéral de Donald Tusk.Dans toute la Pologne, des cérémonies officielles se sont déroulées pour marquer le 95e anniversaire du retour à l’indépendance du pays.

La Pologne a retrouvé son indépendance le 11 novembre 1918 après avoir été rayée de la carte de l’Europe par la Russie, la Prusse et l’Autriche-Hongrie qui se sont partagés son territoire à la fin du XVIIIe siècle. En début d’après-midi, une marche, organisée par le président Bronislaw Komorowski, a rassemblé des milliers de personnes dans le centre de Varsovie. L’oposition, le parti conservateur Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski a, elle, organisé ses propres célébrations de l’anniversaire de l’indépendance à Cracovie.

AFP

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Monique Pinçon-Charlot : « La violence des riches atteint les gens au plus profond de leur esprit et de leur corps »

PAR AGNÈS ROUSSEAUX 5 NOVEMBRE 2013

Qui sont les riches aujourd’hui ? Quel impact ont-ils sur la société française ? Pour la sociologue Monique Pinçon-Charlot, les riches font subir au reste de la société une violence inouïe. Une violence banalisée grâce à un renversement du langage : les riches seraient des victimes, menacées par l’avidité du peuple. Elle dénonce un processus de déshumanisation, une logique de prédation, une caste qui casse le reste de la société. Et invite à organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel.

Basta ! : Qu’est-ce qu’un riche, en France, aujourd’hui ?

Monique Pinçon-Charlot [1] : Près de 10 millions de Français vivent aujourd’hui en-dessous du seuil de pauvreté. Celui-ci est défini très précisément. Mais il n’existe pas de « seuil de richesse ». C’est très relatif, chacun peut trouver que son voisin est riche. Et pour être dans les 10 % les plus riches en France, il suffit que dans un couple chacun gagne 3000 euros.

Nous nous sommes intéressés aux plus riches parmi les riches. Sociologiquement, le terme « riche » est un amalgame. Il mélange des milieux très différents, et regroupe ceux qui sont au top de tous les univers économiques et sociaux : grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux, gens de lettres… Mais nous utilisons délibérément ce terme. Car malgré son hétérogénéité, ces « riches » sont une « classe », mobilisée pour la défense de ses intérêts. Et nous voulons aujourd’hui contribuer à créer une contre-offensive dans cette guerre des classes que mènent les riches et qu’ils veulent gagner.

Pourquoi est-il si difficile de définir cette classe ?

La richesse est multidimensionnelle. Bourdieu parlait très justement de capital – capital économique, culturel, symbolique –, c’est ce qui donne du pouvoir sur les autres. A côté de la richesse économique, il y a la richesse culturelle : c’est le monde des musées, des ventes aux enchères, des collectionneurs, des premières d’opéra… Jean-Jacques Aillagon, président du comité des Arts décoratifs, vient d’être remplacé par un associé-gérant de la banque Lazard. Dans l’association des amis de l’Opéra, on retrouve Maryvonne Pinault (épouse de François Pinault, 6ème fortune de France), Ernest-Antoine Seillière (ancien président du Medef, 37ème fortune de France avec sa famille) [2]…

A cela s’ajoute la richesse sociale, le « portefeuille » de relations sociales que l’on peut mobiliser. C’est ce qui se passe dans les cercles, les clubs, les rallyes pour les jeunes. Cette sociabilité mondaine est une sociabilité de tous les instants : déjeuners, cocktails, vernissages, premières d’opéra. C’est un véritable travail social, qui explique la solidarité de classe. La quatrième forme est la richesse symbolique, qui vient symboliser toutes les autres. Cela peut être le patronyme familial : si vous vous appelez Rothschild, vous n’avez pas besoin d’en dire davantage… Cela peut être aussi votre château classé monument historique, ou votre élégance de classe.

Il existe aussi une grande disparité entre les très riches…

Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, est en tête du palmarès des grandes fortunes professionnelles de France, publié chaque année par la revueChallenges. Il possède 370 fois la fortune du 500ème de ce classement. Et le 501ème est encore très riche ! Comparez : le Smic à 1120 euros, le revenu médian à 1600 euros, les bons salaires autour de 3000 euros, et même si on inclut les salaires allant jusque 10 000 euros, on est toujours dans un rapport de 1 à 10 entre ces bas et hauts salaires. Par comparaison, la fortune des plus riches est un puits sans fond, un iceberg dont on ne peut pas imaginer l’étendue.

Malgré l’hétérogénéité de cette classe sociale, les « riches » forment, selon vous, un cercle très restreint.

On trouve partout les mêmes personnes dans une consanguinité tout à fait extraordinaire. Le CAC 40 est plus qu’un indice boursier, c’est un espace social. Seules 445 personnes font partie des conseils d’administration des entreprises du CAC 40. Et 98 d’entre eux détiennent au total 43 % des droits de vote [3] ! Dans le conseil d’administration de GDF Suez, dont l’État français possède 36 % du capital, il y a des représentants des salariés. Ceux-ci peuvent être présents dans divers comités ou commissions, sauf dans le comité des rémunérations. Cela leur est interdit. Qui décide des rémunérations de Gérard Mestrallet, le PDG ? Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, notamment. C’est l’entre-soi oligarchique.

Cela semble si éloigné qu’on peut avoir l’impression de riches vivant dans un monde parallèle, sans impact sur notre vie quotidienne. Vous parlez à propos des riches de « vrais casseurs ». Quel impact ont-ils sur nos vies ?

Avec la financiarisation de l’économie, les entreprises sont devenues des marchandises qui peuvent se vendre, s’acheter, avec des actionnaires qui exigent toujours plus de dividendes. Selon l’Insee, les entreprises industrielles (non financières) ont versé 196 milliards d’euros de dividendes en 2007 contre 40 milliards en 1993. Vous imaginez à quel niveau nous devons être sept ans plus tard ! Notre livre s’ouvre sur une région particulièrement fracassée des Ardennes, avec l’histoire d’une entreprise de métallurgie, qui était le numéro un mondial des pôles d’alternateur pour automobiles (les usines Thomé-Génot). Une petite entreprise familiale avec 400 salariés, à qui les banques ont arrêté de prêter de l’argent, du jour au lendemain, et demandé des remboursements, parce que cette PME refusait de s’ouvrir à des fonds d’investissement. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire. Un fonds de pension l’a récupéré pour un euro symbolique, et, en deux ans, a pillé tous les savoir-faire, tous les actifs immobiliers, puis fermé le site. 400 ouvriers se sont retrouvés au chômage. C’est un exemple parmi tant d’autres ! Si vous vous promenez dans les Ardennes aujourd’hui, c’est un décor de mort. Il n’y a que des friches industrielles, qui disent chaque jour aux ouvriers : « Vous êtes hors-jeu, vous n’êtes plus rien. On ne va même pas prendre la peine de démolir vos usines, pour faire des parcs de loisirs pour vos enfants, ou pour planter des arbres, pour que vous ayez une fin de vie heureuse. Vous allez crever. »

Comment s’exerce aujourd’hui ce que vous nommez « la violence des riches » ?

C’est une violence inouïe. Qui brise des vies, qui atteint les gens au plus profond de leur corps, de leur estime, de leur fierté du travail. Être premier dans les pôles d’alternateur pour automobiles, c’est faire un travail de précision, c’est participer à la construction des TGV, à l’une des fiertés françaises. Casser cela est une violence objective, qui n’est ni sournoise ni cachée, mais qui n’est pas relayée comme telle par les politiques, par les médias, par ces chiens de garde qui instillent le néolibéralisme dans les cerveaux des Français. Pour que ceux-ci acceptent que les intérêts spécifiques des oligarques, des dominants, des riches, deviennent l’intérêt général.

Comment cette violence objective se transforme-t-elle en assujettissement ?

C’est une forme d’esclavage dans la liberté. Chacun est persuadé qu’il est libre d’organiser son destin, d’acheter tel téléphone portable, d’emprunter à la banque pendant 30 ans pour s’acheter un petit appartement, de regarder n’importe quelle émission stupide à la télévision. Nous essayons de montrer à quel système totalitaire cette violence aboutit. Un système totalitaire qui n’apparaît pas comme tel, qui se renouvelle chaque jour sous le masque de la démocratie et des droits de l’homme. Il est extraordinaire que cette classe, notamment les spéculateurs, ait réussi à faire passer la crise financière de 2008 – une crise financière à l’état pur – pour une crise globale. Leur crise, est devenue la crise. Ce n’est pas une crise, mais une phase de la guerre des classes sans merci qui est menée actuellement par les riches. Et ils demandent au peuple français, par l’intermédiaire de la gauche libérale, de payer. Et quand on dit aux gens : « Ce n’est quand même pas à nous de payer ! », ils répondent : « Ah, mais c’est la crise »

Pourquoi et comment les classes populaires ont-elles intégré cette domination ?

C’est une domination dans les têtes : les gens sont travaillés en profondeur dans leurs représentations du monde. Cela rend le changement difficile, parce qu’on se construit en intériorisant le social. Ce que vous êtes, ce que je suis, est le résultat de multiples intériorisations, qui fait que je sais que j’occupe cette place-là dans la société. Cette intériorisation entraîne une servitude involontaire, aggravée par la phase que nous vivons. Avec le néolibéralisme, une manipulation des esprits, des cerveaux, se met en place via la publicité, via les médias, dont les plus importants appartiennent tous à des patrons du CAC 40.

Sommes-nous prêts à tout accepter ? Jusqu’où peut aller cette domination ?

Dans une chocolaterie qu’il possède en Italie, le groupe Nestlé a proposé aux salariés de plus de cinquante ans de diminuer leur temps de travail [4], en échange de l’embauche d’un de leurs enfants dans cette même entreprise. C’est une position perverse, cruelle. Une incarnation de ce management néolibéral, qui est basé sur le harcèlement, la culpabilisation, la destruction. Notre livre est un cri d’alerte face à ce processus de déshumanisation. On imagine souvent que l’humanité est intemporelle, éternelle. Mais on ne pense pas à la manipulation des cerveaux, à la corruption du langage qui peut corrompre profondément la pensée. Le gouvernement français pratique la novlangue : « flexi-sécurité » pour ne pas parler de précarisation, « partenaires sociaux » au lieu de syndicats ouvriers et patronat, « solidarité conflictuelle ». Le pouvoir socialiste pratique systématiquement une pensée de type oxymorique, qui empêche de penser. Qui nous bloque.

Les riches entretiennent une fiction de « surhommes » sans qui il n’y aurait pas travail en France, estimez-vous. Menacer les riches signifie-t-il menacer l’emploi ?

Cette menace est complètement fallacieuse. Dans la guerre des classes, il y a une guerre psychologique, dont fait partie ce chantage. Mais que les riches s’en aillent ! Ils ne partiront pas avec les bâtiments, les entreprises, les autoroutes, les aéroports… Quand ils disent que l’argent partira avec eux, c’est pareil. L’argent est déjà parti : il est dans les paradis fiscaux ! Cette fiction des surhommes fonctionne à cause de cet assujettissement, totalitaire. Quand on voit le niveau des journaux télévisés, comme celui de David Pujadas, il n’y a pas de réflexion possible. En 10 ans, les faits divers dans les JT ont augmenté de 73 % !

Certains se plaignent d’une stigmatisation des « élites productives ». Les riches ont-ils eux aussi intériorisé ce discours, cette représentation ?

Notre livre s’ouvre sur une citation extraordinaire de Paul Nizan [5] : « Travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il est nécessaire [à la bourgeoisie] de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui ». C’est pour cela que cette classe est tout le temps mobilisée : les riches ont sans cesse besoin de légitimer leur fortune, l’arbitraire de leurs richesses et de leur pouvoir. Ce n’est pas de tout repos ! Ils sont obligés de se construire en martyrs. Un pervers narcissique, un manipulateur, passe en permanence du statut de bourreau à celui de victime, et y croit lui-même. C’est ce que fait l’oligarchie aujourd’hui, par un renversement du discours économique : les riches seraient menacées par l’avidité d’un peuple dont les coûts (salaires, cotisations…) deviennent insupportables. On stigmatise le peuple, alors que les déficits et la dette sont liés à la baisse des impôts et à l’optimisation fiscale.

Depuis que le parti socialiste est au pouvoir, qu’est-ce qui a changé ? Y a-t-il eu des améliorations concernant cette violence des riches que vous dénoncez ?

On ne peut pas parler d’amélioration : nous sommes toujours dans un système oligarchique. Nos dirigeants sont tous formés dans les mêmes écoles. Quelle différence entre Dominique Strauss-Kahn et Nicolas Sarkozy ? Je ne suis pas capable de vous le dire. L’histoire bégaye. Un exemple : le secrétaire général adjoint de l’Élysée est actuellement Emmanuel Macron, qui arrive directement de la banque d’affaires Rothschild. Sous Nicolas Sarkozy, ce poste était occupé par François Pérol, qui venait aussi de chez Rothschild. Les banques Lazard et Rothschild sont comme des ministères bis [6] et conseillent en permanence le ministre de l’Économie et des Finances. La mission de constituer la Banque publique d’investissement (BPI) a été confiée par le gouvernement à la banque Lazard… Et la publicité sur le crédit d’impôt lancé par le gouvernement a été confiée à l’agence Publicis. Qui après avoir conseillé Nicolas Sarkozy conseille maintenant Jean-Marc Ayrault. On se moque de nous !

Pierre Moscovici et François Hollande avait promis une loi pour plafonner les salaires de grands patrons [7]. Ils y ont renoncé. Pierre Moscovici a annoncé, sans rire, qu’il préférait « l’autorégulation exigeante ». Des exemples de renoncement, nous en avons à la pelle ! Le taux de rémunération du livret A est passé de 1,75 % à 1,25 %, le 1er août. Le même jour, Henri Emmanuelli, président de la commission qui gère les livrets A [8], a cédé au lobby bancaire, en donnant accès aux banques à 30 milliards d’euros supplémentaires sur ces dépôts. Alors qu’elles ont déjà reçu des centaines de milliards avec Nicolas Sarkozy ! Elles peuvent prêter à la Grèce, au Portugal, avec un taux d’intérêt de 8 ou 10 %… Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), entré en vigueur le 1er janvier 2013, c’est encore 20 milliards d’euros de recettes fiscales en moins chaque année, offerts aux entreprises, et qui plombent le déficit public de façon absolument considérable.

Le Front national a un discours virulent contre les « élites » françaises. N’avez-vous pas peur que votre analyse soit récupérée par l’extrême-droite ?

Nous ne disons pas que les politiques sont « tous pourris », comme le fait le FN. Nous proposons une analyse en terme de classes, pour donner à voir des mécanismes sociaux. Nous cherchons à dévoiler le fonctionnement de cette caste qui casse le reste de la société, dans une logique de prédation qui va se poursuivre dans une spirale infernale. Le Front National désigne comme bouc émissaire l’immigré ou le Rom, donnant en pâture ce qui est visible. Le Rom est d’ailleurs devenu un bouc émissaire transversal à l’échiquier politique, depuis la gauche libérale avec Manuel Valls jusqu’au Front National. Si on doit pointer précisément un responsable à la situation actuelle, c’est plutôt une classe sociale – les riches – et un système économique, le néolibéralisme. Puisqu’il faut des formules fortes : le banquier plutôt que l’immigré !

Vous parlez dans votre ouvrage d’une guerre des classes qui n’est pas sans visage. N’y a-t-il pas un enjeu justement à « donner des visages » à cette classe, comme vous le faites ?

C’est une nécessité absolue. Il faut s’imposer d’acheter chaque année ce bijou sociologique qu’est le palmarès du magazine Challenges. Et s’efforcer d’incarner, de mettre des visages sur cette oligarchie… C’est une curiosité nécessaire, les gens doivent être à l’affût de cette consanguinité, de cette opacité, de la délinquance financière. Nos lecteurs doivent se servir de notre travail pour organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel, empêcher ce sentiment d’impunité qu’ils ont aujourd’hui, car ils savent que personne n’ira mettre son nez dans leurs opérations financières totalement opaques.

Nous avons aussi expérimenté des visites ethnographiques dans les quartiers riches, pour vaincre nos « timidités sociales ». Se promener dans les beaux quartiers, leurs cinémas, leurs magasins, leurs cafés, est un voyage dans un espace social. Il faut avoir de l’humilité pour accepter d’être remis à sa place, ne pas se sentir à l’aise, se sentir pauvre car vous ne pouvez pas vous payer une bière à six euros. Mais c’est une expérience émotionnelle, existentielle, qui permet des prises de conscience. Une forme de dévoilement de cette violence de classe.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

(@AgnesRousseaux)

Photo de une : complexe de Paraisópolis, à proximité d’une favela, au sud de São Paulo (Brésil) / Tuca Vieira

A lire : Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, La violence des riches, Chronique d’une immense casse sociale, Éditions Zones / La découverte, 2013, 256 pages, 17 euros.

Notes

[1] Monique Pinçon-Charlot est sociologue, ancienne directrice de recherche au CNRS. Elle a notamment publié avec Michel Pinçon Les Ghettos du Gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces (Le Seuil, 2007), et Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (Zones/La Découverte, Paris, 2010).

[2] Pour plus d’information sur ce sujet, voir la liste des personnalités qui siègent dans les conseils d’administration des grands musées.

[3] Chiffres établis par le mensuel Alternatives économiques.

[4] De quarante à trente heures par semaine avec simultanément une baisse de salaire de 25 % à 30 %.

[5] Paul Nizan, Les Chiens de garde, 1932

[6] Voir Ces messieurs de Lazard, par Martine Orange, éd. Albin Michel, 2006

[7] Comme cela a été fait pour les grands patrons du secteur public qui ne peuvent plus être payés plus que 20 fois la moyenne des salaires de l’entreprise.

[8] Commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations

lu sur http://www.bastamag.net

Pour Clément : premier bulletin du comité

PC#1_imageLe Comité pour Clément vient de publier le premier numéro de son bulletin. Au sommaire, des textes, dont certains inédits. Le premier, que nous publions ici, revient sur les faits, et rétablit une vérité trop souvent occultée par les délires et les élucubrations de l’extrême droite et de certains médias complaisants. Les suivants rappellent l’engagement de Clément, en particulier dans la lutte antispéciste, la lettre envoyée aux proches de Pavlos, assassiné par l’Aube dorée en Grèce,  et enfin la dernière page revient sur les semaines de mobilisations et d’hommages à Clément au mois de juin dernier.

Le rappel des faits :

Le mercredi 5 juin 2013, trois militants antifascistes et le père de l’un d’entre eux se rendent à une vente privée de vêtements qui permet de profiter de tarifs avantageux. Au sortir de cette vente, alors qu’ils règlent leurs achats, arrivent deux hommes et une femme au look ouvertement néonazi : t-shirts aux inscriptions racistes, bombers, crânes rasés, etc. Deux des trois amis, sortis les premiers, les voient ranger des poings américains dans leur sac à dos qu’ils laissent à la consigne. Le vigile présent à la porte les regarde et leur dit d’un air surpris : « Ça existe encore des gens comme ça ? ».
Pendant ce temps, à l’intérieur du magasin, le troisième copain fait la queue avec son père. Ses convictions antifascistes lui interdisent de rester silencieux devant ces individus dont les tatouages font l’apologie du nazisme, au mépris de ses millions de victimes. Surtout, alors que les groupes violents d’extrême droite prétendent s’approprier nos rues, attaquer les bars homosexuels, ratonner dans les rues et agresser les femmes voilées, nous refusons de détourner le regard.  C’est à ce moment qu’interviennent donc ce qui a été qualifié de provocations. Ce qui permet aujourd’hui de dire que « le groupe d’extrême gauche a été le plus virulent ». Mais réagir verbalement à l’exhibition de symboles racistes et, ici, ouvertement nazis, n’est-ce pas ce que chacun de nous devrait faire ?
Les trois camarades quittent alors la vente et se séparent du père de l’un d’eux qui rentre chez lui. Ils retrouvent alors Clément, amateur de vêtements et de mode, assidu à cette vente qui connaît quotidiennement un nouvel achalandage. Ils lui expliquent qu’il y a des néonazis dans la vente et ils décident de ne pas remonter tant qu’ils sont là maintenant qu’il y a eu un échange verbal.
Ils reçoivent la visite d’un des vigiles du magasin qui leur demande de ne pas créer de problèmes. Ils lui assurent que les bras chargés de leurs sacs de courses, dans une rue passante et en face d’une caméra de surveillance, il faudrait être vraiment stupide pour provoquer une bagarre.
Quelques minutes plus tard, le groupe ressort. Il s’est manifestement étoffé et compte à ce moment-là trois hommes et une femme. Ils se dirigent directement dans leur direction, la main droite dans leur poche. Arrivés à leur niveau, ils s’arrêtent, les regardent. Celui qui s’avérera être Esteban Morillo s’approche. Il avance droit sur Clément. Ses amis le suivent avec des intentions manifestement peu amicales. « N’avance plus, sinon on frappe ! ». L’avertissement lancé par les antifascistes n’a que peu d’effet. Esteban se rue sur Clément, lui donne un premier coup de poing, et il est lui-même frappé par les amis de Clément. Les autres fafs entrent dans la rixe. Ils sont armés. Un cinquième surgit en renfort en brandissant sa ceinture. Clément se trouve seul face à Esteban qui frappe à nouveau. Clément tombe à la renverse. Il ne se relèvera plus.
À côté de son corps inerte et ensanglanté, la bagarre continue. Les coups de poings américains pleuvent. L’un des amis de Clément, bloqué contre le mur face à deux adversaires réussit de justesse à se protéger le visage et fera constater plus tard plusieurs entailles sur son bras. Un autre a le visage marqué par les coups. Au milieu des cris des passants paniqués qui sont les premiers à pouvoir se porter auprès de Clément, les militants d’extrême droite ne se soucient pas une seconde du corps de Clément. Finalement, l’agitation de cette rue commerçante et l’attroupement qui se forme les  décident à prendre la fuite. Deux amis de Clément se lancent à leur poursuite, le troisième se porte auprès de Clément, appelle les secours. Mais il est trop tard. Il est transporté inconscient à l’hôpital où il est déclaré en état de mort cérébrale.
L’extrême droite peut bien tenter le tout pour le tout, parler de légitime défense, inventer des images vidéos, ou un guet-apens. La réalité est bien différente. Huit militants d’extrême droite étaient sur place, dont plus de la moitié expressément appelés pour en découdre avec « les gauches ». La plupart étaient armés. Face à eux, quatre étudiants dont le seul tort est de partager les valeurs de l’antifascisme et d’avoir refusé de baisser les yeux.

Un ami de Clément présent au moment des faits

La contestation de la modernisation industrielle

Des historiens reviennent sur les résistances et les réflexions critiques qui s’opposent au consensus autour de la modernisation des « Trente glorieuses » dans la France de l’après 1945.

Croissance et progrès scientifiques ont alimenté la prospérité de la France entre 1945 et 1975. Les Trente Glorieuses apparaissent comme un mythe indéboulonnable. Ce modèle de société industrielle et technologique permet le développement de la civilisation des loisirs et de la consommation. Des politiciens de gauche et d’extrême gauche aux intellectuels, un regard émerveillé est porté sur ce modèle fordiste de production industrielle et de consommation de masse.

Dans un livre récent, des universitaires critiquent cette vision idyllique de la période des « Trente Glorieuses ». Cette expression s’impose comme une évidence. Pourtant elle est forgée par Jean Fourastié, un expert fervent partisan de la modernisation de la France considérée alors comme une « société bloquée » et engluée dans ses archaïsmes. La France rurale et vieillissante doit devenir urbaine, rajeunie et industrialisée. Pourtant cette marche consensuelle vers le productivisme, décrite dans les manuels d’histoire, se heurte à une forte contestation.

Ses historiens critiques s’attachent à démystifier cette période de modernisation. Derrière un processus présenté comme naturel ils se penchent sur ses acteurs, au service de l’État. L’idéologie de la modernisation occulte les conflits de classe, et notamment la réalité de la vie des ouvriers. Les conséquences écologiques de l’industrialisation et du mode de vie consumériste ne sont pas évoqués par les récits enthousiastes sur la croissance économique. La critique de l’aliénation technologique et de la destruction du lien social a également été marginalisée par les historiens. L’écologie politique découle également d’une critique radicale de la bureaucratie. De nombreuses luttes s’opposent à cette modernisation.

Ce livre permet d’ouvrir la réflexion pour aujourd’hui. L’écologie s’apparente désormais à une idéologie spécialisée et déconnectée de la vie quotidienne. Les luttes contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes ou l’opposition au nucléaire semblent très limitées. Ses simples résistances ne débouchent pas vers une critique de la civilisation industrielle et de l’appauvrissement du vécu.

Les conséquences de la modernisation

La catastrophe écologique découle des choix imposés au cours des Trente Glorieuses. Des conséquences désastreuses caractérisent cette période de croissance et de productivité.

Christophe Bonneuil évoquent la pollution, avec la consommation de pétrole et de charbon. Si le progrès technique augmente les rendements, les ouvriers doivent subir des accidents, des maladies et des nuisances. L’économie repose sur le gaspillage avec une faible durée de vie des produits de consommation. La pollution de l’eau et de l’air se développe avec l’augmentation de la consommation d’énergie. La nourriture subit également la pollution avec le productivisme agricole.

Jean-Baptiste Fressoz et François Jarrige analysent l’idéologie productiviste. Des libéraux aux communistes, l’idée de progrès et de reconstruction devient consensuelle dans la France de l’après guerre. « Le progrès par la technique s’imposait comme un impératif non négociable : les citoyens devaient produire, consommer et s’en remettre, pour le reste, au trio chercheur, entrepreneur et politique », décrivent Jean-Baptiste Fressoz et François Jarrige. Ce compromis fordiste permet d’améliorer les conditions de vie des classes moyennes et populaires. L’histoire économique, incarnée par l’école des Annales, entend fournir une expertise pour permettre la modernisation de la France et éviter les erreurs du passé.

La comptabilité et les standards quantitatifs permettent de construire un récit optimiste, dans le sillage de la « révolution industrielle ». L’augmentation de la croissance devient un objectif consensuel partagé par l’État, les patrons et les syndicalistes. Le progrès technique et l’innovation sont considérés comme les sources de la croissance et de la prospérité économique.

Régis Boulat revient sur la figure de Jean Fourastié, apôtre de la productivité, qui invente l’expression des « Trente Glorieuses ». Ce technocrate contribue « à familiariser les élites économiques et le public cultivé à l’idée d’une évolution inévitable vers une société de loisirs et d’abondance, grâce au progrès technique et au productivisme », décrit Régis Boulat.

Gabrielle Hecht revient sur l’histoire du nucléaire en France, qui s’inscrit pleinement dans la mythologie des Trente glorieuses. L’historienne souligne la dimension « technopolitique » de l’atome : les dimensions technique et politique se confondent.

Le nucléaire, civil ou militaire, participe à l’identité nationale. L’Empire colonial permet l’exploitation de l’uranium.

La contestation politique de la modernisation

Avant Mai 68 et l’émergence du mouvement écologiste se développe une contestation du mode de vie, de production et de consommation de la société française de l’après-guerre. Cette critique de l’aliénation attaque la monotonie, la perte d’intériorité et de liberté. Mais cette critique du progrès et du capitalisme moderne devient rapidement stigmatisée et marginalisée. Les opposants à la modernisation sont considérés comme étant à rebours de l’histoire et attachés à une France rurale jugée pétainiste. L’expertise permet également de dépolitiser les débats.

Sezin Topçu évoque les résistances au nucléaire, civil ou militaire.

L’historiographie dominante renvoie la contestation de l’arme atomique à une simple instrumentalisation du Parti communiste dans un contexte de guerre froide. L’angoisse face au nucléaire, bien que refoulée, existe réellement. La construction du centre de Saclay est contestée par des paysans et des riverains. Le mouvement pacifiste, d’inspiration chrétienne et communiste, propose une critique morale de la bombe H. Le mouvement pacifiste dénonce également les risques sanitaires et environnementaux de la radioactivité des essais nucléaires. Cette critique ouvre vers une dénonciation globale de l’atome, que son utilisation soit militaire ou civile.

« Le risque apocalyptique dans un premier temps, le risque sanitaire dans un second temps, provoquèrent diverses formes de contestations et mobilisations bien avant 1968 », décrit Sezin Topçu. L’historienne évoque ensuite la marginalisation de cette critique. La propagande officielle défend l’atome. La société de consommation augmente les besoins en énergie et favorise ainsi le développement de l’électricité nucléaire. La publicité incite à acheter toujours plus d’équipements électroménagers. Des films banalisent l’atome. Inversement, les oppositions au nucléaire sont considérées comme pathologiques, et non comme politiques, renvoyées à une peur du progrès et à un attachement à un archaïsme désuet.

Le sociologue Alain Touraine insiste sur les « nouveaux mouvements sociaux » des années 1970. Il tend alors à effacer la mémoire des luttes contre le nucléaire qui émergent avant Mai 68.

Renaud Bécot évoque la contestation du productivisme par le mouvement ouvrier. Aujourd’hui, les syndicats semblent nostalgiques de la société des Trente glorieuses et de l’industrialisation. Pourtant, la croissance n’occupe pas une place centrale dans l’histoire ouvrière, contrairement à ce que prétendent les écologistes.

Dans l’immédiat après-guerre, les syndicats défendent une société d’abondance fondée sur le travail. Pourtant, les ouvriers observent que l’augmentation de la productivité ne permet pas une amélioration de leurs conditions de vie. La croissance industrielle, avec ses risques sanitaires, favorise surtout une dégradation des conditions de travail. La CGT ne conteste pas forcément le progrès technique mais surtout la gestion de ces innovations par les entreprises. Le syndicat dénonce « une démarche capitaliste de rentabilité et d’accélération du rythme de travail, affectant la sécurité des salariés et négligeant les besoins réels des populations », décrit Renaud Bécot.

Nicolas Hatzfeld observe les luttes ouvrières à Peugeot-Sochaux. Les revendications syndicales évoluent à la fin des années 1950 et ne se limitent plus à un cadre quantitatif. Ses revendications sont alors « posées en termes de cadences, de programme de production, d’engagement, d’équilibrage… bref, en termes se référant aux nouvelles règles d’organisation du travail », analyse Nicolas Hatzfeld. L’intensification du travail et les cadences deviennent la cible de la contestation ouvrière. Les préoccupations sanitaires deviennent importantes. A partir de 1959, la CFDT développe une critique du progrès et prend en compte les facteurs environnementaux dans son projet de planification démocratique. « En procédant ainsi, ils refusaient de fragmenter la réponse aux enjeux environnementaux et entendaient lier ses choix à la transformation des modèles de production et de consommation », observe Renaud Bécot.

La CFDT n’hésite pas à attaquer la société de consommation. En 1963, le syndicat dénonce même un « embourgeoisement des travailleurs ». Les structures de production et de consommation sont critiquées, tout comme le mode de vie des classes populaires. En 1965, la CFDT critique cette individualisation par la consommation. Même si la lutte contre l’exploitation du travail demeure centrale. Toutefois, cette préoccupation des enjeux environnementaux distingue la CFDT de la CGT qui semble plus scientiste. La CFDT critique même l’urbanisme. La lutte pour le logement s’articule avec une amélioration du cadre de vie.

L’écologie se réduit aujourd’hui à une morale qui valorise des comportements individuels. Renaud Bécot souligne que, inversement, « les analyses syndicales passées suggèrent une approche alternative, qui réhabilite les capacités d’action sociale face à la crise écologique ».

La critique intellectuelle de la société moderne

Christian Roy présente la critique de la technique issue du milieu chrétien. Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, proches de la revue Esprit, critiquent la société des Trente glorieuses. A partir des années 1970, ils influencent les courants de l’écologie radicale et de la critique de la science.

Bernard Charbonneau dialogue avec le personnalisme et Emmanuel Mounier. Mais il critique le progrès technique avec des objets comme l’automobile. Il propose même un « effort pour modifier les structures de notre civilisation ». Il attaque également l’État avec son organisation qui impose une domination rationnelle et efficace. L’État s’apparente alors à une machine sociale.

Bernard Charbonneau se distingue au sein de la nébuleuse personnaliste. Il s’oppose à Mounier qui embrase joyeusement le processus de modernisation. Il s’oppose également à Bernanos. Cet écrivain dénonce un monde de robots mais ne cesse de défendre la nation et la religion traditionnelle comme seuls recours. Pourtant, Bernanos dénonce également la civilisation moderne comme une « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Il réhabilite la dimension spirituelle contre la froide mécanique des objets matériels.

Bernard Charbonneau défend le monde paysan contre la modernisation productiviste à laquelle collaborent les syndicats des agriculteurs. Il s’oppose notamment à la FNSEA dirigée par les Jeunesses agricoles chrétiennes (JAC). Il refuse pourtant de se joindre à des mouvements réactionnaires et poujadistes mais insiste sur l’importance de l’agriculture biologique. En revanche, Bernard Charbonneau demeure critique face aux utopies communautaires qui fleurissent après Mai 68. Ce mouvement « ne réalise aucun de ses rêves d’abolition de l’usine, de la caserne, de l’école », observe Bernard Charbonneau.

Kristin Ross se penche sur la critique de la vie quotidienne. A partir des années 1950 une vie familiale de classe moyenne se soumet au cadre standardisé de la consommation et des loisirs.

Cette critique de la vie quotidienne refuse le cloisonnement des disciplines universitaires. Ce courant intellectuel rejette également le structuralisme qui insiste sur les habitudes et la reproduction des structures sociales.

Des auteurs comme Henri Lefebvre ou Roland Barthes observent l’arrivée des biens de consommation de masses dans la vie quotidienne. Ils estiment que le capitalisme moderne modifie l’expérience vécue. La revue Arguments incarne la nouvelle gauche intellectuelle influencée par un marxisme hétérodoxe. Cette revue se penche sur des sujets peu académiques, comme l’amour. « Cela signifiait prendre au sérieux la « culture » et les formes de plaisir comme une dimension sans laquelle les transformations historiques, passées et présentes, ne pourraient tout simplement pas être pensées correctement », souligne Kristin Ross. Les pratiques de consommation sont analysées car elles participent à la légitimation du système marchand. L’idéologie n’est plus considérée comme une superstructure extérieure aux individus mais comme le résultat des actions humaines.

La critique de la vie quotidienne dénonce une expérience vécue organisée, canalisée et codifiée à travers des modèles répétitifs. Un mode de vie standardisé et routinier s’impose. « Mais le quotidien chez Lefebvre portait à la fois la possibilité de la réalisation des besoins et des désirs humains et celle de leur non-réalisation », précise Kristin Ross. Le quotidien n’est pas simplement morne et inauthentique mais peut également ouvrir de nouvelles possibilités d’existence. La culture populaire et les biens de consommation contiennent également des désirs bien réels. « L’aliénation dans la vie quotidienne doit être située dans une tension dialectique avec les forces de la critique et de l’émancipation », souligne Kristin Ross.

La critique situationniste du capitalisme moderne

Patrick Marcolini présente la critique situationniste du capitalisme moderne. Ce mouvement s’inscrit dans le sillage des avant-gardes artistiques et de la révolte esthétique et politique issue du romantisme révolutionnaire. Ses mouvements critiquent les conditions de vie qui s’imposent à leur époque. L’Internationale situationniste (IS) semble influencée par le surréalisme et le lettrisme avant de se tourner vers les émerges du marxisme et de l’anarchisme. « Quoi qu’il en soit, tout au long de cette trajectoire, création et subversion, « critique de la vie quotidienne » en régime capitaliste et expérimentation de nouvelles formes d’expériences désaliénées, restent pour les situationnistes impossibles à distinguer les unes des autres », souligne Patrick Marcolini. L’IS dénonce la société des années 1950 et 1960 avec la banalité de l’existence qui se réduit à une accumulation de produits de consommation. « Entre l’amour et le vide-ordures automatique, la jeunesse a fait son choix et préfère le vide-ordures », ironise Gilles Ivain en 1958.

Les situationnistes attaquent l’emprise de l’urbanisme sur la vie quotidienne. A travers la dérive, ils expérimentent les possibilités de s’approprier l’espace urbain. Cette pratique doit déboucher vers une transformation de la ville et de son architecture pour multiplier les possibilités de parcours et de rencontres. Cette démarche doit « favoriser la construction consciente des situations de la vie quotidienne en vue de leur donner une intensité poétique ou affective particulière », souligne Patrick Marcolini. Un « urbanisme nouveau » doit permettre une traversée de la ville qui s’apparente à un éternel voyage. L’architecture, les ambiances, les émotions doivent correspondre aux désirs des habitants. Chacun peut traverser la ville en se laissant bercer par les atmosphères différentes et les nouvelles rencontres. Cette utopie dénonce l’urbanisme des années 1960, incarné par Le Corbusier, avec ses HLM et son architecture morne et standardisée. La traversée de la ville devient alors une routine sinistre. L’urbanisme moderne organise la ville autour du travail, du logement et des loisirs. Contre cette planification de l’ennui, les situationnistes privilégient le hasard et la poésie. Ils dénoncent également cet urbanisme qui impose un quadrillage de l’espace urbain pour faire de la ville un décor artificiel.

Les situationnistes estiment que le mode de vie moderne impose une atomisation des individus. La division de travail, toujours plus spécialisée, alimente une individualisation qui détruit les communautés humaines. Le travail, vide de sens, est « ramené à une exécution pure, donc rendue absurde », analyse Guy Debord en 1960. Les situationnistes sont influencés par Socialisme ou barbarie. Ce groupe révolutionnaire observe les conditions de travail de la classe ouvrière et lutte pour les Conseils ouvriers afin de permettre une réorganisation de la production par les travailleurs eux-mêmes. Mais les situationnistes insistent sur la perte de sens avec une existence réduite à la routine du travail et de la consommation. La société moderne impose une standardisation des comportements et des modes de vie. Guy Debord analyse l’aliénation moderne et la « société du spectacle » qui réprime les désirs pour construire de faux besoins.

Malgré l’accumulation d’objets de consommation, un appauvrissement de la vie quotidienne s’observe. En 1961, l’IS estime que « les gens sont aussi privés qu’il est possible de communication ; et de réalisation d’eux-mêmes ». L’IS dénonce la richesse quantitative et propose une amélioration qualitative de la vie à travers une « intensité du vécu ». La routine et l’ennui doivent être remplacés par la fête, le jeu, le plaisir d’un dialogue amical ou d’une rencontre amoureuse. Les situationnistes attaquent la société moderne. Ils remettent en cause le règne de l’économie, « comme obsession du calcul et du quantitatif, étendue à tous les domaines de la vie humaine et devenue fin en soi », résume Patrick Marcolini.

Les idées situationnistes se diffusent progressivement. L’IS semble d’abord s’adresser aux milieux artistiques et politiques. Mais sa critique originale influence toute une partie de la jeunesse. C’est la révolte de Mai 68 qui permet de donner un large écho aux idées situationnistes. Mais cette réflexion retourne rapidement dans l’oubli. Le postmodernisme supplante les théories révolutionnaires. Ensuite les situationnistes refusent de se conformer aux codes de la bienséance intellectuelle et académique. Ils pratiquent le scandale et l’insulte. Ils utilisent l’humour et l’érotisme. Les historiens préfèrent donc ne pas évoquer cette aventure intellectuelle, jugée trop peu sérieuse et légitime.

Malgré leur critique du capitalisme technocratique et de la modernité marchande, les situationnistes partagent une fascination pour la techno-science. Pourtant, leur réflexion alimente une critique du progrès industriel et de l’aliénation dans la vie quotidienne.

Source : Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil (dir.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestation et pollutions dans la France d’après-guerre, La Découverte, 2013

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Henri Lefebvre et le romantisme révolutionnaire

Romantisme révolutionnaire et lutte des classes

Facebook et l’aliénation technologique

Pour aller plus loin :

Christophe Bonneuil, « Les Trentes Glorieuses étaient désastreuses« , propos receuillis par Anthony Laurent, publié sur le site Reporterre le 5 octobre 2013

Radio : Emission Terre à Terre diffusée sur France Culture le 30 novembre 2013

Vidéo : conférence « Ecologie et politique : un nouveau contrat ?« , enregistrée le lundi 19 mars 2012 à l’EHESS

Vidéo : François Jarrige, Séminaire « L’organisation du travail doit-elle nous pourrir la vie ?« 

Radio : « Au nom de la société industrielle et moderne, une histoire du risque« , émission La marche des sciences diffusée sur France Culture le 14 juin 2012

Sara Angeli Aguiton, Céline Pessis et Renaud Bécot, « Montée en généralité des luttes contre les grands projets inutiles et imposés« , publié le 27 juillet 2012 sur le site de la revue Contretemps

Bernard Charbonneau sur la critique de la valeur, articles publiés sur le blog palim-psao

GO CHECK:http://zones-subversives.over-blog.com

Le GARAP sur Soral en 2009: »Les sots râlent et la bourgeoisie se prélasse (1), Exécution sommaire des aboyeuses sous-fascistes »

Depuis quelques années, une coalition d’énergumènes identitaires tente laborieusement d’engrainer les plus crédules issus des classes opprimées (sous-prolétariat, prolétariat, petite bourgeoisie) pour escorter les exactions ad nauseam de l’ultra réaction institutionnalisée. 
La posture offensive de ces guignols, caractérisée par une hargne sans limite doublée d’une stupidité crasse, renvoie à des marottes idéologiques par trop éculées d’avoir pourri dans la gueule du fascisme. Ceci dit, leur mode d’action peut impressionner au premier abord. Tranchant avec la docilité d’une gauche et d’une extrême gauche putréfiées, le ton colérique d’un Alain Bonnet de Soral, les assertions tonitruantes de Thierry Meyssan ou le verbiage comminatoire d’un Stellio Gilles Robert Capochichi (dit « Kemi Seba »), sont autant d’apparats séducteurs pour qui se trouve légitimement submergé par les motifs de révolte sociale. Mais, alors que cet assemblage bricolé de pourfendeurs du sionisme mondialiste s’épanche dans un tapage très médiatisé, on pourrait croire qu’une énième résurgence du fascisme est en marche. Pourtant, loin de constituer des forces anciennes sous des apparences nouvelles, ce secteur d’agitateurs est, en vérité, un agglomérat mal agencé de groupuscules politico-religieux guidés par d’arrivistes transfuges venus ramasser la matraque d’une extrême-droite dissoute dans la dictature en construction. Le vieux fascisme est vaincu et ne reviendra plus, mais il n’en constitue pas moins une base idéologique et organique du présent capitalisme suicidaire. En 60 ans, jamais l’appareil d’Etat n’a été aussi répressif, omnipotent et doté d’institutions anti-démocratiques. Jamais les organisations patronales n’ont été autant articulées sur des principes et méthodes réactionnaires. Jamais l’ensemble des représentations ouvrières n’a été aussi intégré à la gestion de la déroute du prolétariat. La dictature à l’œuvre, fille de tous les fascismes, n’a plus besoin de formules politiques jadis nécessaires à d’aventuristes dévalorisations du coût du travail qui ne pouvaient reposer que sur l’embrigadement massif.

Pour autant, les gesticulations de ce nationalisme bigarré sont bel et bien dangereuses, sa fonction objective étant de semer des frontières ethniques, religieuses et communautaires à l’intérieur du camp des exploités afin de participer à leur pacification, exigence permanente de la gouvernance globale. 
Les dégâts potentiels de tels saboteurs sont d’autant plus graves que la culture et la mémoire prolétariennes ont subi ces 5 dernières décennies les assauts les plus violents d’une société spectaculaire marchande à la force de pénétration inédite. La régression de la conscience de classe au profit de l’individualisme consumériste est le creuset d’une réceptivité populaire aussi désemparée que naïve face aux charlatans du conservatisme contestataire. Incomparables avec les vieilles formations d’extrême droite, tant dans leurs moyens (une capacité d’enrégimentement relativement faible au regard des ligues fascistes), leur forme d’expression (un charabia pauvre comparé à l’intellectualisme des vieilles élites fascistes) et d’organisation (des réseaux souples, peu exigeants avec leur membres, attirés par le coup d’éclat et non par l’action séditieuse) que dans leur but réel (accompagner le pouvoir et non le prendre), ces formations d’appui aux frappes bourgeoises peuvent donc revêtir, par soucis de clarification, le qualificatif de sous-fascistes. Le combat révolutionnaire ne saurait ainsi se priver de conceptualiser des réalités nouvelles contre lesquelles le pouvoir de classe espère le voir inadapté et donc désarmé. Par conséquent, il convient de procéder méticuleusement à une exécution sommaire de ces bouffons criards qui, affublés d’attributs propres à notre classe, croient pouvoir substituer leur chauvinisme capitulard à la révolution prolétarienne salvatrice.


Dissection d’une pensée sous-fasciste : le cas Alain Soral

Analyser la pensée d’Alain Bonnet de Soral, plus connu sous le nom d’Alain Soral, est important dans ce contexte de crise économique propice à la propagation de discours fascistes. 
Ce genre de discours a d’autant plus de risques de gagner en influence que ladite crise a révélé la lâcheté, la veulerie, la trahison des partis de gauche et d’extrême-gauche.

En outre, Soral est suffisamment habile pour saupoudrer ses diatribes de réflexions apparemment progressistes et de critiques relativement pertinentes de divers groupements politiques (le NPA, Bertrand Delanoë et son équipe municipale…) ou phénomènes de société (le communautarisme, le « féminisme » de la bourgeoisie…).
Ce faisant, il espère endormir la vigilance de son auditoire et, ainsi, faire passer « en fraude » sa camelote d’extrême-droite.

Nous avons divisé notre analyse visant à démont(r)er l’imposture soralienne en 7 thèmes :

1°) Doubles discours et contradictions ;
2°) Récupération au profit de l’extrême-droite d’auteurs, de pratiques et de combats qui ne sont pas les siens ;
3°) Fascisme et poujadisme ;
4°) Antisémitisme ;
5°) Stalinisme ;
6°) Apologie de régimes répressifs ;
7°) Arrivisme et haine de classe.

Cette division est en partie arbitraire puisque certaines déclarations d’Alain Soral peuvent avoir leur place dans plusieurs des thèmes ci-dessous développés.

1°) Doubles discours et contradictions

Soral a compris que, s’il veut « ratisser large », il doit avoir un discours flou et changeant, et savoir « s’adapter à son public ». 
Cette faculté d’adaptation lui permet, certes, d’espérer rencontrer du succès au-delà des seuls nostalgiques du IIIè Reich… Mais c’est au prix de ridicules pirouettes théoriques et pratiques.

Soral, qui n’hésite pas à se dire « marxiste », considère pourtant qu’il existe un « intérêt général des citoyens du monde »… Une négation en paroles de l’existence de la lutte des classes… Mais aussi et surtout un propos bien dans l’air du temps qui, n’en doutons pas, plaira aussi bien aux citoyennistes d’ATTAC qu’aux fachos partisans de l’association Capital/Travail !
C’est sans doute en qualité de « marxiste » que Soral qualifie le FN de« mouvement qui évolue vers la vraie gauche, la gauche sérieuse, la gauche économique ». Dans la foulée de cette affirmation hasardeuse, Soral conseille de lire « le programme économique » du Front National. Merci du conseil, Alain ! Une petite visite sur le site du FN peut toujours servir, effectivement ! Même si – crise économique oblige – le FN passe désormais sous silence ses propositions les plus ouvertement pro-patronales (sur la Sécurité sociale, notamment), il reste encore largement assez de « matière » sur leur site pour voir que ce parti est à 100% au service de la bourgeoisie. En vrac : « libérer au maximum l’entreprise des contraintes de toute nature qu’elle subit », « libérer le travail et l’entreprise de l’étatisme, du fiscalisme et du réglementarisme », « renégociation de la durée hebdomadaire du temps de travail par branches d’activité. Permettre en particulier de gagner plus à ceux qui travaillent plus », « simplification du Code du travail », « créer un cadre favorable à l’entreprise, notamment aux PME », « baisser la pression fiscale » et notamment l’impôt sur la fortune et l’impôt sur les sociétés, développer les « régimes de retraite complémentaire par capitalisation », « assurer un service minimum dans les services publics », « obtenir des économies budgétaires en réorganisant la Fonction publique, par l’introduction du principe de mobilité et le non-remplacement d’une partie des départs en retraite ». Ah ! c’est donc ça la « vraie gauche » ! fallait y penser… Avec une telle conception de la « gauche économique », il n’est pas étonnant que Soral puisse dénoncer la « société d’assistanat » tout en continuant à se prétendre « marxiste »…

Soral affirme, à propos de la police et de l’armée : « il y a très longtemps que ces gens-là n’ont plus aucun pouvoir en France, on peut leur cracher à la gueule tant qu’on veut » et qualifie les flics de « pauvres fonctionnaires qu’ont le plus haut taux de suicide de France ». Mais il affirme par ailleurs « nous sommes dans un régime totalement policier et totalitaire […] on est dans une société intégralement policière et dégueulasse ». La France, « régime totalement policier et totalitaire »… où les flics « n’ont plus aucun pouvoir » depuis « très longtemps » ? La contradiction est évidente, mais Soral espère probablement séduire les jeunes de banlieue et une partie de l’extrême-gauche avec sa rhétorique pseudo-libertaire et anti-keuf, tout en rassurant ses soutiens (et souteneurs) d’extrême-droite avec un discours plus traditionnel sur le thème de l’autorité qui n’est plus respectée. (Au passage, nous ne saurions trop conseiller aux partisans d’Alain Soral de tester la validité des assertions de leur Grand Chef en « crachant à la gueule » de tous les flics qu’ils croisent. Avec un peu de chance, à force de coups de tonfa et de GAV, ils deviendront d’authentiques révolutionnaires.)

Il y a quelques années, Soral évoquait « l’inculte – et désormais pas drôle – Dieudonné » (Alain Soral,Abécédaire de la bêtise ambiante, Jusqu’où va-t-on descendre ?, Pocket, Paris, 2003, p. 112). Il lui reprochait notamment de ne pas oser montrer du doigt cette « communauté invisible certes surreprésentée dans le show-biz en termes de quotas, mais à laquelle il doit aussi son doux statut de rigolo » (Ibid., p. 114). « Communauté invisible », comprendre : les Juifs. Soral fait désormais liste commune avec « l’inculte » Dieudonné aux élections européennes de 2009… L’humoriste ( ?) est pourtant au moins aussi con aujourd’hui qu’en 2002, lorsque Soral écrivait ces lignes… En revanche, il est vrai qu’en matière d’antisémitisme, Dieudonné a accompli d’immenses « progrès » ces derniers temps !

Même type de revirement concernant les Arabes et/ou musulmans. Soral affirmait l’année dernière : « Aujourd’hui, on voit très bien que le Système diabolise les maghrébins. […] Vous Français arabo-musulmans et nous Français du Front National sommes diabolisés par le même système […] Toutes les saloperies qu’on raconte aujourd’hui sur les maghrébins de banlieue, sur les ‘kärchérisables’, c’est les mêmes qu’on a racontées sur Le Pen et les gens du Front National… et elles sont aussi fausses ! » Soral souffre sans doute d’amnésie, il nous faut donc lui rappeler ses positions antérieures sur le sujet : « Leur seul espoir [aux Algériens], c’est qu’on y retourne [en Algérie]. » (Ibid., p. 15) ou « celui qui se comporte en colon, de plus en plus c’est le Beur » (Ibid., p. 99) ou : la France devient « un pays d’Anglo-Saxons névrosés envahis de Maghrébins hostiles » (Ibid., p. 124) ou encore, à propos de la situation en banlieue populaire dans les années 60 : « Les seuls qui posaient problème, déjà, c’étaient les Algériens qui se tenaient à l’écart dans la solitude, la peur, l’islam et la Sonacotra, et dont les jeunes, peu nombreux encore, foutaient déjà la merde » (Ibid., p. 40). Soral est démasqué par ses propres écrits : il fait partie de ce Système qui « diabolise les maghrébins », qui « raconte des saloperies sur eux » ! Il est vrai qu’il a, depuis, changé radicalement de stratégie à leur égard : il espère même les incorporer à l’ « avant-garde » des bataillons d’extrême-droite : « Les premiers qui devraient se battre pour la préférence nationale, ça devrait être les Français d’origine immigrée, parce que c’est eux que [l’immigration] met le plus en danger. » Soral se plaît à répéter que le Système « divise pour mieux régner » : c’est indéniable… Tout aussi indéniable que le fait que lui-même divise pour mieux régner ! Après avoir fait des maghrébins des boucs-émissaires, il leur conseille de se retourner contre les nouveaux arrivants en France et, au passage, il se dédouane de ses propres responsabilités en accusant un « Système » (impersonnel) d’être à l’origine de leur stigmatisation.

Dans cette même optique, lors d’une conférence à Fréjus en 2008, Soral a affirmé à propos des exactions commises aux Invalides lors d’une manifestation le 23 mars 2006 : « Moi j’étais très content de voir, effectivement, le ‘bolossage’ des petits cons du CPE… Tout ça est quelque part bon signe. » Le plus amusant est que les fafs présents dans la salle ont applaudi ces propos d’Alain Soral ! Les mêmes qui, en d’autres circonstances, mettent en avant l’existence d’un racisme anti-blanc pour convaincre les électeurs d’accorder leurs suffrages à l’extrême-droite… Bonjour l’hypocrisie…

Ultime contradiction, à propos de ses opposants, Soral affirme : « ces gens-là ne vous sortent que des références des années 30 »… Or, lui-même ne se gêne pas pour « sortir des références des années 30 », en se réclamant notamment des pacifistes de cette période qui, se plaint-il, ont eu de gros problèmes après la guerre. De deux choses l’une. Ou bien les connaissances historiques de Soral sont très limitées (ce qui, après tout, n’est pas à exclure)… Ou bien il n’ose pas se réclamer trop explicitement de Jacques Doriot, Marcel Déat, Fernand de Brinon et autres « pacifistes des années 30 » qui ont été inquiétés à la Libération, non pas pour pacifisme mais… pour collaboration avec les nazis ! Soral fait parfois preuve d’un peu plus de discrétion et brouille les cartes en se faisant passer pour un « homme de progrès »…

2°) Récupération au profit de l’extrême-droite d’auteurs,
de pratiques et de combats qui ne sont pas les siens

Les diatribes de Soral sont truffées de références, parfois explicites, à des auteurs qui ne sont pas d’extrême-droite. C’est bien connu : la culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. 
Soral tient donc à nous faire savoir qu’il a lu Guy Debord (tout en affirmant par ailleurs qu’il est « la partie de l’œuvre de Marx accessible aux publicitaires », Ibid., p. 96 ), Jean-Claude Michéa, Michel Clouscard (référence à « l’idéologie du désir » ou dénonciation de la récupération de Nietzsche par des intellectuels de gauche), Pier Paolo Pasolini (« codes intégralement fascistes de la mode »), Pierre Clastres…
De là où ils sont, Debord, Pasolini et Clastres ne risquent pas de protester… Concernant Michéa : les thèses qu’il développe dans ses essais sont contestables, mais il n’en reste pas moins évident que c’est de manière abusive que Soral se sert d’elles comme caution à sa prose d’extrême-droite. Nous ne pouvons que vous inviter à vous faire votre propre opinion en lisant L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernesImpasse Adam SmithL’empire du moindre mal, et cætera.
Quant à Michel Clouscard (dont les thèses sont, là aussi, contestables – mais, présentement, là n’est pas la question), dans une tribune libre dans L’Humanité (30 mars 2007), il a tenu à préciser qu’ « associer […] d’une manière quelconque nos deux noms [le sien et celui de Soral] s’apparente à un détournement de fonds. Il s’avère qu’Alain Soral croit bon de dériver vers l’extrême droite (campagne pour le FN). Il veut y associer ma personne, y compris en utilisant mes photos à ma totale stupéfaction. Je n’ai en aucun cas autorisé Alain Soral à se prévaloir de mon soutien dans ses menées prolepénistes. Le Pen est aux antipodes de ma pensée. » Clouscard étant décédé le 21 février 2009, gageons que le fossoyeur Soral va pouvoir reprendre tranquillement son « détournement de fonds »…

Soral se plaît également à affirmer que « Marx voterait aujourd’hui Le Pen. » Sans doute conscient que cet « argument » est trop visiblement spécieux, il prétend aussi que votent pour le FN « des branchés, des marginaux, […] des anciens d’Action Directe »… A défaut de correspondre à une quelconque réalité, cette façon de présenter l’électorat FN est bien plus sympatoche que celle qui dépeindrait les partisans de Le Pen sous les traits de bourges de la région PACA, de vieilles rentières, de boneheads alcooliques (ah ouais mais nan… eux, faudrait déjà qu’ils trouvent le bureau de veaute) ou encore de petits patrons/commerçants/artisans (qui ont eu l’occasion de montrer, tout au long du XXe siècle, qu’ils constituaient le terreau de toutes les réactions).
Dans la même veine, Soral reprend à son compte le concept de décroissance, se dit « assez proche de certains écologistes ». Il évoque aussi « un processus de domination par l’intégration du flic ». Ce qui est juste, seulement voilà : ça sonne très « Mai 68 » (cf. les slogans du style « Tue le flic qui est dans ta tête. ») dont Soral est, comme chacun sait, un contempteur ! Plus fort encore, il s’imagine même rejoindre un jour « les anti-système radicaux qui vivent uniquement de récup’ dans les poubelles, et dans des endroits squattés » et il n’hésite pas à prendre la défense de Julien Coupat. Et puis quoi, ensuite ? Une apologie des black-block ? A un tel stade d’opportunisme et de démagogie, tout est possible…

Démagogie toujours, lorsque Soral justifie son soutien aux PME en disant que des « économistes marxistes » prônaient un tel soutien dès les années 90. « Économistes marxistes » que, bien sûr, il ne cite pas… Et pour cause puisque soit ils n’existent pas, soit ils ne sont pas marxistes !

Alain Soral se réclame abusivement de la « dialectique. » En fait, il ne s’agit que d’un artifice rhétorique bien commode dont il use à chaque fois que son arrivisme ou sa médiocrité intellectuelle menacent d’éclater au grand jour. Ainsi, à ceux qui s’étonnent de sa trajectoire politique, Soral répond qu’elle est « dialectique ». Et sa fâcheuse tendance à faire de Karl Marx un apôtre de l’extrême-droite est – devinez quoi ? – « dialectique » !

Notons que cette tendance à la récupération de tout et n’importe quoi va au-delà du seul Alain Soral : c’est une véritable mode à l’extrême-droite depuis quelques temps. Presque tous se disent maintenant « révolutionnaires » (en période de crise économique, ça passe mieux que « contre-révolutionnaires » ou « royalistes »… mais il s’agit de « révolutionnaires » bien particuliers : des « révolutionnaires » qui sont anticommunistes primaires, qui soutiennent les contre-réformes du gouvernement et qui agressent les grévistes). Et pendant que certains fachos se réclament de Che Guevara, d’autres découvrent les situationnistes… Des identitaires se prétendent même « enfants de la Commune et du 6 février 1934 ». Comme s’il était possible d’établir une filiation entre le premier gouvernement prolétarien de l’Histoire et une tentative de coup d’Etat fasciste ! Cela étant dit, le 6 février 34, on leur le laisse et on confirme : ils en sont bien les héritiers !

3°) Fascisme et poujadisme

Dans sa préface à Jusqu’où va-t-on descendre ?, Soral supposait que le « libéral libertaire bourgeois bohème » trouverait ses écrits « poujadistes » ou encore « fascistes » (Ibid., p.12). 
Eh bien, si tel a vraiment été le cas en 2002 lorsque cet essai est sorti, force est de constater que le « li-li bo-bo » – que pourtant nous n’apprécions pas – aura cette fois-là eu raison. Puisque, quelques années plus tard, Soral se vantera d’avoir écrit certains discours de Jean-Marie Le Pen. Rien d’étonnant quand on voit à quel point les thématiques fascistes et poujadistes sont au cœur de la « pensée » soralienne.

Dans une conférence de mars 2009, entre une référence à la propagandiste du IIIe Reich Leni Riefenstahl et une dénonciation de l’« idéologie maçonnique », Soral trouve quand même le temps de se montrer choqué par le tribunal de Nuremberg (« On tue tous les nazis, parce que c’était le Mal donc on les raye de la planète terre.») et par l’épuration à la Libération… Cette conférence se déroulait pourtant à l’initiative du Parti Populiste (extrême-droite), dont le programme mentionne le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs de « crimes de guerre, […] assassinats, actes de barbarie, tortures d’innocents », donc on ne voit pas trop pourquoi Soral s’indigne des exécutions de nazis et de collabos (à moins qu’il ne considère pas les Juifs, les Tsiganes et autres communistes qui ont été massacrés comme de « vrais » innocents ?). Soral estime aussi que « de toute façon, le métissage c’est la violence » … Assertion guère compatible avec celle-ci, également de son « cru » : « On [le peuple français ?] est un métissage réussi puisque cohérent, lent, accepté, et cætera. » Alors, le métissage c’est la violence, oui ou non ? Comme nous l’avons vu précédemment, Soral se fiche pas mal de s’empêtrer dans ses contradictions puisqu’elles sont « dialectiques ».
Soral nous offre encore un magnifique exemple de « dialectique » quand il déclare : « quand on est marxiste, on doit fonctionner sur des concepts marxistes, quand on abandonne tout ces concepts pour se fonder sur des concepts petits-bourgeois, on se casse la gueule » avant d’affirmer que « pour faire quoi que ce soit de subversif en politique », il a plus confiance dans les « patrons de bistrot, les chauffeurs de taxi et ce qu’on appelle la petite-bourgeoisie » que dans les profs et les étudiants. Karl Marx voyait-il dans ces catégories de population une force révolutionnaire ? A-t-il prôné la dictature des patrons de bistrot ? Ou bien écrit « petits-bourgeois de tous les pays, unissez-vous » ? Soit Alain Soral a accès à des textes cachés de Marx, soit – c’est plus probable – il se sert, pour appuyer ses théories bancales, de ces mêmes « concepts petits-bourgeois » qu’il reproche à d’autres d’utiliser.

Typiquement poujadiste est la défense soralienne du « petit patron », prétendue victime de la « persécution fiscale » et de la « méchanceté des prudhommes ». Soral se livre à cet exercice en se réclamant notamment de « Michéa »… On le comprend : pour réussir la prouesse de défendre ouvertement une fraction du patronat tout en restant « marxiste-compatible », il fallait au moins la caution d’un intellectuel qui se réclame du Socialisme (et pas de la « gauche » : dans l’esprit de Michéa, ce n’est pas la même chose… c’est même antinomique)… Au passage, Soral se livre à des reproches (malheureusement !!!) infondés concernant Arlette Laguiller : selon lui, dans ses discours, elle ne ferait pas de différence entre petit patronat et grand patronat… En réalité, dans ses interventions, cette réformiste patentée flétrit presque uniquement le « grand patronat »… comme si les autres patrons étaient plus respectables !

Soral ressort également une ruse habituelle du fascisme pour servir de « paratonnerre » à la bourgeoisie en temps de crise économique : il dénonce régulièrement et avec insistance le « capitalisme financier spéculatif » et la « finance mondiale spéculative », espérant que les exploités ne s’apercevront pas que le problème est plus global et que c’est toute la société de classe (Alain Soral compris) dont ils doivent se débarrasser. Dans « Qu’est-ce que le national-socialisme ? », texte daté de juin 1933, Trotsky remarquait déjà que « tout en se prosternant devant le capitalisme dans son entier, le petit bourgeois déclare la guerre à l’esprit mauvais de lucre. »

Cette autre sentence soralienne participe de la même logique du « paratonnerre » : « Ce monde [du marché] est porté par les élites blanches occidentales judéo-protestantes ». Il s’agit ici, en réduisant le capitalisme à ses seuls partisans juifs ou protestants, d’épargner le catholicisme (dont Soral se réclame – entre mille autres « étiquettes », il est vrai !) ainsi que les Arabes et/ou musulmans dont Soral veut se faire de nouveaux alliés, convaincu qu’il est que « dans l’imaginaire politique africain ou maghrébin, c’est un type de gauche Le Pen, hein… et même d’extrême-gauche parce que c’est pas des régimes très cools là-bas. »

Au cas où vous en auriez douté, Soral manie fort bien la théorie du complot et a des talents certains en matière de réécriture de l’Histoire : « [Les Noirs] étaient issus de l’empire colonial qu’ils ne détestaient pas particulièrement d’ailleurs, en dehors de certaines élites financées souvent on sait pas trop par qui… » Comme dirait un chanteur sarkozyste : « Ah ! Le temps béni des colonies… » Eh oui, c’est bien connu : les colonisés ne détestaient pas particulièrement la puissance coloniale, cette dernière a décidé d’elle-même, spontanément et sans pression d’aucune sorte, de quitter le continent africain et, d’ailleurs, depuis la décolonisation, la France a totalement cessé de s’immiscer dans les affaires intérieures du Gabon, de la Côte d’Ivoire, du Tchad ou du Togo…

Enfin, dans la rubrique « comment, par la calomnie, l’extrême-droite assassine Jaurès une seconde fois », cette citation : « La position de Le Pen est très respectable et très cohérente, même sur le plan de l’immigration, du racisme, et cætera, elle est très saine, c’est une position de patriote français de gauche du début du siècle, c’est la position… il serait même à la gauche de Jaurès aujourd’hui ! »Sûrement, oui !!! Le Pen est à peu près autant à la gauche de Jaurès que l’était l’homme qui l’a abattu, Raoul Villain, qui fut membre du mouvement catholique du Sillon et du groupe d’étudiants « nationalistes » de la « Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine»…

4°) Antisémitisme

L’antisémitisme, ce socialisme des imbéciles, est très apprécié d’Alain Soral. Il s’agit, là encore, de détourner la colère populaire vers des boucs-émissaires. 
Mais ce brave Soral, décidemment très prévoyant, n’a pas attendu la crise économique pour distiller son poison. En 2004, déjà, il déclarait : « Quand avec un Français, Juif sioniste, tu commences à dire ‘y a peut être des problèmes qui viennent de chez vous. Vous avez peut-être fait quelques erreurs. Ce n’est pas systématiquement la faute de l’autre, totalement, si personne ne peut vous blairer partout où vous mettez les pieds.’ Parce qu’en gros c’est à peu près ça leur histoire, tu vois. Ça fait quand même 2500 ans, où chaque fois où ils mettent les pieds quelque part, au bout de cinquante ans ils se font dérouiller. Il faut se dire, c’est bizarre ! C’est que tout le monde a toujours tort, sauf eux. Le mec, il se met à aboyer, à hurler, à devenir dingue, tu vois. Tu ne peux pas dialoguer. C’est à dire, je pense, c’est qu’il y a une psychopathologie, tu vois, du judaïsme sionisme (sic !) qui confine à la maladie mentale. » Puis, cette année : « Il y a quand même un milliard de chrétiens qui s’excusent face à 15 millions de Juifs… C’est quand même bizarre, il a dû se passer quelque chose pour qu’on soit obligés de s’humilier à ce point là, que notre pape soit obligé de demander pardon parce qu’il y a un évêque ultra-marginal qui a dit trois conneries. » Les « conneries » de Richard Williamson étant « juste », pour rappel, ses déclarations selon lesquelles « 200 000 à 300 000 Juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz. ».

Intéressante également, cette déclaration de Soral qui reprend le stéréotype, popularisé par le Protocole des Sages de Sion, du Juif fauteur de guerre : « M. Finkielkraut était pro-croate, M. Bernard Kouchner… euh… M. Cohn-Bendit… euh nan pas Cohn-Bendit… C’était Bernard-Henri Lévy, il était pro-bosniaque, ils ont chacun choisi leur camp afin d’attiser la haine et la violence. On ne sait pas trop pourquoi, ils ont dû tirer ça à pile ou face… » Au risque de décevoir Soral et ses groupies, il est important de souligner que l’anéantissement de la République fédérale socialiste de Yougoslavie a des causes multiples et complexes, n’ayant rien à voir ni avec Finkielkraut ni avec BHL. Pire encore : Finkielkraut et BHL n’auraient jamais existé que cela n’aurait strictement rien changé au sort des peuples des Balkans.

Courageux mais pas téméraire, Soral, peut-être lassé des agressions physiques et des décisions de justice défavorables, se replie la plupart du temps sur des propos plus allusifs visant « l’autre d’une telle communauté que je ne nommerai pas », stigmatisant Daniel Cohn-Bendit en tant que « parasite de la société française… qu’il insulte ! » ou affirmant : « La France [que les mecs de banlieue] n’aiment pas, je ne l’aime pas non plus… C’est la France de Bernard-Henri Lévy, je ne l’aime pas non plus. »Que l’on soit bien clairs : les personnalités auxquelles Soral s’en prend sont souvent méprisables. Seulement, bien d’autres le sont tout autant et dont Soral ne pipe pourtant pas un mot. Et il n’est pas compliqué de comprendre quel est sans doute le but – et quel sera assurément le résultat – des envolées soraliennes visant Bernard Kouchner, Alexandre Adler, BHL, Jacques Attali, Laurent Fabius, Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, et cætera. Ces diatribes permettent à Soral de passer pour un type qui ose s’en prendre aux « puissants » alors qu’elles ont pour fonction objective, en ne visant que des personnalités à l’origine ethnico-religieuse (supposée !) commune, d’épargner la bourgeoisie dans son ensemble en détournant le prolétariat des approches strictement classistes.

5°) Stalinisme

Soral a gardé de graves séquelles de son passage par le Parti dit « Communiste ». Il n’hésite pas à qualifier la CGT de « réseau de résistance ou d’opposition traditionnelle »alors que cela fait au moins sept bonnes décennies que la Confédération Générale de la Trahison est un obstacle aux tentatives d’émancipation des prolétaires. 
Pour Soral, « tout ce qui est de l’ordre de la violence […] et de la guerre civile, c’est forcément un truc qui affaiblit la France. » Ce Soral qui s’oppose à la violence et à la guerre civile au nom du salut de la France n’a, contrairement à ses prétentions, rien d’un marxiste… Mais c’est un parfait stalinien ! C’est avec ce même type d’arguments, avec cette même dévotion envers l’unité nationale que le P « C » F a, à trois reprises, saboté des situations révolutionnaires : en 1936 (Maurice Thorez, secrétaire général du P « C » F : « il faut savoir terminer une grève »), à la Libération (Thorez, toujours : « produire, produire, encore produire, faire du charbon c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français » et « La grève, c’est l’arme des trusts. »), en Mai 68 (Georges Séguy, secrétaire général de la CGT : « ce mouvement lancé à grand renfort de publicité qui, à nos yeux, n’a pas d’autre objectif que d’entraîner la classe ouvrière dans des aventures en s’appuyant sur le mouvement des étudiants. »).

Il arrive aussi à Soral de s’attaquer au « Capital apatride » et au « Capital nomade ». C’est cette même idée qu’il développe lorsqu’il affirme dans une interview que « tous les internationalistes aujourd’hui sont des gens de droite, par essence, tu vois… » Notons en passant que, trois minutes plus tôt, dans cette même interview, il affirmait : « Je ne crois pas à l’essentialisme, les gauchistes essentialistes m’emmerdent, ce sont des crétins et des petits cons ». Pour en venir à ce que révèle, sur le fond, cette citation, Soral – ce « crétin » et ce « petit con » d’essentialiste (ce sont ses termes) – reprend à son compte la vieille antienne stalinienne qui affirme que, par opposition au Capital qui n’a pas de frontières, qui est « cosmopolite », les travailleurs se doivent d’être nationalistes. C’est ballot : Soral le stal’ a oublié que le Manifeste du parti communiste se termine par un appel à l’union des prolétaires de tous les pays…

6°) Apologie de régimes répressifs

Il n’y a pas besoin de creuser bien longtemps pour s’apercevoir que Soral est contre-révolutionnaire : il suffit de regarder quels régimes et quels chefs d’Etat il admire !
Saddam Hussein (entre autres) est rangé par ses soins dans la catégorie des « chefs d’Etat locaux de puissances alternatives ». Alternatives à quoi ? Sûrement pas au capitalisme, en tout cas ! Le premier fait d’armes de Saddam Hussein est la participation à une tentative d’assassinat, en 1959, du général et Premier ministre marxisant Abdul Karim Qasim qui, l’année précédente, avec d’autres militaires, avait renversé la monarchie iraquienne. Une fois arrivé au pouvoir (avec le soutien des Etats-Unis), à la tête du parti Baas, Saddam Hussein a réprimé férocement ses opposants, notamment les membres du Parti Communiste Irakien (ce qui n’a pas empêché Moscou de continuer à soutenir le régime baasiste… ça en dit long sur la teneur en socialisme de la bureaucratie stalinienne).

Soral fait également l’apologie de Poutine, ex-membre du KGB et bourreau du peuple tchétchène qui, en fait d’« alternative », a surtout parachevé le rétablissement du capitalisme privé en Russie (ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, baisse du taux d’imposition sur les sociétés…) et restreint les déjà peu nombreuses libertés démocratiques dont bénéficiaient les Russes (journalistes assassinés, opposants emprisonnés, désignation par le Président et non plus élection des gouverneurs des sujets de la Fédération de Russie, grande impunité accordée aux membres des groupes fascistes/néonazis qui commettent de nombreuses exactions).

Autre objet d’admiration de Soral : la République islamique d’Iran, régime théocratique où les militants des organisations de gauche ont été exécutés par milliers suite à la contre-révolution islamique et où les minorités (kurdes, arabes) sont soumises à de multiples brimades. Ce régime qui tente de fédérer sa population autour de discours hostiles à l’Occident, aux Etats-Unis, à Israël, sait pourtant miser sur plusieurs lièvres à la fois : dans les années 80, il n’a pas hésité à acheter des armes aux Etats-Unis (qui se sont servis de l’argent récolté grâce à ces ventes pour financer une guérilla d’extrême-droite au Nicaragua : c’est la fameuse affaire Iran-Contra) et à Israël. Les dirigeants iraniens sont également ravis de la décision des Etats-Unis et de la dictature européiste de classer comme organisation terroriste l’Organisation des Moudjahiddines du Peuple Iranien (OMPI), et ils ont sûrement vu d’un bon œil les perquisitions visant l’OMPI opérées en France en 2003. La « lutte contre le terrorisme » (c’est-à-dire, en réalité : le terrorisme d’État) est décidemment sans frontières…

7°) Arrivisme et haine de classe

Soral qui reproche à BHL, Finkielkraut, Cohn-Bendit, et cætera (voir 4°) leur capacité à retourner leur veste n’a peut-être pas tort sur le fond… Mais il est très mal placé pour parler, sa propre trajectoire politique étant marquée par de nombreux retournements de veste.
Après avoir adhéré au mouvement punk, il rejoint le P « C » F. Il finit par quitter ce parti dans les années 90, une fois que l’Union Soviétique s’est cassé la gueule et qu’il s’est rendu compte – soixante ans après tout le monde, mais mieux vaut tard que jamais – que le P « C » F n’est pas révolutionnaire. Il qualifie son Abécédaire de la bêtise ambiante, paru en 2002, de « national-républicain » et paraît alors proche de Jean-Pierre Chevènement. Passade de courte durée puisqu’il se rapproche ensuite à grandes enjambées de l’extrême-droite, jusqu’à rejoindre l’équipe de campagne de Jean-Marie Le Pen en vue des présidentielles de 2007. Mais il est vrai que, dans l’interview où il annonçait son rapprochement avec le FN, Soral affirmait que, faisant cela, il rejoignait un parti « qui pèsera demain 25% minimum » (forcément, puisque « Le Pen, c’est le plus grand résistant au Système de France » !!!). Quelle déception au soir du premier tour des présidentielles quand Le Pen, doublé sur sa droite (extrême) par un Sarkozy vraiment très décomplexé, n’obtient « que » 10,44% des voix. Pas grave, Soral a l’explication : « Le Pen mérite la France, mais je ne suis pas sûr que la France et les Français tels qu’ils sont aujourd’hui méritent Le Pen. » Dit plus clairement : les Français sont des cons. Venant de quelqu’un qui passe son temps à glorifier démagogiquement le « Peuple » et la « Nation », c’est plutôt cocasse… A l’échec du FN aux présidentielles vient s’ajouter l’échec, plus net encore, des municipales en 2008, ce qui fait que Soral doit commencer à se demander s’il a misé sur le bon cheval.
Soral annonce finalement son départ du FN le 1er février 2009, le parti n’ayant daigné lui proposer, en vue des élections européennes, qu’une place d’honneur sur la liste en Ile-de-France. Une simple place d’honneur à lui, Alain Soral, lui qui est « rebelle depuis l’âge de seize ans », vous vous rendez compte ?!? Comme l’aurait dit une de ses défuntes icônes staliniennes : c’est un scandÂÂÂÂle ! Mais puisqu’il ne veut surtout pas sombrer dans l’oubli et qu’il tient à faire parler de lui à tout prix, Soral se contente finalement d’une place de numéro 5 sur la liste antisém… pardon… « antisioniste » de Dieudonné. On ne sait jamais, des fois que… Après tout, « les gens sont tellement cons, ils en redemandent… » et puis « un salarié, c’est comme un enfant ». Alors, qui sait ? Ces ânes-là iront peut-être voter…

Le grandissime Soral qui, lui, n’est ni un con ni un salarié, chie sur la Star Academy, les émissions d’Arthur, celles de Stéphane Bern… Le hic c’est que Soral n’a jamais hésité à aller faire la promo de ses bouquins de merde chez Thierry Ardisson ou Evelyne Thomas ! Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais… Soral semble paniqué à l’idée de retomber dans l’anonymat : « Si vous ne faites pas ce qui faut, vous êtes progressivement marginalisés, c’est-à-dire vous ne passez plus dans les grands médias, vous êtes un peu mal vus […] On voit bien ceux qui peuvent se maintenir et ceux qui sont marginalisés, et pourquoi […] Et cette marginalisation elle est bon… au niveau des médias évidemment, c’est-à-dire on est disqualifiés, on n’est plus invités, et cætera… Moi on voit très bien que j’passais beaucoup dans les émissions mais à un moment donné on n’m’a plus vu […] d’ailleurs les gens ne se posent même pas la question ‘tiens, on ne vous voit plus !’ » C’est qu’il doit également se demander comment il va faire pour écouler ses daubes fascistoïdes si, par malheur, il se voit privé de l’accès aux principaux médias et de la notoriété qui va de pair… Aiguillé par son ambition sans scrupules, Soral saura, s’il le faut, changer une énième fois son fusil d’épaule, trouver de nouveaux compagnons de route et de nouvelles tribunes d’où il pourra dégueuler sa prose pseudo contestataire qui, en fait, nuit exclusivement au prolétariat. A moins que ce dernier ne lui en laisse pas l’occasion…

 

Sources : 
– Alain Soral, Abécédaire de la bêtise ambiante, Jusqu’où va-t-on descendre ?, Pocket, Paris, 2003
– interview d’Alain Soral après qu’il ait annoncé qu’il rejoignait l’équipe de campagne de Jean-Marie Le Pen, fin 2006
http://www.dailymotion.com/search/alain%2Bsoral/video/xtjwl_alain-soral-interview-fn
– interview d’Alain Soral suite au premier tour des dernières présidentielles, 22 avril 2007
http://www.dailymotion.com/related/xtjwl/video/x1td0v_soral-echec-de-le-pen_news?hmz=74616272656c61746564
– Alain Soral, conférence à Fréjus, 23 mai 2008
http://www.dailymotion.com/relevance/search/soral+fr%C3%A9jus/video/x5snqq_alain-soral-frejus-partie-1_news
http://www.dailymotion.com/relevance/search/soral+fr%C3%A9jus/video/x5snuj_alain-soral-frejus-partie-2_news
– Alain Soral, conférence « Vers la gouvernance globale » à l’invitation du Parti Populiste, 9 mars 2009
http://www.dailymotion.com/relevance/search/conf%C3%A9rence+gouvernance/video/x8vz58_alain-soral-conference-090309-parti_news

 

 

Dans les facs, une revue promet la mort aux « gauchistes »

C’est un seize-pages qui est diffusé, ici ou là, sur certains campus, sous le label « Action Française Universitaire » (AFU). Il se présente comme un « hebdo intelligent et violent », référence claire à la phrase de Maurras : « Nous devons être intellectuels et violents ». Le portrait du chantre du nationalisme intégral figure d’ailleurs, lui aussi en « une », à côté, notamment, du nom de Theodore Kaczynski. Ce célèbre terroriste américain, surnommé Unabomber, se réclamait de la lutte contre le progrès technologique.

« Une » de l’Action française universitaire. DR

Mais c’est surtout le titre principal choisi  pour son premier numéro qui retient l’attention: « Tuons tous les gauchismes ». Pour la petite histoire, le titre initial était:« Tuons tous les gauchistes », rapidement amendé quand l’auteur a réalisé qu’il tombait sous le coup de la loi. Ce rédacteur perspicace n’est autre que Rodolphe Crevelle, qui déborde d’initiatives ces derniers temps. Ce vieux routier de l’extrême droite radicale au passé sulfureux s’est signalé en 2012 en lançant le Lys Noir, revue d’extrême droite « anarcho-royaliste » et en participant à la liste anti-radars pour les législatives dans l’Hérault. Plus récemment, c’est une autre publication ultra-confidentielle de son cru, la revue l’Arsenal, qui évoquait un projet de putsch militaire durant le mouvement contre le mariage homosexuel (Le Monde du 7 juin).

Par ailleurs, Rodolphe Crevelle s’était lié à Troisième Voie, l’organisation de Serge Ayoub, avant sa dissolution à la suite de la mort de Clément Méric en juin.

Dans son long éditorial, Crevelle prédit que « cela va mal se terminer pour l’oligarchie gauchiste des facs et d’ailleurs ». Avant de demander à ses ouailles d’envoyer aux gauchistes « des photos de Benito [Mussolini] et [sa maîtresse] Clara Petacci pendus à un croc de boucher… Car c’est comme cela qu’ils vont tous finir avec leurs femmes également délicieuses… »

Suit une longue liste de menaces. « C’est ‘à la vie à la mort’ si on les chope (…). Nous trouverons beaucoup d’alliés chez les immigrés pour leur faire la peau (…). Le gauchiste sait que nous avons la majorité des gens et des flics et des militaires avec nous », s’avance encore Crevelle.

Une obsession qui n’est pas nouvelle, puisque, en septembre déjà, le Lys noir titrait :« Faut-il envisager de tuer les gauchistes? »

Deux militantes de l’UNEF agressées

Comme d’habitude avec Crevelle, il y a une manip’. L’AFU dont il se réclame n’a rien à voir avec l’Action française étudiante, émanation de l’Action française (AF). Crevelle veut profiter de la proximité d’appellation pour recruter plus facilement, ce qui ne manquera pas de plaire à la rue Croix-des-petits-Champs, siège historique de l’AF. Ce d’autant plus que l’UNEF vient de déposer plainte contre l’AFU pour « incitation à la haine et à la violence ».

En moins d’une semaine, deux étudiantes parisiennes de l’UNEF (proche du PS) ont été agressées et menacées de façon quasi similaire – « On ne veut pas de vous sur les facs. On connaît ton adresse. Si tu continues, on te viole.  On te défoncera, t’es qu’une gauchiste », selon un responsable national du syndicat étudiant. L’une d’elles a reçu des coups de cutter au pied de son domicile. L’UNEF juge que la revue AFU de Crevelle a théorisé ces agressions.

***

PS : le programme du Lys Noir, « groupe militaro-décroissant » qu’anime Rodolphe Crevelle, vaut son pesant d’or. En voici un extrait :

Extrait du programme du Lys Noir/ DR

vu sur http://droites-extremes.blog.lemonde.fr

La « quenelle », un coup de mou pour nos luttes

Faire le geste de la quenelle n’engage à rien: ni promesse ni action. Elle fait croire à celles et ceux qui la font, qu’elle est subversive en soi et qu’elle prouve l’existence d’une unité entre les soi-disant « anti-système ». Il n’y a de concret que la répétition du geste de scène d’un artiste qui a joué sciemment la carte d’une carrière indépendante et l’engagement politique au sein de l’extrême droite. Pour l’extrême droite et la partie la plus agressive de la classe dominante, l’important n’est pas d’être véritablement une alternative pour le peuple mais de se donner l’apparence de « rebelles ». Mais une fois au pouvoir, les dominés et les pauvres prennent de plein fouet la répression.

Quenelle_lepen_gollnisch

Si des personnes issues de l’immigration peuvent la faire aux côtés de personnes comme Bruno Gollnisch qui est ouvertement anti-musulman, ou de Jean Marie Le Pen qui croit en l’inégalité des races : c’est que ce geste ne signifie rien comme engagement.
C’est une posture de défi qui n’en est pas réellement une puisque ce geste n’est jamais effectué en face ou en présence de la personne visée. Ce signe dit de manière insultante qu’on a eu le dessus de manière sournoise, en profitant d’une situation. C’est le bras d’honneur du couard, puisque non assumé.

On peut très bien imaginer la BAC faire ce signe à des jeunes durant un contrôle musclé.
Ou encore les mêmes jeunes le faire à la BAC s’ils échappent au contrôle.
Il est difficile d’imaginer la BAC et les jeunes faire le geste ensemble lors du contrôle musclé : il n’y a que deux côtés à une barricade. Il ne peut y avoir d’unité entre opprimés et oppresseurs même s’ils s’insultent de la même manière.
La volonté de Dieudonné est pourtant de faire croire qu’en partageant une attitude, celle du dominant, on peut avoir une communauté de destin. En gros, il suffirait de faire un geste pour créer une complicité au lieu de lutter, tout en sauvant la face : tous unis dans la lâcheté.
Si le geste n’engage à rien, le répéter en revanche revient à adhérer à l’idée que seule l’attitude compte, qu’il n’y a pas d’engagement et que dans les rapports de force il ne faut pas lutter mais être fourbe. Seconde chose, mais non des moindres, la « quenelle » consiste à faire croire que la finalité de la lutte est d’assurer sa domination sur l’autre. C’est une pensée compatible avec le libéralisme ambiant : tous contre tous, seuls les plus vicieux gagnent. C’est le symbole d’une adaptation à l’injustice.
Pas de changement social possible, on capitule face à l’inégalité ambiante en estimant qu’il suffit de « glisser des quenelles » à certaines personnes.
Ce n’est pas un signe révolutionnaire contrairement à ce qu’affirme Dieudonné, ni même un geste « potache », car ce symbole a également une dimension sexuelle, puisqu’il consiste à imiter l’introduction d’un bras dans l’anus d’une tierce personne, à dire de manière détournée qu’on l’a « baisée ».

La notion qui assimile la pénétration à la domination est un cliché misogyne et homophobe que partagent DieudonnéAlain Soral et Eric Zemmour. En gros le dominant domine sexuellement le dominé en le/la pénétrant. Vu sous cet angle, la personne qui se « soumet » est une créature inférieure par nature. C’est du reste ce qu’Alain Soral et Eric Zemmour racontent dans leurs ouvrages ouvertement sexistes.
Le déni de dignité aux homosexuels est une chose récurrente chez Alain Soral qui les assimile à des pédophiles, sans que personne n’y trouve rien à redire. On doit rappeler que lors de luttes contre les meurtres racistes et sécuritaires, ou pour obtenir des droits en prison, les militant.e.s de l’association Act Up ont été au premier rang avec les militant.e.s de quartiers populaires.

Les femmes sont elles aussi la cible de multiples accusations des Soral ou des Zemmour, qui ne comprennent le « pouvoir » que comme une farce viriliste.

Dans nos quartiers, les femmes jouent un rôle actif et déterminant dans le combat contre les injustices et la dureté de la vie. Elles sont les plus nombreuses à assumer seules les charges de famille ou du foyer. Lors des luttes contre les violences policières, elles sont en première ligne. Elles affrontent l’oppresseur et le pouvoir en face, dans la dignité, et ne sont pas prêtes à cèder au discours sur la domination.

mère de famille

Dieudonné, Zemmour, le clan Le Pen ou Soral sont des personnes qui n’ont pas de problème de fin de mois et de fin de droits, ils défendent leurs intérêts économiques avant toute chose. Ils ont besoin de gestes de confusion comme la « quenelle » pour donner l’illusion d’une convergence d’intérêts avec les quartiers populaires.

Au final, les personnes à qui est destinée la trop célèbre quenelle, c’est le public issu des quartiers qui fait encore confiance à Dieudonné. À chaque fois qu’on fait la quenelle, on perd le sens de nos luttes. C’est ce qu’ils veulent. Les luttes pour l’émancipation passent à la trappe quand nous reprenons un tel geste.
Le poing levé courageux et unitaire des Black Panthers est remplacé dans l’imaginaire des luttes par un mime de « fist fucking » illustrant une volonté de domination ou de réussite individuelle et sournoise.

Bras mou comme une quenelle ou poing de panthère, il faut choisir.
Black-Panthers-Party-People

LU SUR https://quartierslibres.wordpress.com