[Le changement c’est maintenant] Des boulots de merde payés des miettes

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Pascal Lamy prône des “petits boulots” payés en dessous du Smic

L’ancien patron de l’OMC, proche de François Hollande, a estimé ce mercredi qu’il fallait “accepter de franchir les espaces symboliques” pour réduire le chômage.

Pascal Lamy, ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et proche du président François Hollande, a plaidé mercredi pour plus de “flexibilité” sur le marché du travail, avec notamment des “petits boulots” payés en dessous du Smic. “Je sais que je ne suis pas en harmonie avec une bonne partie de mes camarades socialistes, mais je pense qu’il faut, à ce niveau de chômage, aller davantage vers de la flexibilité et vers des boulots qui ne sont pas forcément payés au Smic”, a-t-il déclaré lors de Questions d’infoLCP/France Info/le Monde/AFP.

C’est-à-dire moins que le Smic ? “Oui absolument”, a-t-il ajouté. “Un petit boulot, c’est mieux que pas de boulot. Je ne réponds pas ça dans l’absolu, je n’aurais pas dit ça il y a dix ans ou il y a vingt ans, mais à ce niveau de chômage…” Pour l’ancien commissaire européen socialiste, “il faut accepter de temps en temps de franchir les espaces symboliques de ce type pour rentrer dans la réalité et la transformer”.

http://juralib.noblogs.org/files/2014/04/012.jpgIN MEMORIAM PASCAL LAMY
OMC : Pascal Lamy se voit refuser une augmentation de 32 %
Les principaux pays membres de l’OMC ont refusé d’accorder à son directeur général, Pascal Lamy, la hausse de 32 % de ses rémunérations qu’il réclamait, rapportent des diplomates jeudi 16 juillet.
M. Lamy faisait valoir à l’appui de sa requête qu’il ne bénéficie pas du plan de retraite accordé aux autres employés de l’OMC, une demande qualifiée de “politiquement naïve” par un diplomate. “En tout, cela faisait une hausse de 32 %. Il n’y a pas eu – comment dire cela d’une manière diplomatique ? – d’enthousiasme pour revoir le paquet de ses émoluments, étant donné la crise financière et économique et en particulier dans la proportion demandée”, a déclaré ce diplomate. “La position était absolument unanime”, a-t-il ajouté.
Pascal Lamy perçoit un salaire annuel de 480’000 francs suisses (316’000 euros) auquel s’ajoute une cotisation de 15 % du montant de son salaire pour sa retraite.
Leur presse (LeMonde.fr avec Reuters, 16 juillet 2009)

Au risque que cela rappelle le “Smic jeunes” d’Edouard Balladur ou le CPE de Dominique de Villepin, tous deux abandonnés après des semaines de contestation sociale ? “Ce n’est parce qu’une réforme n’a pas marché ou parce qu’on a reculé devant la pression de l’opinion que c’est une mauvaise idée. Si on prenait tous les réformes qu’on a essayées à un moment, qui n’ont pas marché et si on ne les avait pas reprises, on serait encore au Moyen Âge”, a lâché Pascal Lamy. (…)

Leur presse (Agence Faut Payer via Liberation.fr, 2 avril 2014)

Ne votez jamais…

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Nous nous plaisons à nous envisager tels des hommes et des femmes libres, entier/es et indivisibles, que l’on ne peut couper en petits bouts pour ranger dans les tiroirs institutionnels de l’Etat ou les tiroirs caisses des patrons et autres propriétaires. Mais il n’est pas difficile de se rendre compte que tout cela n’est qu’une illusion de plus. Le fait est que nous ne parvenons pas à nous appartenir à nous mêmes. Nous sommes possédés par des maîtres, à coup de fric et de temps. Notre temps est morcelé en petits bouts au loisir des politiciens, des publicitaires, des flics, des juges, des « aides » sociales, des patrons, de la médecine, des communautés et des familles. Tous s’allient à un moment ou un autre, de façon consciente ou non, pour nous diviser, nous monter les uns contre les autres, nous représenter de force, nous dépouiller, nous enrégimenter, nous analyser, nous menacer, nous acheter et nous vendre, ou plus basiquement, nous matraquer.


Les politiciens sont de ceux qui nous achètent au meilleur prix pour nous revendre au rabais, ils sont de ceux qui nous humidifient les yeux avant de nous violer le temps de cerveau disponible. Ils prétendent représenter nos aspirations en nous les dictant, un pistolet social sur la tempe. Contre un bulletin de vote, ils nous promettent des oasis dans les tempêtes de sable de nos existences, dans le désert de faux-semblants et de misère qui peuple lamentablement nos vies ennuyées.

Bientôt, une nouvelle échéance électorale, la foire d’empoigne, l’hégémonie absolue des marchands de tapis idéologiques. Mais qui est encore assez con pour y croire sincèrement ? Qui est encore assez con pour aller voter le cœur battant comme on se rend à un premier rendez-vous amoureux ?
A peu prés personne, on va voter comme d’autres vont pointer, on va voter comme on va travailler, on va voter comme on va remplir ses déclarations d’impôt : dans l’ennui le plus total ou en baissant les yeux et en se détestant.
Certains sont ouvertement les représentants de la bourgeoisie, certains autres prétendent représenter les pauvres et les dominés, mais rien ne ressemble plus à un représentant de la bourgeoisie qu’un représentant des pauvres.

Aucun candidat ne représentera jamais notre soif de ne plus être représentés, aucun d’entre eux ne pourra jamais représenter fidèlement deux individus à la fois. Aucune élection ne pourra jamais nous rendre libre, nous rendre nos vies. Voter pour qui ou pour quoi n’est pas la question, la question est pourquoi voter ?

Aux prochaines élections, comme à toutes les autres auparavant, nous nous abstiendrons, et nous inviterons tout un chacun à faire de même, à ne pas participer à son propre esclavage. Seulement, il ne s’agit pas seulement de s’abstenir ou de déserter les urnes, il s’agit de toutes les brûler et de mettre le feu à ce monde qui nous avilit et nous dégrade, de se réapproprier nos vies, nos corps et notre dignité, et si l’intelligence ne suffit pas, la force fera l’affaire.

Révolution.

Attaquons tout ce qui nous rend faibles et nous dépossède de nos propres vies.
Libérons nous de la politique

Des anarchistes.

 

Séance du dimanche : Makhno, paysan d’Ukraine

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À l’heure où Vladimir Poutine, ex-colonel du KGB, ressuscite la bonne vieille Sainte Russie impériale en annexant (pour l’instant) la péninsule de Crimée,  ses gisements de gaz naturel et ses bases militaires sur la Mer Noire, un petit rappel en images sur la situation de l’Ukraine au XXème siècle. Ce n’est pas la première fois que l’Ukraine se retrouve prise entre deux feux, entre l’Europe de l’Ouest et la Russie mais l’alternative n’a pas toujours été entre l’ultralibéralisme de l’Union Européenne et l’impérialisme « eurasiatique » inspiré à Poutine par l’idéologue d’extrême droite Alexandre Douguine.

Dans la Révolution russe initiée en février 1917, les bolcheviques ont pris une part active, mais ils étaient très loin d’être les seuls et très loin également d’avoir été les plus actifs. Seule leur prise du pouvoir en octobre 1917, leur installation à la tête d’un État ultra-centralisé et autoritaire, la répression de toutes les composantes du mouvement révolutionnaire ne rentrant pas dans le rang et une politique de propagande particulièrement efficace a pu installer et matraquer une vision  bolchevisée de la Révolution.

En Ukraine, les forces révolutionnaires, celles qui ont organisé les soviets et lutté contre les colonnes des Russes Blancs contre-révolutionnaires armés et financés par les pays capitalistes n’étaient pas bolcheviques. Elles étaient anarchistes, communistes-libertaires et organisée dans un mouvement à la fois urbain et rural, à l’image de l’Ukraine de l’époque. Ce mouvement, « l’armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne », plus connu sous le nom deMakhnovtschina, s’est constitué d’abord contre l’abandon aux forces Austro-allemandes de l’Ukraine par la paix de Brest-Litovsk de mars 1918 (paix signée entre le pouvoir bolchevique et le Reich allemand) et pour la poursuite de la révolution. Son leader, Nestor Makhno, qui avait lutté contre le pouvoir tsariste auparavant en participant aux activités illégalistes de redistribution au sein de l’« Union des laboureurs pauvres »  organise les soviets –des conseils ouvriers et paysans– à partir de sa région d’origine, Houiliaïpole, au sud-est de l’Ukraine, avec une forte implantation en Crimée. Dans un premier temps allié à l’Armée Rouge pour chasser les colonnes blanches du maréchal tsariste Denikine puis de Wrangel en 1919-1920, le mouvement makhnoviste finit logiquement par s’attirer l’hostilité du pouvoir soviétique russe. Trotski –qui était encore très en cour à Moscou et dirigeait l’Armée Rouge- ordonna les opérations militaires pour écraser le mouvement populaire ukrainien, de même qu’il supervisa la répression sanglante des marins de Kronstadt, autre faction essentielle des forces révolutionnaires en 1917, qui contestait l’autoritarisme bolchevique.

Dès 1921, Makhno, défait, doit s’exiler. Il passe les dernières année de sa vie à Paris, travaillant comme ouvrier chez Renault à Boulogne-Billancourt et participe aux principaux débats du mouvement ouvrier en marquant le courant communiste-libertaire jusqu’à sa mort en 1934. Comme pour bien d’autres révolutionnaires, Makhno fut la cible de campagnes de calomnies venues des relais communistes français des normalisateurs staliniens : bandit de grand chemin, aventuriste et, surtout, antisémite. Une accusation qui a la vie dure, puisqu’on l’entend encore aujourd’hui jusque dans les rangs libertaires. Sur ce point, on renverra à ce qu’en dit Voline, dans La Révolution inconnue. Compagnon de route de Makhno, organisateur de la Confédération d’Organisations Anarchistes d’Ukraine (Nabat), qui avait rejoint laMakhnovtschina et ne peut être soupçonné de complaisance vis-à-vis des organisateurs de pogroms de l’époque.

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VU SUR http://quartierslibres.wordpress.com/

Crise et enquête

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Asad Haider revient ici sur deux traditions théoriques et militantes, l’opéraïsme et le conseillisme, qu’il propose de faire dialoguer autour des thèmes de la crise et de la composition de la classe ouvrière. Il milite en faveur d’un réinvestissement de la pratique opéraïste de l’enquête, seule susceptible de dégager les conditions d’une recomposition antagonique du prolétariat.

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Lorsqu’en 1968, les futurs membres de la « League of Revolutionary Black Workers » prirent le contrôle du journal étudiant de Wayne State, ils ajoutèrent à l’en-tête le slogan suivant : « Un ouvrier conscient vaut cent étudiants. »1 Ce genre d’arithmétique politique est aujourd’hui devenu beaucoup plus difficile. Non pas qu’il ne soit pas tenté ; on peut imaginer entendre « une infirmière syndiquée vaut cent serveuses. » Mais le calcul ne tient pas debout. La formule originelle a étéavancée dans le Detroit industriel, dont l’industrie automobile représentait l’avant-garde du développement capitaliste mondial. Detroit est désormais en faillite, et la gauche marxiste semble osciller entre la répétition des vieilles formules et leur démenti apocalyptique.

Il nous faut donc revenir au problème que cette formule était censéerésoudre : celui de la manière dont les catégories de classe se situent dans le développement capitaliste et dont elles peuvent être transformées en un sujet politique. La pratique de l’enquête ouvrière a toujours représenté une tentative de résolution de ce problème, et pour l’operaïsme italien, c’est le concept de composition de classe qui devait orienter ces recherches.

Dans Ouvriers et capital, Mario Tronti fonde la composition de classe sur la théorie de la valeur de Marx. Il commence par rappeler la thèse de Marx dans le livre II du Capital, selon laquelle le rapport de classe n’apparaît pas dans l’atelier, mais est déjà contenu dans l’échange central entre l’argent et la force de travail. Cet échange présuppose qu’un prolétaire dépossédé des conditions de travail rencontre le propriétaire d’argent sur le marché2.

Mais l’achat et la vente de la force de travail déclenchent une dynamique de recomposition. Le capitaliste individuel doit en effet rassembler une multiplicité de forces individuelles de travail pour constituer un force productive coopérative. Les prolétaires atomisés sont ainsi recomposés enclasse ouvrière collective. Or, dès que cette force productive est incorporée au capital, comme le ferment actif de la valorisation de la valeur, elle devient un agent antagoniste. La classe ouvrière résiste à sa réduction au statut de force de travail, même si cette résistance prend des formes totalement passives. Quand elle prend la forme d’une résistance à la journée de travail, les capitalistes sont forcés d’agir collectivement en tant que classe, pour protéger les conditions d’accumulation que leur concurrence pourrait par ailleurs saper. Ainsi, en limitant légalement la journée de travail, l’Etat capitaliste empêche l’exploitation, qui tend à écraser les corps de la classe ouvrière, de détruire ses propres conditions de possibilité. Mais cette dynamique force également les capitalistes à s’engager dans un bond technologique en avant de manière à renouveler l’accumulation; et cette revolutionarisation du procès de production est identiquement recomposition de la force productive de la force de travail à un niveau technologique plus élevé. Les enquêtes ouvrières menées, entre autres, par Romano Alquati, représentent une tentative d’analyse de la nature de cette force de travail technologiquement recomposée et de ses refus politiques.

La dynamique précédemment décrite correspond à la composition de classe sur le plan de laconstitution sociale. Elle est logiquement suivie par la composition de classe sur le plan de l’organisation. C’est cette question des formes organisationnelles qu’en 1967, Bologna met au cœur de ce qui est sans doute le texte le plus célèbre sur le concept de composition de classe, « composition de classe et théorie du parti aux origines du mouvement des conseils ouvriers ».

Dans ce texte, le rapport entre la constitution de la force de travail et son refus antagoniste est exprimé par le rapport entre les compositions « technique » et « politique » de la classe ouvrière. Bologna se concentre sur une composition technique spécifique à l’Allemagne du début du vingtième siècle: celle de « l’ouvrier professionnalisé », l’ouvrier qualifié opérant sur des machine-outils et attaché à son métier. Il cherche à montrer que malgré son caractère conservateur (protection d’une aristocratie ouvrière contre l’innovation technique, revendication de la position et de la fonction de producteur) le projet autogestionnaire avait néanmoins un caractère révolutionnaire dans la conjoncture au sein de laquelle il intervenait. En bloquant la tentative des employeurs d’augmenter la composition organique du capital, les conseils ouvriers ont représenté un obstacle fondamental à l’accumulation. Il a donc non seulement fallu les briser par la force politique, mais le capital a en outre été contraint de décomposer l’ouvrier professionnalisé. Le Taylorisme a ainsi été introduit en Allemagne après le deuxième guerre mondiale pour répondre au défi des conseils, en cassant l’ouvrier professionnalisé et en recomposant la classe ouvrière sous la forme du « travailleur à la chaîne déqualifié, déraciné, très mobile, et interchangeable. » Cet « ouvrier-masse » pouvait être soumis à un niveau plus élevé d’automation, mais il pouvait aussi avancer de nouvelles formes politiques organisées autour des luttes salariales, lesquelles définissent le cadre de la période étudiée par Bologna3.

Or, il y a au moins deux façons d’interpréter cette dynamique. Une première décrit les formes d’organisation comme autant de réponses stratégiques de la classe ouvrière à des moments déterminés du développement capitaliste. Elle reconduit corrélativement les réactions du capital à la perturbation que représente l’antagonisme ouvrier organisé. Quoique fluctuants, ces processus sont constitutifs l’un de l’autre, ils s’entre-limitent et ouvrent de nouvelles trajectoires pour leur développement respectif4.

Pour la seconde interprétation, en revanche, ces processus peuvent être compris comme autant d’étapes vers la réalisation d’un but historique, soumis à une « periodisation. » L’ouvrier professionnalisé aurait ainsi été dépassé par l’ouvrier-masse afin de réaliser l’abstraction complète du travail – autrement dit, afin d’assurer le plein développement du capital et de la subjectivité de la classe ouvrière. L’hégémonie du secteur avancé de la classe ouvrière sert de garantie au déroulement de ce processus historique. La composition de classe se transforme alors en théorie téléologique del’expression de la composition technique en composition politique.

Cette lecture n’est pas sans précédent chez Marx. Comme le souligne Toni Negri, on trouve un aperçu de ce déroulement historique de l’abstraction dans les Grundrisse, mais il passe à l’arrière-plan dans l’exposition scientifique et empirique du Capital. Bologna, qui semble préférer l’exposition scientifique et empirique, devait plus tard sévèrement critiquer cette deuxième interprétation, à la fois comme lecture de son propre travail et comme cadre d’analyse des nouvelles figures hégémoniques. Mais son texte ne propose pas d’alternative théorique, et la periodisation qu’il propose ne permet pas d’expliquer certains secteurs de la classe ouvrière allemande, qui, à l’instar des mineurs de la Ruhr, ne sauraient être assimilés à la composition de l’ouvrier professionnalisé5.

Il est à cet égard frappant de constater qu’alors même qu’il souligne le« pouvoir ouvrier de provoquer la crise et de geler le développement capitaliste » qu’ont exercé les conseils, Bologna ne mentionne pas le débat sur la théorie de l’effondrement mené au sein du mouvement conseilliste allemand. Pour la majorité des communistes de conseils qui se sont séparés du Parti communiste pour fonder le KAPD en 1920, l’imminence de la crise terminale conférait aux luttes économiques spontanées un caractère directement révolutionnaire. Mais les implications politiques de cette théorie ne furent pas discutées en profondeur avant 1929, quand Wall Street s’est écroulé alors qu’ Henryk Grossman venait de présenter une nouvelle théorie de la crise fondée sur « la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. »

Cinq ans plus tôt, l’économiste allemand Erich Preiser avait affirmé que :

les parallèles avec la philosophie hégélienne de l’histoire ne sont nulle part plus clairs que dans la loi de la baisse tendancielle du taux de profit6.

Il revient à Paul Mattick, un participant de la Révolution allemande transplanté aux États-unis à partir des années 1920, d’avoir intégré cette philosophie de l’histoire au communisme des conseils. Mattick s’est appuyé sur la thèse avancée par Grossman d’une accéleration des crises cycliques pour prévoir « la crise permanente, ou crise mortelle du capitalisme », au cours de laquelle le capital, dans une ultime tentative de récupérer ses profits, engagerait un assaut frontal contre la classe ouvrière. Il écrit :

C’est seulement lorsque le prolétariat connaît un processus nécessaire de paupérisation absolue que les conditions objectives sont mûres pour un mouvement authentiquement révolutionnaire7.

À vrai dire, pour Mattick, cette stricte condition de l’action révolutionnaire remettait en question la signification politique des conseils allemands. Leur défaite aurait finalement démontré que :

la lutte du prolétariat allemand de 1912 à 1923 est apparue comme un ensemble de frictions mineures accompagnant le processus de réorganisation capitaliste8.

Cependant, au sein du mouvement international des conseils, tous ne souscrivaient pas à cette eschatologie pour laquelle les luttes de classe précédant l’effondrement sont autant de chaises longues sur le Titanic. Karl Korsch remarque ainsi que :

la théorie d’une tendance économique de développement objectivement donnée, dont le but peut être saisi en avance, emploie des images au lieu de concepts scientifiques explicitement déterminés9

Anton Pannekoek a quant à lui critiqué la théorie de l’effondrement en profondeur. Ayant présenté une réfutation mathématique de l’argument de Grossman, il s’est concentré sur le rapport théorique entre l’opération objective des lois économique et l’action subjective de la classe ouvrière. La conception de Grossman selon laquelle la révolution s’imposerait par une catastrophe économique ne laisse guère de place au développement de la « maturité révolutionnaire » de la classe ouvrière, maturité qui, si elle est généralement acquise au cours des luttes salariales, exige en fin de compte de « nouvelles formes de lutte. » La théorie de Grossman n’exprimerait ainsi que la vision des intellectuels, prêts à se présenter comme un « nouveau pouvoir gouvernant » lorsque le vieux monde se sera écroulé10.

Bref, le mouvement des conseils a bel et bien posé la question du rapport entre crise et révolution. Mais dans la théorie avancée par Grossman et Mattick, il a également réduit cette relation incertaine à la nécessité historique de l’effondrement. Il n’est dès lors pas surprenant que la théorie de la crise n’est pas été intégrée à l’analyse du caractère concret de la classe ouvrière. En fait, pour Grossman et Mattick, le développement technologique exprime simplement la relation transhistorique des être humains à leurs outils11. Sans une conception historiquement déterminée de la marchandise force de travail ou de l’impératif spécifiquement capitaliste de développement technologique, il est impossible de rendre compte de la manière dont le changement technique transforme l’existence concrète de la force de travail.

De l’autre côté, bien que Korsch et Pannekoek aient avancé une critique perspicace des présupposés téléologiques de la théorie de l’effondrement, ils furent incapables de proposer une analyse alternative du rapport entre les catégories économiques objectives et l’organisation révolutionnaire. Pour Pannekoek, la subjectivité politique peut en effet être réduite à un processus de « développement spirituel12. » Dans cette perspective, la forme-conseil, plutôt qu’une réponse politique à un niveau spécifique de développement capitaliste, ne représenterait rien d’autre que le « destin » d’une classe ouvrière appelée à gérer la production.

Notons que ces débats sur l’effondrement eurent lieu juste avant le plus long boom dans l’histoire du capitalisme. Mattick maintint tout au long de ce boom que les contradictions internes du capitalisme le propulsaient encore et toujours vers l’effondrement. La réponse de l’operaïsme, quant à elle, s’est développée dans une toute autre direction. Tronti rejete en effet explicitement toute théorie de l’effondrement, et insiste sur les moments de stabilisation cyclique qui suivent les crises économiques. Soutenant fermement que les luttes salariales ne sauraient mener à une crise catastrophique de profitabilité, il souligne néanmoins que ces luttes, dans la mesure où elles représentent le refus de la classe ouvrière d’être constituée en force de travail, peuvent provoquer une crise politique :

le maillon de la chaîne où se produira la rupture ne sera pas celui où le capital est le plus faible mais celui où la classe ouvrière est la plus forte13.

La révolution émergerait ainsi au point où la classe ouvrière pourrait contraindre le capital à un plus haut niveau de développement, et où son parti pourrait entraîner un rupture avec ce développement : Lénine en Angleterre. Le développement politique le plus avancé de la classe ouvrière est alors l’ouvrier-masse, dont Bologna a retracé les origines dans la réponse capitaliste aux conseils14.

Vinrent alors les années 1970 ; le développement capitaliste fonça tête baissée dans une nouvelle crise économique, et l’usine perdit de sa centralité dans les conflits sociaux. C’est dans ce contexte que des figures comme Bologna et Negri réactivèrent l’orthodoxe « baisse tendancielle du taux de profit. » Mais il s’agissait là d’une tentative réelle d’interprétation de la crise politique sur le base d’une conception dynamique de la force de travail15. Mettons donc entre parenthèse les détails techniques de ces débats renouvelés sur la théorie de la crise, ainsi que ceux qui concernent les mécanismes causaux à l’oeuvre derrière le déclin du boom d’après guerre, et concentrons-nous sur le rapport entre crise et composition de classe.

Dans un contexte marqué par l’augmentation du chômage et l’émergence des nouveaux mouvements sociaux, Negri a ambitieusement tenté de repenser le sujet révolutionnaire en proposant une nouvelle figure hégémonique: l’ouvrier socialisé. Les détails précis de cette théorie ont été largement critiqué par, entre autres, les operaïstes, mais la critique doit porter à un niveau conceptuel plus fondamental : ce qui est resté ininterrogé, c’est en effet la prémisse même d’une figure hégémonique de la classe ouvrière, d’une avant-garde ouvrière coincidant avec le « secteur avancé » de la production capitaliste.

Bologna et les contributeurs de son journal Primo Maggio ont quant à eux exploré une approche alternative, en revenant à l’enquête ouvrière. Leurs enquêtes sur la restructuration dans l’industrie automobile, surtout celles menées par Marco Revelli chez FIAT, se concentrent sur la stratégie de crise mise en place par le capital pendant les années 1970. On rencontre ici tous les termes qui nous sont devenus familiers: diversification, financiarisation, décentralisation, et délocalisation. Il s’agissait en même temps d’un processus de recomposition de la classe ouvrière, représenté par l’automation, la tertiarisation, et l’embauche d’une jeune génération d’ouvriers. Les licenciements massifs furent suivis par la robotisation accélérée du procès de production, non seulement comme facteur d’augmentation de la productivité, mais aussi comme mesure disciplinaire16.

Cette recomposition a également été marquée par une féminisation de la main-d’œuvre, encouragée par de nouvelles lois promouvant l’embauche des femmes. Comme le souligne Alisa Del Re, l’entrée des femmes sur le marché du travail salarié a été motivée par la « précarité d’accès aux moyens de survie. » L’inflation avait directement touché les femmes, qui géraient la consommation des ménages, et elle les a contrainte à occuper le « double poste de travail » du travail salarié et du travail domestique de reproduction17.

En octobre 1980, cette décennie de lutte de classe et de restructuration culmine dans une grève de cinq semaines contre les licenciements, rapportée par Revelli dans l’article « Les ouvriers de FIAT et les autres. » L’échec de la grève est dû à l’expression sans précédent d’un fort sentiment anti-ouvrier : les 10-15 000 travailleurs en grève durent en effet faire face à 20-40 000 cadres moyens, chefs d’équipe, et employés de bureau défendant, lors d’une contre-manifestation, leur « droit de travailler ». Pour Revelli, il s’agit là d’une « décomposition extrême de la classe » provoquée par « l’insécurité planifiée promue par le capital » ayant mené les « couches moyennes » à « offrir leur loyauté en échange de la sécurité. »

C’est pourquoi il était temps, selon Revelli, de réviser l’analyse « schématique » des compositions de classe unitaires pouvant faire l’objet d’une périodisation par étapes nettement délimitées. En fait, c’est l’hétérogénéité qui caractérise l’histoire globale du mouvement ouvrier. Les expériences de luttes passées se communiquent aux secteurs émergents, construisant ainsi des réseaux qui permettent de nouvelles luttes. L’ouvrier-masse n’a pas été dépassé par les mouvements des étudiants et de la jeunesse; les deux figures de classe étaient articulées de manières complexes, irréductibles à l’hégémonie de l’une ou l’autre. Comme l’écrit Revelli :

Le jeune prolétariat métropolitain peut aller « au-delà » du travail précisément parce que […] la région qui s’étend derrière la ligne de front est défendue par une puissance ouvrière qui a été moulé et formé par le travail.

Mais maintenant que cette défense a été détruite par l’offensive des employeurs contre le front ouvrier, de quelle théorie de la composition de classe avons-nous besoin ? Il faut commencer par souligner que cette décomposition dépasse la stratégie capitaliste initialement décrite par l’operaïsme, qui consistait à briser le contrôle ouvrier pour introduire des machines économisant le travail. Revelli avait prévu que malgré l’informatisation de l’usine, le capital ralentirait son investissement en capital fixe et opterait à la place pour la surexploitation de la main-d’œuvre. Or, comme l’a récemment montré Kim Moody, c’est exactement là ce qui s’est passé aux États-unis pendant les années quatre-vingt : le « maillon brisé » entre l’augmentation du rendement de travail et le salaire est une des ruptures opérées par le néolibéralisme. La trajectoire typique du développement capitaliste implique certes la constitution de la force de travail au sein de formes de production techniquement de plus en plus avancées. Mais – conséquence paradoxale de l’énorme succès rencontré par le capital dans la lutte de classe qu’il a mené ces dernières décennies – lorsque « l’incitation à de grandes percées technologiques est émoussée par le déclin des coûts relatifs au travail » un aspect classique du développement capitaliste se trouve miné18.

Il faut néanmoins insister sur le fait qu’on est très loin d’un effondrement de type conseilliste, caractérisé par l’émergence de luttes spontannées « riches d’implications révolutionnaire19. » Nous sommes au contraire toujours confrontés à cette classe ouvrière défaite que décrivait Revelli. Elle n’est pas spontanément unifiée, et son potentiel antagonique est soumis à un nouveau régime disciplinaire. Ses comportements et ses identités n’expriment pas une composition de classe avancée, mais plutôt les divisions fondamentales de la précarité. La recherche d’une figure hégémonique de la classe ouvrière représente un obstacle à la compréhension de ces changements. Il nous faut bien plutôt poser une question qui ne pouvait pas l’être dans les débats classiques sur l’effondrement, et qui n’a jamais été clairement articulée dans l’operaïsme : si la composition de classe est interne aux rapports d’échange et au développement capitaliste, que signifie le fait que les crises du capitalisme décomposent le rapport de classe ? La réponse à cette question implique un retour à l’enquête – à une enquête militante sur la constitution inégale de la force de travail et les formes d’organisation susceptibles de répondre à la décomposition et la crise.

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  1. Voir Dan Georgakas, “Revolutionary struggles of Black workers in the 1960s,”http://isreview.org/issues/22/black_workers.shtml []
  2. Je résume Mario Tronti, « Marx, force de travail, classe ouvrière » in Ouvriers et Capital, Paris, Christian Bourgeois, 1977. Pour une explication détaillée qui situe cette analyse dans l’histoire de l’enquête ouvrière, voir Asad Haider et Salar Mohandesi, “Workers’ Inquiry: A Genealogy,” Viewpoint 3 (2013), http://viewpointmag.com/2013/09/27/workers-inquiry-a-genealogy/ []
  3. Sergio Bologna, “Class Composition and the Theory of the Party at the Origins of the Workers’ Council Movement,” disponible sur http://libcom.org/library/class-composition-sergio-bologna[]
  4. On trouve cet argument dans les textes de Negri qui vont de « La crise de l’État-plan » à Marx au-delà de Marx. Pour des réponses critique a cette approche, voir Riccardo Bellofiore et Massimiliano Tomba, “On Italian Workerism” http://libcom.org/library/italian-workerism, et Michael Heinrich, “The ‘Fragment on Machines’: A Marxian Misconception in the Grundrisse and its Overcoming in Capital” in Riccardo Bellofiore, Guido Starosta, et Peter D. Thomas (dir.), In Marx’s Laboratory, Leiden, Brill, 2013. []
  5. Pour les commentaires de Bologna lui-même, voir “The Factory-Society Relationship as an Historical Category,” http://libcom.org/library/factory-society-relationship-historical-category ; “Eight Theses On Militant Historiography,” http://libcom.org/library/eight-theses-militant-historiography et “Negri’s Proletarians and the State: A Review” in Timothy S. Murphy and Abdul-Karim Mustapha (dir.) The Philosophy of Antonio Negri, Londres, Pluto Press, 2005. On trouve une explication utile des thèses de Bologna au chapitre 8 de Steve Wright, A l’assaut du ciel. Composition de classe et lutte de classe dans le marxisme autonome italien, EditionsSenonevero, 2007. L’historien de la Ruhr Franz Brüggemeier critique Bologna pour son inattention à la manière dont l’auto-organisation autonome des mineurs était enracinée dans les formes de vie autour du travail, notamment dans le soutien mutuel entre les familles des mineurs et ses locataires immigrés ; voir Franz Brüggemeier “Ruhr Miners and their Historians” in Raphael Samuel (dir.), People’s History and Socialist Theory, Londres, Routledge, 1981, p. 328. []
  6. E. Preiser, « Das Wesen der Marxschen Krisentheorie », 1924, cité dans M.C. Howard et J.E. King, A History of Marxian Economics, tome 2, Londres, Macmillan, 1992, p. 132. []
  7. Paul Mattick, “The Permanent Crisis – Henryk Grossman’s Interpretation of Marx’s Theory Of Capitalist Accumulation,” 1934. https://www.marxists.org/archive/mattick-paul/1934/permanent-crisis.htm. En français, voir Paul Mattick, Crises et théories des crises,Paris, Champ Libre, 1976. On trouve des analyses utiles des débats allemands sur la crise élaborée dans une perspective convergeante avec l’opéraïsme dans Giacomo Marramao, “The Theories of Collapse and Organized Capitalism in the Debates of ‘Historical Extremism,’” “Theory of Crisis and the Problem of Constitution,” et “Political Economy and Critical Theory”; Guido De Masi and Giacomo Marramao, “Councils and State in Weimar Germany”; et Gabriella M. Bonacchi, “The Council Communists between the New Deal and Fascism.” Tous ces textes sont disponibles sur www.libcom.org. Malgré des références intermittentes à « la composition de classe », ces textes son trop fondés dans la problématique Grossman-Mattick pour donner lieu à une approche satisfaisante. On peut adresser la même critique à Russell Jacoby “The Politics of the Crisis Theory: Toward the Critique of Automatic Marxism II,” Telos 23, 1975. []
  8. Paul Mattick, “Anti-Bolshevist Communism in Germany,” 1947http://www.marxists.org/archive/mattick-paul/1947/germany.htm Cette position devait se révéler quelque peu instable. Les écrit tardifs de Mattick suggèrent en effet que les conditions révolutionnaires ont cours pendant les crises en général et pas seulement durant la crise terminale. On lit ainsi dans “Marxism Yesterday, Today, and Tomorrow,” 1978http://www.marxists.org/archive/mattick-paul/1978/marxism.htm : « En principe, toute crise prolongée et profonde peut donner lieu à une situation révolutionnaire susceptible d’intensifier la lutte de classe jusqu’au point de renversement du capitalisme – à condition, bien sûr, que les conditions objectives engendrent une disposition subjective à changer les rapport sociaux de production » . Ici, la subordination du subjectif à l’objectif prend une tournure dialectique, mais elle reflette néanmoins un profond pessimisme quant aux chances de rencontre entre les conditions objectivement révolutionnaires de la crise et la conscience subjectivement révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour Mattick, la receptivité des ouvriers à l’idéologie réformiste et bourgeoise est un fait objectif ; elle représente l’obstacle principal à la révolution, et l’on ne comprend pas vraiment comment cet obstacle peut être vaincu. Puisque le conseil n’est pas seulement le moyen de l’action socialiste, mais aussi la forme concrète de la société socialiste, aucune mécanisme en dehors du conseil ne peut être la source de la conscience révolutionnaire ; pourtant le cas allemand a démontré que le conseil a historiquement permis la capitulation devant l’idéologie de la démocratie bourgeoise. []
  9. Karl Korsch, “Some Fundamental Presuppositions for a Materialist Discussion of Crisis Theory,” 1933 https://www.marxists.org/archive/korsch/1933/crisis-theory.htm []
  10. Anton Pannekoek, « La théorie de l’écroulement du capitalisme », 1934.http://www.marxists.org/francais/pannekoek/works/1934/00/pannekoek_19340001.htm La question des lois objectives et de la subjectivité politique est abordée avec une grande clarté dans Lucio Colletti, “The Theory of the Crash,” Telos 13, 1972. []
  11. « Depuis le début de l’histoire humaine, c’est la capacité qu’a l’ouvrier individuel avec sa force de travail T de mettre en marche un plus grande masse des moyens de production M qui a orienté le progrès technologique et économique. L’avance technologique et le développement de la productivité humaine sont directement exprimés dans la croissance de M par rapport à T. Comme toute forme d’économie, le socialisme sera également caractérisé par l’avance technologique dans sa forme immédiatement naturelle M : T. » Henryk Grossman, The Law of Accumulation and the Breakdown of the Capitalist System, trad. Jairus Banaji, Londres, Pluto Press, 1992, p. 31. Voir aussi Mattick, “Permanent Crisis.” []
  12. Anton Pannekoek, “Party and Working Class,” 1936,http://www.marxists.org/archive/pannekoe/1936/party-working-class.htm. En français, voir « Au sujet du Parti communiste » in K. Korsch, P. Mattick, A. Pannekoek, O. Ruhle, H. Wagner,La contre-révolution bureaucratique, Paris, UGE, 10/18, 1973. []
  13. Mario Tronti « Une vieille tactique au service d’une nouvelle stratégie » in Ouvriers et Capital,op. cit. []
  14. Voir Mario Tronti, Ouvriers et Capitalop. cit. p. 105-113 et 289-311 où on lit : « Tel est le nouveau concept de crise du capitalisme qu’il faut introduire : non plus la crise économique, l’écroulement catastrophique, le Zusammenbruch même purement temporaire, en raison d’une impossibilité objective pour le système de fonctionner ; mais la crise politique, dictée par les mouvements subjectifs des ouvriers organisés, à travers un enchaînement de phases critiques de la conjoncture provoquées délibérément avec pour seule stratégie : le refus ouvrier de résoudre les contradictions du capitalisme au moyen d’une tactique organisationnelle à l’intérieur des structures productives du capital, mais en dehors de ses initiatives politiques et libre vis-à-vis d’elles. » []
  15. Sergio Bologna, « Money and Crisis: Marx as Correspondent of the New York Daily Tribune, 1856-57 » http://libcom.org/history/money-crisis-marx-correspondent-new-york-daily-tribune-1856-57-sergio-bologna ; Negri a anticipé ces thèmes dans plusieurs articles réunis dans La classe ouvrière contre l’Etat, Paris, Galilée, 1978. Steve Wright présente les débats de Primo Maggio sur la théorie monétaire dans « Revolution from Above? Money and Class-Composition in Italian Operaismo » in Karl Heinz-Roth et Marcel van der Linden (dir.), Beyond Marx, Leiden, Brill, 2014. []
  16. Marco Revelli, Gli operai di Torino e gli ‘altri’ » Primo Maggio n°14 (hiver 1980/81). En anglais, voir « Defeat at Fiat » http://libcom.org/history/1980-defeat-fiat-marco-revelli. En français, on consultera http://multitudes.samizdat.net/Fiat-apres-Fiat . Bologna synthétise certaines des données empiriques utilisées dans ces articles dans « The Theory and History of the Mass Worker in Italy » http://libcom.org/library/theory-history-mass-worker-italy-sergio-bologna et on trouvera un récit historique de ces évènements dans dans Steve Wright, A l’assaut du ciel,op. cit., ch. 9. []
  17. Alisa Del Re, “Women and Welfare: Where is Jocasta?” in Radical Thought in Italy et “Workers’ Inquiry and Reproductive Labor,” Viewpoint 3, 2013,http://viewpointmag.com/2013/09/25/workers-inquiry-and-reproductive-labor/. L’argumentation sur l’inflation a été avancée assez tôt par Mariarosa Dalla Costa dans Women and the Subversion of Community, 1972. http://www.commoner.org.uk/wp-content/uploads/2012/02/02-dallacosta.pdf []
  18. Kim Moody, “Contextualising Organised Labour in Expansion and Crisis: The Case of the US,”Historical Materialism 20:1, 2012, p. 23-24. []
  19. Paul Mattick “Marxism Yesterday, Today, and Tomorrow », art. cit. []
Asad Haider
lu sur http://revueperiode.net/

[Flics, Porcs, Assassins] 50 ans de morts par la police

Open data citoyenne
Homicides, accidents, « malaises », légitime défense : 50 ans de morts par la police

Il n’existe pas, en France, de décompte officiel des interventions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort. Combien de décès liés à une opération de police en 2013 ? Les années précédentes ? Dans quelles circonstances policiers ou gendarmes font-ils usage de la force, au risque d’entraîner la mort ? Les bavures avérées sont-elles marginales ? Impossible de le savoir autrement qu’en recensant soi-même le nombre de cas où un simple contrôle, une interpellation ou une poursuite de suspects se sont conclus par la mort des personnes ciblées. Basta ! s’est attelé à cette tâche. Et publie une base de données inédite, collectant ces informations sur près d’un demi-siècle. Dans le but d’ouvrir le débat sur ce qui semble être un tabou.

La violence exercée par les forces de l’ordre, lorsqu’elle provoque la mort, est-elle tabou en France ? Dans combien d’affaires, la question de la légitimité du recours à cette violence mortelle se pose-t-elle ? Des décès étaient-ils évitables ? Aucune base de données, aucun rapport, aucune statistique officielle n’existe sur le sujet. Ni au ministère de l’Intérieur pourtant si prompt à classifier la délinquance. Ni au ministère de la Justice qui comptabilise les condamnations inscrites au casier judiciaire selon la nature des délits – « violence à agent de l’autorité publique » par exemple. On nous renvoie de service en service tout en assurant qu’aucune procédure impliquant des policiers ou des gendarmes ne dort dans les tiroirs. Pas de fichier secret comptabilisant un « chiffre noir », certifiait la Direction générale de la police nationale, en juin 2012 [Voir Mediapart].

Le sociologue Fabien Jobard évoque dans son livre Bavures policières ? [Éd. La Découverte, avril 2002] la publication d’études de l’Inspection générale des services (IGS) dans les années 90 mentionnant, sous l’effet d’une pression médiatique, le nombre de morts liés aux interventions policières. Mais le chercheur y pointe des lacunes et des contradictions. Ces études sont, de toute manière, demeurées temporaires. De son côté, feu la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) mentionne bien les « violences illégitimes » et les « décès à la suite d’interpellation » pour lesquels elle est saisie, mais n’en a pas dressé d’inventaire. Son successeur, le Défenseur des droits, ne fait pas mieux. Seules, les fiches répertoriées pour n’importe quelle affaire judiciaire gardent une trace des homicides commis par des policiers, précise Sophie Combes, magistrate et vice-présidente du Syndicat de la magistrature. Bref, il n’existe rien de spécifique sur les modalités d’usage de cette violence mortelle.

Une exception française ?

Pas sûr que le formulaire en ligne, lancé par l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) pour permettre à tout citoyen de dénoncer « un comportement susceptible de mettre en cause des agents affectés dans un service de la police nationale », vienne combler cette lacune (voir le signalement IGPN). Cette initiative, prévue par la réforme 2013 de la « police des polices » voulue par le ministère de l’Intérieur, vise à rapprocher la police des citoyens. Une avancée timide au vu du quasi désert d’informations sur les bavures policières.

Ce type de recensement existe pourtant dans d’autres pays. Aux États-Unis, la Cour suprême tient une liste des « justifiable homicides by officers » (« homicides justifiables commis par des officiers ») relevés par le FBI (587 homicides en 2012, 309 en 2013). Des activistes publient également leur propre inventaire des violences mortelles « extrajudiciaires » perpétrées par les forces de sécurité, publiques ou privées. Au Canada, les médias québécois jouent un rôle « plus important qu’en France pour réclamer des réponses en pareilles circonstances, ce qui fait que les incidents sont plus difficiles à ignorer et que le système est moins dysfonctionnel », estime le chercheur en criminologie Benoît Dupont. C’est d’ailleurs au Canada qu’une « journée internationale contre les violences policières » a été initiée. Elle se déroule le 15 mars. Plusieurs collectifs français y participent (voir les rendez-vous). En Allemagne, « la conférence des ministères de l’Intérieur » des différents Länder a publié en septembre 2013 des statistiques sur l’utilisation de leurs armes de service par les policiers allemands. Huit personnes ont été tuées par balles par des policiers allemands en 2012, et vingt blessées [Les policiers allemands ont tiré sur des personnes dans 36 cas et ont raté leur cible dans les 8 cas restants. Source : Der Spiegel. La plupart de ces utilisations d’armes à feu sont enregistrées comme des tirs de légitime défense.].

Une base de données inédite

Et en France ? Constatant l’absence de données officielles, Basta ! a décidé d’y remédier. Nous nous sommes donc attelés à ce décompte. Grâce, notamment, à la fastidieuse veille entreprise depuis 1968 par l’historien Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle du Vel d’Hiv et animateur de l’Observatoire des libertés publiques (et de sa lettre Que fait la police ?) ; grâce aux informations fournies par le site À toutes les victimes des États policiers qui tente de recenser « les personnes tuées par la police » depuis 1971. Et grâce au travail lancé plus récemment par Ramatta Dieng, membre du collectif Vies volées, et sœur de Lamine Dieng, mort par étouffement dans un fourgon de police en 2007 à Paris. Une base d’informations que nous avons croisées, vérifiées, complétées.

Ce décompte n’est bien sûr pas exhaustif (voir notre méthodologie en fin d’article). Il prend en compte l’intégralité des actions ayant entraîné la mort et des homicides commis par des policiers ou des gendarmes, que ces actes soient volontaires ou non (accidents), relèvent ou pas de la légitime défense, qu’ils soient perpétrés dans des circonstances troubles (comme lors de bavures) ou lorsque l’agent n’est pas en service. Idem pour le profil des victimes, quels que soient la nature et la gravité du délit dont elles sont suspectées. Du présumé innocent au truand ou meurtrier avéré, en passant par le petit délinquant pris en flagrant délit, le respect du droit s’applique à chacun.

Il ne nous appartient pas de dire si, dans telle affaire, l’usage de la violence ayant entraîné la mort est « légitime » ou non. Si tuer ou faire usage de la force constitue, au vu des circonstances, une réponse disproportionnée ou pas. S’il y avait intention ou non de tuer. C’est à la Justice de trancher, lorsqu’elle est saisie [D’après l’article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »]. Relevons simplement que nombre de procédures ont été abandonnées et bien des « non-lieux » ont été prononcés, un entre-deux inadapté aux demandes des familles des victimes. « Le ministère de l’Intérieur s’engage à ce que les Français connaissent la réalité des chiffres. C’est un principe fondamental de notre démocratie. Ce qui le préoccupe, c’est de lutter efficacement contre la délinquance et contre toutes les formes de violences, dans la durée », déclarait Manuel Valls, quelques mois après l’élection de François Hollande. Pourquoi cet engagement ne vaudrait-il pas pour cette forme de violence ? Notre « frise » chronologique, qui recense les morts liées à une intervention policière, permettra – nous l’espérons – d’ouvrir le débat sur ce sujet. Pour que ces morts puissent être évitées.

Comment naviguer sur la frise ?

– Si la base n’apparaît pas, tentez de réactualiser la page
– Pour remonter au fil des années : clic gauche maintenu pour faire défiler la chronologie
– Pour consulter une fiche : cliquer sur le nom
– Zoomer : pour voir le détail d’une année (symbole loupe + à gauche) ou voir plusieurs années à la fois (symbole loupe – à gauche)

Voir aussi notre méthodologie en fin d’article. Tout complément d’informations ou signalement d’erreurs sont les bienvenus.

Nous avons décidé d’entamer ce décompte à partir du 17 octobre 1961 : en pleine guerre d’Algérie, l’exécution, par les forces de l’ordre sous la responsabilité du Préfet Maurice Papon, de plusieurs dizaines d’Algériens manifestant pour le droit à l’indépendance, symbolise encore aujourd’hui l’opacité – et dans ce cas l’impunité – qui peut régner sur l’action de l’institution policière. Un demi-siècle plus tard, ce qui s’est alors passé dans les rues de la capitale est encore tabou. Il « est intolérable de mettre en cause la police républicaine et avec elle la République toute entière », déclarait ainsi, le 17 octobre 2012, Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, après la reconnaissance par le Président François Hollande de « la sanglante répression ». Reste que nous ne disposons d’informations plus complètes que depuis la fin des années 70.

Des violences policières plutôt de droite ou de gauche ?

Résultats ? Déjà 4 morts en 2014. 10 morts en 2013, 19 en 2012, 9 en 2011… 320 morts recensés en un demi-siècle, si l’on exclut le massacre du 17 octobre 1961 et la répression, un an plus tard, d’une manifestation contre la guerre d’Algérie et contre l’OAS, qui fera neuf morts aux abords du métro Charonne. Depuis la fin des années 70, huit décès liés à une intervention policière surviennent par an, en moyenne. L’année la plus meurtrière ? 1988 et ses 26 morts, qui est une année à part : celle où 19 militants indépendantistes kanaks sont tués lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, après avoir pris des gendarmes en otage. Hors évènements exceptionnels, 1986 reste ainsi l’année la plus tragique, avec 20 personnes tuées par la police, dont six dans les semaines qui suivent l’arrivée de Charles Pasqua (RPR) place Beauvau, d’où il lance son « Je vous couvre ». Ce « pic » se reproduira en mai 1993 – au moins 5 morts en dix jours (sur un total de 11) – alors que Charles Pasqua est de retour place Beauvau.

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« Il n’y a pas de règles », précise cependant Maurice Rajsfus, qui a analysé les différentes périodes de répression d’État. Si l’année 2006 n’enregistre « que » 5 morts – Nicolas Sarkozy est alors ministre de l’Intérieur –, la suivante, année d’élection présidentielle, en compte 16, dont plusieurs cas troubles. Les deux dernières années de scrutin présidentiel – 2007 et 2012 (19 morts) – ont été particulièrement meurtrières. Ce qui n’est pas le cas pour les deux précédentes – 1995 et 2002 – avec respectivement 4 et 5 morts. À gauche, 1984 demeure une année noire, avec 14 décès.

De 7 à 77 ans : portrait-type des personnes tuées par la police

L’éventail des 320 personnes tuées par un agent des forces de l’ordre ou suite à leur intervention est large : de 7 ans – Ibrahim Diakité, tué accidentellement à Paris le 26 juin 2004 par un policier stagiaire qui manipule son arme de service – à 77 ans – Joseph Petithuguenin, un ouvrier à la retraite qui meurt dans le département du Doubs le 22 juin 2010 pendant sa garde-à-vue. Mais un profil-type se dessine. C’est un homme noir ou d’origine arabe, habitant un quartier populaire de l’agglomération francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à 30 ans [La moyenne d’âge des 119 personnes tuées depuis 2000 est de 28 ans.]. Idem pour les circonstances qui leur ont été fatales : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite…

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Dans une majorité des cas, policiers et gendarmes concernés ont fait usage de leur arme à feu. La majorité des tirs touche des régions du corps peu propices à une neutralisation tentant d’éviter la mort. Sur un échantillon de 200 personnes tuées par balles, une cinquantaine sont atteintes à la tête, 25 dans la poitrine, 25 dans le dos, une dizaine dans l’abdomen, une dizaine dans la nuque, une dizaine dans le cœur, 6 dans le cou. Une soixantaine de morts par balles n’est pas renseignée. Pourtant, dans ces cas précis, les situations où les agents se font tirer dessus, et sont donc contraints de riposter, demeurent exceptionnelles.

Des « morts naturelles » au commissariat

Autre cause révélée par les autopsies ou avancée préalablement par les autorités : le malaise cardiaque. Plus de vingt personnes ont ainsi péri lors de leur interpellation ou de leur garde-à-vue. La plupart de ces « malaises » sont consécutifs à une arrestation musclée ou à une immobilisation par la technique du « pliage » et par « asphyxie posturale », pratiquée notamment lors de tentatives d’expulsion de sans papiers. C’est le cas aussi pourWissam-el-Yamni, qui meurt le 9 janvier 2012, à Clermont-Ferrand, quelques jours après son interpellation. Quand ces malaises se produisent au commissariat, les manquements aux soins, l’erreur de diagnostic médical, la non-assistance à personne en danger sont souvent pointés du doigt par les proches des victimes, voire par les enquêtes et expertises qui suivent le décès. « Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne », stipule le Code de déontologie de la police.

Ces décès au commissariat sont souvent entourés de circonstances troubles : traces d’ecchymoses ou de blessures, versions contradictoires des agents en poste, rétention d’information… Illustration ? Cet homme interpellé mi-juillet 2007 en état d’ébriété sur la voie publique à Rouen et placé en cellule. Sa mort, considérée comme naturelle suite à une crise cardiaque, est tenue secrète pendant deux semaines. Autre affaire emblématique du voile opaque qui peut recouvrir ces « malaises » mortels : le cas Abou Bakari Tandia, retrouvé dans le coma dans une cellule du commissariat de Courbevoie (Hauts-de-Seine) le 5 décembre 2004, et qui décède un mois et demi plus tard à l’hôpital. Sa famille porte plainte pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort ». Il faudra huit ans de procédures pour aboutir à un « non-lieu », qui n’est ni une relaxe, ni une condamnation. Entre versions contradictoires et expertises médicales, les causes réelles du décès de cet homme de 38 ans restent toujours inconnues. La Cour européenne des Droits de l’Homme a été saisie.

Des accidents prémédités ?

Justifications embrouillées également autour de plusieurs « accidents » routiers. Des accidents étrangement similaires depuis trois décennies au cours desquels une vingtaine de jeunes ont trouvé la mort. Scénario classique : un ou plusieurs adolescents circulant en moto ou en voiture sont pris en chasse par une patrouille de police. Les visages de Thomas Claudio à Vaulx-en-Velin (Rhône), Yakou Sanogo à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), Tina Sebaa et Raouf Taïtaï à Saint-Fons (Rhône), Lakhamy Samoura et Moushin Sehhouli à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), Mohamed Ben Mâamar à Nanterre (Hauts-de-Seine), incarnent ces interventions problématiques. Perte de contrôle du véhicule par les suspects en fuite ou accidents provoqués par les poursuivants, les versions des forces de l’ordre diffèrent régulièrement de celles des témoins. La technique du « parechocage » est aussi critiquée. Elle « consiste à tenter d’immobiliser les véhicules, le plus souvent des deux roues, au moyen de la voiture de police, soit en les serrant contre le bord de la route, soit en les percutant », écrit le collectif Angles Morts.

Pourtant, en France les consignes sont d’éviter les courses-poursuites étant donné leurs conséquences disproportionnées par rapport à l’infraction constatée. Le 21 février 2013, ce sont deux policiers de la BAC, dont la voiture est percutée volontairement par un 4×4 en fuite sur le périphérique, qui trouvent la mort dans ce type d’intervention. « Le ministre de l’Intérieur va-t-il se décider à interdire officiellement cette pratique ? », interroge le bulletin de mars 2013 de Que fait la police ?.

La BAC particulièrement impliquée

Quelles sont les unités les plus impliquées ? La gendarmerie est concernée dans 45 décès, dont plus des trois-quarts sont causés par l’usage de leur arme. Des éléments qui peuvent expliquer cette tendance : les militaires sont en première ligne dans la mise en œuvre de barrages routiers sur tout le territoire et bénéficient aussi d’une « présomption de légitime défense », ce que réclament également plusieurs syndicats de police. Mais au regard des effectifs, l’unité de la Police nationale dont les interventions causent le plus de morts sont les Brigades anti-criminalité (BAC). 33 affaires impliquent ainsi des policiers de la BAC, alors qu’ils ne sont que quelques centaines (comparé aux 98’000 gendarmes). Les CRS – au nombre de 14’000 – apparaissent dans une quinzaine de décès, dont trois grévistes – deux ouvriers et un lycéen – tués lors de l’évacuation de l’usine Peugeot de Sochaux, en juin 1968. Pour les fonctionnaires de police ou les gendarmes mis en examen après un homicide, un profil type se dessine également : il est de sexe masculin, plutôt jeune et donc en début de carrière.

Quelles suites judiciaires ?

Toute la lumière est-elle faite pour connaître les circonstances de la mort ? Et savoir si ouvrir le feu sur un suspect ou l’immobiliser de manière musclée était justifié ou pas ? Dans environ 130 affaires impliquant les forces de l’ordre (soit 40% des tués), nous n’avons pas connaissance d’éventuelles suites judiciaires, bien que des enquêtes internes à la police ont pu être dilligentées ou que des plaintes contre X ont pu être déposées. Mais sans que l’on sache si la Justice a été saisie et, dans le cas contraire, pourquoi elle ne l’a pas été (vous pouvez bien sûr nous aider à compléter cette base de données). À cette absence de suites judiciaires connues, s’ajoutent une quarantaine de non-lieux, qui constitue une réponse très insatisfaisante pour les familles des victimes. Dans plus de 60% des cas où l’usage de la force est mortelle, le comportement des policiers impliqués demeure donc potentiellement contestable. 10% des procédures se sont traduites par un acquittement ou une relaxe. Dans le tiers restant, les agents des forces de l’ordre impliqués ont été reconnus coupables, en fonction des circonstances, de non-assistance à personne en danger, d’homicides involontaires ou d’homicides volontaires : la majorité d’entre eux est condamnée à des peines de prison avec sursis. Seize fonctionnaires de police et gendarmes ont été condamnés à de la prison ferme, soit dans 5% des affaires que nous avons recensées (lire également notre précédente enquête).

« Damnés intérieurs »

Une relative opacité continue donc de planer. Comme si découvrir la vérité n’était finalement pas indispensable. Cette lenteur des autorités à éclaircir ces affaires tient-elle au profil type des personnes décédées ? Sur un échantillon de 61 morts entre 1977 et 2011, 39 étaient Algériens. L’historien Maurice Rasjfus y voit une réminiscence de la guerre d’Algérie. Plus largement, notre base de données confirme – et ce n’est pas une surprise – que ce sont les catégories populaires, en particulier d’origine immigrée, qui sont les plus touchées par les violences policières. Ce sont elles qui vivent à la périphérie des grands centres urbains, là où les problèmes de logements et de chômage sont les plus criants. Là aussi où se déploie la politique sécuritaire, doublée d’une politique du chiffre.

Contrôles récurrents, délits de faciès, recherche à outrance de flagrant délits génèrent chez les populations ciblées la crainte de se faire interpeller, elles-mêmes productrices de « comportement suspects » aux yeux des agents. Un climat illustré par la mort, à Clichy-sous-Bois, de Bouna Traoré et Zyed Benna (15 et 17 ans). Alors qu’ils rentrent d’un match de foot, les deux ados fuient une tentative d’interpellation pour ne pas être en retard et par crainte des réprimandes parentales. Le drame déclenchera trois semaines de révoltes dans toute la France. Que la politique sécuritaire prenne pour cible les plus défavorisés « vise à la fois à occulter les inégalités et à sanctionner une seconde fois ceux qui en sont les victimes », explique l’anthropologue Didier Fassin qui a enquêté un an auprès d’une BAC. Pour Omar Slaouti, du Comité de soutien à Ali Ziri, un retraité de 69 ans décédé au commissariat d’Argenteuil, la « bavure » ne se résume pas « à certains policiers qui feraient mal leur boulot », mais relèverait plutôt d’une volonté de l’État. Thèse que défend Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales, dans son dernier livre La Domination policière. Une violence industrielle [La Fabrique, 2012]. « La violence policière n’a rien d’accidentel. La violence politique, étant le produit d’une mécanique régulée et de protocoles techniques, l’État prémédite institutionnellement le meurtre des damnés intérieurs », écrit-il. Ce qui expliquerait que, pour l’instant, trop peu d’actions ne soient menées pour l’endiguer.

Méthodologie

Quelles informations figurent dans la frise ?
– Date, département, ville et lieu de la mort
– Nom, prénom et âge de la personne décédée, sauf lorsqu’ils nous sont inconnus, dans ce cas seule la mention « homme » ou « femme » apparaît.
– Cause de la mort : elle est soit directement liée à l’action des forces de l’ordre (tir entraînant la mort par exemple), soit une conséquence indirecte (malaise cardiaque au cours d’une interpellation par exemple, course-poursuite entraînant un accident mortel, non assistance à personne en danger…).
– Circonstances de la mort : contexte, descriptif de l’événement et des différentes versions le cas échéant, les éventuelles suites judiciaires en fonction des informations que nous avons pu recueillir, essentiellement dans la presse. Ces éléments peuvent donc être incomplets. Merci de nous signaler toute erreur.
– Type de police concernée : le type d’unité impliquée (Bac, gendarmerie, CRS, police municipale…).
– Suite judiciaire : quand une enquête est en cours ou quand la Justice s’est prononcée. Le suivi judiciaire d’une procédure n’étant pas forcément assurée par les médias, tout complément d’informations est le bienvenu.
– Procédure : le type de procédure ouverte (enquête interne, information judiciaire, mise en examen).
– Durée de la procédure : délai entre le décès et le résultat (éventuel) d’une procédure ou le jugement d’un tribunal.
– Sources de l’information.

N’hésitez pas à nous signaler d’éventuelles erreurs, omissions ou incohérences en postant un commentaire et en précisant la source de vos informations, en particulier pour les cas les plus anciens où les informations disponibles en ligne se raréfient.

Rappel : Ces données prennent en compte l’intégralité des actions des force de l’ordre ayant entraîné la mort et des homicides commis par des policiers ou des gendarmes, que ces actes soient volontaires ou non (accidents), relèvent ou pas de la légitime défense, qu’ils soient perpétrés dans des circonstances troubles (bavures) ou lorsque l’agent n’est pas en service. Idem pour le profil des victimes, quels que soient la nature et la gravité du délit dont elles sont suspectées. Du présumé innocent au truand ou meurtrier avéré, en passant par le petit délinquant pris en flagrant délit, le respect du droit s’applique à chacun.

Ivan du Roy & Ludo Simbille, Basta !, 13 mars 2014

Charles Martel, imposture historique et mythe fasciste

732, Poitiers, Charles-Martel : une date, un lieu et le nom d’un chef de guerre au cœur du récit nationaliste de l’histoire en France. Utilisée pour la propagande colonialiste et mobilisée régulièrement dans l’imaginaire pour signifier la défense du territoire, cette bataille est devenue une référence incontournable du nationalisme et du fascisme français. Pour certains groupes des droites radicales, cet évènement historique est encore aujourd’hui le symbole d’une lutte contre « l’invasion » arabe et l’immigration musulmane. Le Cercle Charles-Martel, auteur de nombreux attentats et meurtres entre 1973 et 1983 se réclamait de cette histoire. Plus récemment, en octobre 2012, Génération Identitaire a occupé une mosquée en construction à Poitiers en mobilisant la même symbolique. Il y a quelques jours, le 24 février 2014, le site historique de Moussais-la-Bataille a de nouveau été la cible de dégradations, avec des inscriptions xénophobes et des croix celtiques taguées :

 Poitiers

On notera d’ailleurs à quel point ces militants de la culture nationale et nationaliste connaissent et respectent la langue française….

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L’imposture zapatiste au Chiapas

L’imposture zapatiste au Chiapas
Alors que toutes les organisations du mouvement social de France célèbrent la révolte au Chiapas commencée en 1994, il semble indispensable d’analyser cette contestation folklorique et inoffensive.

 

La révolte au Chiapas de 1994 s’apparente toujours à un phénomène de mode. Avec la commémoration des 20 ans de ce mouvement, il devient une banale marchandise militante et touristique qui complète une panoplie folklorique du ridicule gauchiste. Les pitreries du sous-commandant Marcos ont même ouvert le cycle altermondialiste et de sa confusion politique. Pourtant, dès 1996, une brochure critique la mode altermondialiste du Chiapas. Ses auteurs semblent proches d’un marxisme critique qui attaque toutes les formes de bureaucratie et de marchandise.

 

« La tâche de ceux qui optent pour l’émancipation sociale se doit toujours, autant que possible, d’œuvrer à mettre en valeur ce qu’il y a d’autonome dans une lutte, tout en critiquant les organisations qui s’approprient la représentativité de ceux qui se battent », souligne l’introduction de la brochure. Les exploités ne doivent pas s’enfermer dans une catégorie spécifique, sociale ou identitaire. Cette introduction critique le « réalisme » qui impose de se placer derrière les projets étatiques des organisations hiérarchisées.

Malgré l’effondrement de l’horreur bureaucratique en URSS, les gauchistes restent toujours en quête de modèles exotiques comme celui du Venezuela. Ses militants préfèrent le folklore et l’idéologie, et ne s’intéressent pas à la vie quotidienne des populations et du prolétariat.

Avec le Chiapas, des libertaires se sont même enthousiasmés pour un mouvement autoritaire, patriotique et identitaire. Ils restent fascinés par les révoltes, surtout lorsqu’elles médiatisent un chef charismatique. Dans les milieux libertaires et radicaux, le confusionnisme s’impose. « Une fois disparue la dimension anticommuniste, le courant libertaire resta livré à la faiblesse de son analyse du capitalisme moderne, devenu système global », observe la brochure. Les anarchistes se contentent d’un simple activisme qui ne permet pas de renouveler la pensée critique. Il faudrait rajouter que leur antimarxisme primaire les conduit à dénigrer une grille d‘analyse en terme de classe sociale, la seule qui permet de sortir de la confusion citoyenniste. « Ils sont ainsi entraînés vers l’humanisme social-démocrate », constate la brochure. Les libertaires, devenus des démocrates radicaux, se mettent à réhabiliter l’idée de nation. Les positions de classe et internationalistes sont alors abandonnées.

 

 

Les limites des communautés paysannes

 

Sylvie Deneuve et Charles Reeve démontent le mythe du Chiapas. Les communautés indiennes sont souvent présentées comme idylliques, malgré leur caractère autoritaire et patriarcal. « Comme si la forme communautaire des sociétés précapitalistes empêchait l’existence d’une hiérarchie très structurée, d’un pouvoir centralisé et d’une exploitation barbare du travail », ironisent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Les Mayas vivent dans une société féodale, avec la domination des nobles et des prêtres. Cette pseudo démocratie primitive repose sur la contrainte et ne permet pas la contradiction. La cohésion sociale repose sur la soumission à l’autorité.

Même le mouvement zapatiste ne semble pas socialiste puisqu’il ne tente pas transformer le Mexique tout entier. Il ne s’inscrit pas dans la perspective d’une rupture avec le capitalisme. Il se contente de demander la restitution des terres et se repose sur une aspiration au passé communautaire indien. Les communautés traditionnelles permettent même le développement du capitalisme avec la disparition des grandes propriétés du modèle féodal. « Les communautés dont on mythifie aujourd’hui les traditions démocratiques et émancipatrices furent, des décennies durant, la structure sociale aliénant les exploités aux grands propriétaires », rappellent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Le développement de la condition de prolétaire permet au contraire de faire éclater les communautés pour déclencher des révoltes véritablement émancipatrices.

 

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[Vient de paraître] Brochure sur l’autodéfense informatique

http://juralib.noblogs.org/files/2014/03/011.jpgTÉLÉCHARGER LA BROCHURE

L’Informatique : Se défendre et attaquer

Cette brochure a été faite par désir de rassembler les connaissances théoriques et les outils pratiques actuellement les plus efficaces à nos yeux, pour utiliser l’informatique pour des activités sensibles, sans se faire avoir. Concrètement, ça implique d’être en mesure d’agir de manière anonyme, confidentielle et en laissant le moins de traces possible derrière nous. Sans ces précautions, inutile d’espérer déjouer longtemps la surveillance et la répression employées par les États et leurs classes dirigeantes pour continuer à exercer tranquillement leur domination.

Se réapproprier les outils informatiques, c’est comprendre pour mieux se défendre et… attaquer, mais c’est aussi se donner les moyens de pouvoir choisir en connaissance de cause, quand ne pas utiliser l’informatique.

Le texte est disponible en ligne sur le site infokiosques.net.

Félix Guattari, penseur de l’écosophie

Félix Guattari, penseur de l’écosophie
Le philosophe Félix Guattari propose une réflexion sur l’écosophie pour repenser les pratiques politiques dans la France de la fin des années 1980. 

 

Félix Guattari peut permettre de penser la société moderne. Ce philosophe participe d’abord au mouvement trotskyste et aux luttes contre la psychiatrie. Ensuite, il défend lemouvement autonome italien et l’effervescence révolutionnaire des années 1968. Au début des années 1980, il critique les « années d’hiver », avec la gauche au pouvoir. Félix Guattari écrit de nombreux textes pour penser la situation de 1985 à son décès en 1992. Un récueil de textes est publié récemment.

Durant cette période, il se rapproche du mouvement écologiste qui semble réinventer la politique et renouveler la pensée critique. Pourtant, Les Verts reproduisent les pratiques bureaucratiques de tous les autres partis.

 

L’écosophie se distingue de l’écologie qui peut être revendiquée par beaucoup, des conservateurs aux libertaires. Le mouvement écologiste prétend inventer de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles formes d’organisation. Mais Félix Guattari ne voit pas encore la dérives de l’écologie politique vers les manœuvres des appareils politiciens. Pourtant, le terme d’écosophie permet de se distinguer du parti écologiste et de ses limites.

 

 

couverture de QU'EST-CE QUE L'ÉCOSOPHIE ?

 

Révolte des subjectivités

 

Félix Guattari décrit la modernité marchande, avec l’uniformisation culturelle et l’abrutissement de masse. « La subjectivité se trouve ainsi menacée de pétrification, elle perd le goût de la différence, de l’imprévu, de l’évènement singulier », observe Félix Guattari. Le capitalisme impose une logique quantitative avec la croissance et la recherche du profit. Au contraire, la dimension qualitative doit s’imposer pour réhabiliter la singularité et les désirs humains. L’écosophie comprend une dimension environnementale, mais aussi économique, urbaine, sociale et mentale. « La naissance et la mort, le désir, l’amour, le rapport au temps, au corps, aux formes vivantes et inanimées appellent un regard neuf, épuré, disponible », constate Félix Guattari.

Le mode de vie urbain impose la discipline du travail et façonne les subjectivités à travers l’éducation, la santé, le contrôle social et culturel. « C’est la sensibilité, l’intelligence, le style interrellationnel et jusqu’aux fantasmes inconscients qui se trouvent modélisés par ces mégamachines », observe Félix Guattari. Il décrit la destruction des relations humaines et invite à expérimenter de nouvelles manières d’habiter la ville.

 

L’écosophie permet d’attaquer l’emprise du capital sur tous les aspects de la vie. De nouvelles pratiques doivent s‘inventer. « Au-delà des revendications matérielles et politiques émerge l’aspiration à une réappropriation individuelle et collective de la subjectivité humaine », estime Félix Guattari. Au contraire, les vieilles idéologies imposent une séparation entre le politique, l’éthique et l’esthétique.

Le mode de production capitaliste ne se réduit pas à des infrastructures matérielles, mais lamine également les subjectivités. Face à ce constat, les pratiques artistiques et la créativité dans tous les domaines peuvent permettre de diffuser des sensations nouvelles pour reconstruire une subjectivité.

Pourtant, la culture semble désormais encadrée par l’État. Les maisons de la culture colonisent le territoire pour étouffer toute forme de créativité. « Je ne ferai pas l’apologie du spontanéisme, mais le désir de culture ne peut coïncider avec une demande programmée », estime Félix Guattari.

 

La psychanalyse évoque la répression des désirs pour conformer l’individu à l’ordre social. « Un inconscient machinique trop diversifié, trop créatif, serait contraire à la bonne tenue des rapports de production fondés sur l’exploitation et la ségrégation sociale », souligne Félix Guattari. Mais le désir n’est pas uniquement réprimé, il est également contrôlé et orienté par la société capitaliste.

Le capitalisme mondial intégré (CMI) ne se limite plus à la sphère productive pour également façonner les subjectivités, à travers les médias, la publicité, les sondages ou l‘urbanisme. Des professions et une uniformisation encadrent la subjectivité capitaliste. « C’est ainsi qu’elle ira jusqu’à tenter de gérer ce qui est de l’ordre de la découverte et de l’invention du monde par l’enfance, par l’art ou l’amour, aussi bien que ce qui a rapport à l’angoisse, la douleur, la mort, le sentiment d’être perdu dans le cosmos », précise Félix Guattari.

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Silence médiatique sur les dizaines de manifestants et de journalistes blessés à Nantes

PAR SOPHIE CHAPELLE 3 MARS 2014

Oubliées les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté à Nantes contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. De la mobilisation du 22 février, les médias n’ont conservé que les images de violences. Selon la Préfecture, 130 agents des forces de l’ordre ont été blessés ou « contusionnés ». Mais quel bilan du côté des manifestants venus défiler pacifiquement ? Les témoignages s’accumulent, de Quentin, un jeune homme éborgné par un tir de flashball, à des journalistes pris pour cibles, en passant par un enfant dont le pied a été fracturé par un tir. Mais de cette autre violence, on ne parle quasiment pas.

Photo : Eric Forhan/tous droits réservés

Les médias se sont largement fait l’écho des « scènes de violence » et des« destructions » qui ont émaillé la manifestation de Nantes, dont le centre-ville aurait été « dévasté », le 22 février contre le projet d’aéroport. Le décompte des « blessés et contusionnés » parmi les forces de l’ordre – 130 fonctionnaires de police – a rapidement été établi par la Préfecture. La Justice a fait preuve d’une inhabituelle réactivité. Cinq jeunes gens à qui il est reproché d’avoir lancé des projectiles –« pavés, pierres, fusées de détresse, bouteilles, boulons, billes d’acier, engins incendiaires et même « essence et huile » » selon un magistrat – contre les forces de l’ordre, ont été jugés en comparution immédiate le 24 février. « Nous n’avons pas les vrais coupables [des dégradations commises à Nantes] », a reconnu la présidente du tribunal. « Mais nous avons des responsables »… Les cinq prévenus ont écopé de peines lourdes allant d’une centaine d’heures de travaux d’intérêt général à six mois de prison ferme. Sept autres personnes seront convoquées dans les mois à venir. Une violence « inouïe », atteste sur son compte twitter la police nationale de Loire-Atlantique. « Qui sont les « Black Blocs » qui ont dévasté Nantes » ?s’interroge encore Europe 1.

Pas de matraquage médiatique en revanche sur les manifestants blessés. « C’est impossible à évaluer à l’échelle de la ville. Mais nous avons constaté une cinquantaine de blessés, dont treize blessures au visage par flashball », relève une membre de l’équipe médicale de la Zad (Zone à défendre) contactée par Basta !.« Nous avons aussi trouvé des éclats de grenades assourdissantes, comme des morceaux de métal, dans les jambes notamment ». Au moins 40 manifestants, dont deux blessés à l’œil, auraient été admis à l’hôpital de Nantes. Une page Facebook a été créée pour recueillir les « témoignages sur les violences policières lors de cette manifestation pacifiste » [1]. « Je me suis fait frapper par les forces de l’ordre en voulant aider une dame âgée qu’ils avaient renversés », déclare notamment Elric, 17 ans et demi, visage en sang devant la caméra de FaceBreizh Bretagne. La scène au cours de laquelle la dame est « renversée » (et piétinée ?) a été filmée et postée sur cette page.

Tir de flashball : un manifestant perd son œil gauche

« Nous avons une police très républicaine, extrêmement formée à utiliser des moyens spécialisés avec beaucoup de retenue »insiste Christian Galliard de Lavernée, le préfet de Loire-Atlantique. Des propos contredits par la publication sur le site Dormira jamais du témoignage de Quentin Torselli, un charpentier de 29 ans gravement blessé. « Je n’étais pas armé, je n’avais pas de masque à gaz, je n’avais pas de lunettes de protection », relate t-il. « On rentrait, les CRS avançaient, avec les camions et tout le truc, et moi je reculais avec d’autres gens. Je reculais en les regardant pour pas être pris à revers et pouvoir voir les projectiles qui arrivaient. Et là, à un moment, j’ai senti un choc, une grosse explosion et là je me suis retrouvé à terre ». Hospitalisé au CHU de Nantes, Quentin a perdu son œil gauche.

« Un médecin m’a dit que les lésions correspondent à un tir de Flashball et on n’a pas retrouvé d’éclats de grenade », assure le jeune homme. Or, la doctrine d’emploi de ces armes dites « non létales » interdit aux policiers de tirer dans la tête des manifestants. Elles sont soumises à une distance réglementaire. « La liste des blessés et des éborgnés ne cesse de s’allonger »dénonce le Collectif Face aux armes de la police. Quentin envisage des suites juridiques, au pénal ou devant le tribunal administratif, « ne serait-ce que pour que ça n’arrive plus à d’autres » [2].

Deux journalistes blessés portent plainte

Témoin de la scène, Yves Monteil, photographe indépendant et co-fondateur deCitizen Nantes relate que « le manifestant blessé (Quentin, ndlr) a été évacué dans une rue adjacente, au moment où le cordon de CRS avançait dans l’allée principale. Alors qu’une vingtaine de personnes levaient les bras en disant “Arrêtez, il y a un blessé”, les CRS ont continué à progresser dans cette rue adjacente en envoyant des lacrymos et des grenades ». Un témoignage qui concorde avec celui d’un autre manifestant ayant aussi porté secours à Quentin. Le photographe Yves Monteil a lui aussi été touché par un tir de flashball au thorax alors qu’il filmait (son récit ici). Il a déposé une plainte contre X pour « violence volontaire avec arme et complicité de violence volontaire avec la triple circonstance aggravante qu’elle a été commise par un fonctionnaire en charge de l’autorité publique dans l’intention de provoquer une mutilation permanente, en groupe organisé ».

Une autre plainte adressée au Procureur de la République de Rennes émane d’un journaliste de Rennes TV, Gaspard Glanz, blessé aux jambes par l’explosion d’une grenade lancée par la police. Avec sa caméra, il a tourné la séquence de l’explosion.« On se rend compte que l’engin qui explose au pied du journaliste n’est pas une grenade assourdissante, mais une grenade de « désencerclement » » précise Rennes TV. Cette grenade explosive contient 12 à 18 fragments de plastique dur, en plus de sa douille en métal, projetés dans un rayon de 15m autour de l’explosion. « Le problème c’est que cette « arme de guerre » n’est pas censée être utilisée « offensivement », mais uniquement dans des situations « d’encerclement » qui nécessitent un acte « défensif » de la part de la police » souligne la rédaction de la télé locale. Or, comme l’atteste la vidéo« les CRS étaient ici en ligne à plus de 20m, protégés par un canon à eau ». En clair, de telles grenades n’auraient jamais dû être employées pendant toute la durée de la manifestation.

la suite sur http://www.bastamag.net/Silence-mediatique-sur-les

L’opinion publique, je l’emmerde !

Il y a (au moins) deux sortes d’anarchistes. Ceux qui se préoccupent de l’opinion publique et les autres. Les premiers aspirent à une certaine respectabilité politique, à avoir un écho dans la sphère publique en utilisant des moyens légaux et à y améliorer l’image de l’anarchisme et de l’anarchie. Les seconds s’en contre-fichent car ils savent pertinemment que les discours qui passent par les outils légaux et institutionnels – tels que les médias de masse ou les farces électorales – sont digérés et aseptisés pour les rendre “publiquement” comestibles et inoffensifs.

Il m’a toujours semblé absurde de tenter d’élaborer une stratégie de propagande avec les armes de l’ennemi tels que les médias de masse[1] ou la participation à des élections représentatives[2].

Premièrement parce que ces méthodes font entrer une contradiction fondamentale entre fins et moyens. Nous aspirons à une société débarrassée de toute forme d’autorité, de toute forme de pouvoir. « Le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste », disait Louise Michel. Mais nous n’en sommes plus là. Certes l’histoire nous a montré à maintes et maintes reprises que l’exercice du pouvoir entrainait la perpétuation de ce même pouvoir et qu’il a toujours spolié les espoirs révolutionnaires. Mais aujourd’hui nous pouvons analyser plus exactement la nature du pouvoir et plus précisément sa nature biologique,[3] son impact sur le cerveau humain. L’aliénation du pouvoir a désormais une réalité biologique qui obéit aux lois de la physique et de la chimie.

« L’un des plus grands dangers menaçant le monde vient de ce jaillissement de testostérone dans le sang d’un dirigeant à haut besoin de pouvoir lorsqu’il gagne. Ce jaillissement hormonal est enivrant. Comme l’alpiniste qui cherche la satisfaction du pic suivant, plus dangereux, le politicien dépendant du pouvoir trouve difficile de se satisfaire du train-train de la politique quotidienne : il se languit du flash chimique que la victoire déclenche en lui. Hélas, comme tous les flashes de ce type, il faut que le stimulus suivant soit plus puissant, pour obtenir un effet égal ».
Voici donc une des bases biologiques de l’idéologie anti-autoritaire et qui mériterait d’être un peu plus mise en avant.

De là, comment pourrions nous espérer aller vers notre émancipation en usant d’outils qui peuvent nous soumettre à cette ivresse du pouvoir? Car pour être entendu dans les médias dominants il faut adopter leurs codes.[4] Il faut dégager des individualités qui deviendront des interlocuteurs valides, des porte-paroles qui permettront à ces mêmes médias de personnifier une lutte ou un groupe politique, à l’image du représentant syndical ou du chef de parti. De là, comment éviter que se créent des hiérarchies internes, même informelles? Comment diffuser l’idée de l’action de tous si on est réduit à communiquer par l’intermédiaire d’un représentant?  Si nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que cette aliénation est systématique et obligatoire, nous ne pouvons pas non plus courir ce risque. Nous avons déjà trop souffert de ce genre de dérives pour nous permettre de les reproduire.

Deuxièmement parce que ces méthodes nuisent à une stratégie basée sur le développement des pratiques révolutionnaires et d’action directe.[5]
Si nous entendons modifier l’environnement socioculturel qui fait véritablement les individus, nous devons développer des pratiques qui serviront à créer des consciences révolutionnaires en agissant sur l’inconscient des individus, en modifiant cet environnement socioculturel et en y incorporant des pratiques et idées anti-autoritaires. Si nous utilisons les médias bourgeois pour nous exprimer, nous faisons de fait la promotion de ces mêmes médias. Si nous participons à des élections représentatives nous participonsde fait à éloigner les individus de l’action directe. Tous nos actes ont un impact.

A nous de choisir dans quelle direction nous voulons orienter notre propagande. Soit en conservant la radicalité du discours et des pratiques anarchistes pour orienter l’environnement des individus dans une certaine direction, soit en jouant le jeu des dominants en utilisant leurs outils et en aseptisant nos discours, en les modérant, pour être audible par la partie consciente de « la masse » sans prendre en compte le fait que nous seront tout aussi entendus par son inconscient à travers nos actions quotidiennes.
Quelle forme voulons nous que les luttes de demain prennent? Celle d’un référendum, d’une pétition, d’une manifestation pacifique et contrôlée par des autorités syndicales et politiques ou celle de l’action directe, de la mise en place d’un rapport de force avec l’autorité et du rejet des représentants autoproclamés?

« Menteurs ». Tout est dit.

« Menteurs ». Tout est dit.

Alors non, je ne pense pas que le fait d’attaquer les médias de masse – qui collaborent avec les flics et qui ont toujours diffusé des inepties au sujet des révoltés – nous soit préjudiciable. A l’image des dernières émeutes à Nantes,[6] il est plus intéressant de voir “nos” médias diffuser une information qui ne soit pas manipulée par les dominants que de voir les journalistes de BFM ou France 2 modeler les faits pour orienter l’opinion contre les révoltés. Seule la présence de ces derniers peut nous être néfaste.

Alors camarades, voyons un peu plus loin que le bout de notre nez et ne nous contentons pas d’élaborer une stratégie uniquement basée sur le court terme et sur la partie consciente de nos encéphales. Utilisons le savoir que la vulgarisation scientifique met à notre portée pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et pour espérer avoir une action efficace sur ce dernier.

André Volt

[1] Déjà évoqué dans cet article: http://aaa12.noblogs.org/post/2013/10/27/de-la-violence-revolutionnaire-a-court-et-long-terme/

[2] http://aaa12.noblogs.org/post/2014/02/04/de-la-strategie-de-certains-syndicalistes-de-la-cnt/

[3] http://www.monde-libertaire.fr/sciences/15976-ce-que-le-pouvoir-fait-au-cerveau

[4] Problème évoqué en partie ici: http://aaa12.noblogs.org/post/2014/02/27/dun-certain-anarchisme-et-de-la-gauche-quebecoise/

[5] http://aaa12.noblogs.org/post/2013/09/26/comment-voir-la-propagande-par-le-fait-aujourdhui/

[6] http://aaa12.noblogs.org/post/2014/02/23/manifestation-anti-aeroport-du-22-fevrier-a-nantes/

LU SUR http://aaa12.noblogs.org/

L’union des prolétaires de tous les pays, c’est pour bientôt

A mesure que la technologie et le commerce nivellent les terrains de jeu et rapprochent les êtres humains, les 3,5 milliards de travailleurs prévus vont peut-être finir par comprendre à quel point ils ont plus de choses en commun les uns avec les autres qu’avec les élites ultra-riches de leurs pays respectifs.

Dans une petite ville de la province du Henan, en Chine, en 2012. REUTERS/Jason Lee– Dans une petite ville de la province du Henan, en Chine, en 2012. REUTERS/Jason Lee –

«Travailleurs de tous les pays, unissez-vous.» Telle est l’inscription qui orne la tombe de Karl Marx au cimetière londonien de Highgate. Comme tout le monde le sait, ce n’est pas ce qui s’est passé. Le mouvement des Indignés a beau avoir fait beaucoup de bruit durant quelques mois, le silence qui règne autour est aujourd’hui assourdissant. Et il est rare d’entendre parler d’ouvriers de Detroit faisant cause commune avec leurs homologues chinois de Dalian contre le grand patronat.

A vrai dire, les sociétés multinationales ayant réduit à peau de chagrin le pouvoir de négociation de leurs employés, les ouvriers des pays riches comptent désormais parmi les moins enclins à aider leurs camarades des pays pauvres. Toutefois, il existe une école de pensée (et non, il ne s’agit pas uniquement de quelques vieux universitaires trotskystes) qui prévoit le retour d’une certaine forme de politique de classes à l’échelle mondiale.

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