À travers le retour de la figure de la sorcière, c’est une réappropriation des codes oppressifs que l’on observe et avec elle la mise au jour d’un besoin de penser la lutte contre les oppressions à travers le prisme de l’action collective. Discussion sous le signe de la lutte, du collectif et de l’intersectionnalité.
Manifesto XXI – Quand et comment est née la volonté de créer un collectif ?
À l’origine, il s’agissait juste d’un groupe d’ami-e-s militant-e-s, pour certain-e-s déjà engagé-e-s par ailleurs, qui en avaient marre des pratiques virilistes présentes dans les cortèges du black bloc – le fait de ne rien faire pour virer les agresseurs avérés de ces cortèges notamment – et qui suivaient depuis longtemps l’activité des W.I.T.C.H. américaines.
Fin Août 2017, iels se sont dit qu’il était nécessaire qu’un cortège en non mixité soit présent dans en tête de la manif de “rentrée” qui avait lieu le 12 Septembre, contre la loi travail XXL et autres mac(r)onneries vomitives, afin de ré-affirmer notre légitimité dans le black bloc et notre colère en tant que féministes. Nous avons donc décidé de créer un événement Facebook pour appeler à la mobilisation sous la forme d’un witch bloc, suivant l’exemple des américaines. Ça nous a permis de nous rendre compte de qui pourrait être intéressé-e pour défiler avec nous, et d’ailleurs nous étions très loin de nous attendre à un tel succès (1500 personnes intéressé-e-s sur l’événement).
Cette première manif ayant fait beaucoup de bruit, nous avons décidé de réitérer l’opération sur les suivantes, et de créer nos propres pages sur les réseaux sociaux dans le même temps. Nous avons depuis mené de nombreuses actions, ce qui nous amène, après de nombreuses rencontres et réflexions communes, à aujourd’hui. Bien sûr, le collectif a continué à évoluer, que ce soit sur les membres présent-e-s et actif-ve-s ou sur notre façon de fonctionner.
La naissance du Witch Bloc de Paris a donné raison à nos pensées du début : nous avions, et avons toujours, bel et bien besoin d’un espace pour militer collectivement entre féministes radicales, et ce sans présence d’hommes cisgenres, non-concernés par les oppressions du patriarcat. Nous nous sommes rendu-e-s compte que nous étions nombreux-ses à avoir tenté de militer ailleurs, dans d’autres orgas, collectifs et assos, ou alors en autonomie sans que cela ne fonctionne, et le Witch Bloc a répondu à nos besoins.
Quelle filiation avec le W.I.T.C.H. de Portland et a fortiori le Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell originel s’il y en a une ?
Les W.I.T.C.H. ont inspiré la création du Witch Bloc Paris. Nous les soutenons totalement et nous nous inspirons de leurs méthodes, en nous référant au site très complet des Witch de Portland notamment, mais nous ne sommes pas en lien avec elleux, chaque groupe étant totalement indépendant des autres.
Quel est votre rapport à l’intersectionnalité ? Comment pensez-vous l’intersectionnalité aujourd’hui ?
Nous nous considérons comme un collectif intersectionnel et nous tentons de l’être le plus possible. À notre niveau, cela veut dire penser les différents axes de lutte comme interconnectés, et donc les prendre en compte selon leurs différents aspects et pas seulement selon la façon dont nos membres les perçoivent ou les vivent individuellement.
L’intersectionnalité ça veut aussi dire que l’on doit parler, discuter, lire et s’écouter.
Parce que chacun-e d’entre nous est particulièrement sensible à certaines oppressions et pas à d’autres, lutter dans un collectif intersectionnel, ça veut donc aussi dire s’entre-écouter pour être capable de lutter avec les autres là où individuellement nous ne sommes pas concerné-e-s, et aussi parler pour être capable d’amener les autres à lutter avec nous là ou iels ne sont pas individuellement concerné-e-s.
C’est enfin un repoussoir pour tout le féminisme blanc et bourgeois qui selon nous gangrène inutilement les débats, les formes de féminisme qui non-seulement ne se concentrent que sur certains sujets qui ne touchent qu’une partie des militant-e-s que nous sommes, mais qui en plus cherchent à affirmer l’existence d’une “expérience féminine universelle”, qui seule déterminerait les enjeux de lutte.
Il n’existe pas “d’expérience féminine universelle”, nous ne sommes d’ailleurs pas toustes des meufs au sein du WB.
Mais cette rhétorique est celle qui a conduit des mouvements féministes à ignorer les luttes de femmes noires, des femmes trans, des femmes lesbiennes, des hommes trans, des personnes handies… Être intersectionnel-le-s, c’est donc aussi une façon pour nous d’affirmer notre opposition à cette forme de féminisme qui ne voudrait défendre que les femmes qui ressemblent à un modèle précis. Nous luttons pour l’abolition du patriarcat pour tous-tes.
Suite de l’article sur son blog de publication: Manifesto XXI