ACAB DISSERTATION

Tout comme l’information, les humeurs populaires changent très rapidement. Alors que la mort de Rémi Fraisse en octobre 2014 avait suscité un sentiment diffus de défiance vis-à-vis de la police, les attentats de janvier ont vu des milliers de citoyens applaudir les snipers et CRS qui protégeaient leur manifestation « Je suis Charlie ».

Si la population française n’est certainement pas un tout homogène, il pourrait paraître opportun d’examiner le rôle que les forces de police occupent dans notre imaginaire politique ainsi que dans notre organisation sociale.

C’est afin de nourrir ce débat que nous avons décidé de publier cette dissertation qu’un lecteur de LundiMatin a eu la gentillesse de nous envoyer. Professeur de philosophie dans un lycée général et technique, il avait décidé suite aux manifestations liées à la mort de Rémi Fraisse, d’interroger ses élèves sur le sens du graffiti ACAB (« All Cops Are Bastards », tous les flics sont des batards). Il nous a fait parvenir la copie qui avait à ses yeux suivi au plus près la méthodologie requise : thèse, antithèse, synthèse.

Extraits :

« Peut-on cependant considérer que tous les policiers sont, non pas des enfants illégitimes, mais des individus mauvais et donc méprisables ? Du « CRS =SS » de 1968 à « un bon flic est un flic mort », la détestation de la police semble constante. Mais s’il faut reconnaitre un certain sens de la formule à ce qu’on appelle parfois la rue, il semble peu pertinent d’en rester au niveau de cette rage adolescente et c’est alors le caractère universel d’un tel jugement qu’il faut interroger. Car enfin, que certains policiers soient peu aimables, c’est entendu (comme certains facteurs ou certaines caissières) mais faut-il pour autant le penser de tous les policiers ? Y a-t-il sens à détester la police en son entier ? Et encore, que certains honnissent la police, c’est un fait, mais tous la détestent-il ? Répondre oui dans les deux cas serait méconnaitre la fonction réelle de la police qui est de rendre possible la vie collective en préservant la société des excès de certains d’entre nous, au moyen du droit et de la force si nécessaire. »

 

A LIRE SUR LUNDI MATIN

INTERVIEW CHRONIQUE DE YOUV’

Youv dans sa cellule. Photos prises au téléphone portable et publiées avec son aimable autorisation.

Oumar Cissoko, dit Youv, a passé la moitié de sa vie à braquer. Originaire de la cité duVal Fourré à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, son premier braquage remonte au milieu des années 1990, alors qu’il avait 14 ans. Banques, magasins, fourgons de la Brink’s, il lui arrivait même parfois de dévaliser plusieurs établissements dans la même journée. L’autre moitié de son existence, il l’a donc logiquement passé en réclusion.

Lorsqu’on passe douze années à tourner en rond dans une cellule de neuf mètres carrés, écrire est l’une des rares manières de ne pas devenir dépressif, aliéné ou suicidaire. Incarcéré depuis 2002, Youv s’est rendu célèbre en publiant des tribunes sur Facebook – celui-ci a depuis été supprimé –, dans lesquelles il raconte son histoire, de son enfance en banlieue jusqu’aux plus hauts échelons du grand banditisme français. Repéré par un éditeur, il a publié en 2013 un ouvrage en sept volumes intitulé «Chroniques de Youv derrière les barreaux ».

Tandis qu’il est toujours incarcéré en région parisienne, j’ai échangé avec lui par téléphone et on a discuté ensemble de sa nouvelle vie d’écrivain, de braquages, de prison et de tout ce qu’on fait lorsqu’on est coincé à l’intérieur.

VICE : Salut Youv. T’attendais-tu à ce que tes chroniques deviennent si populaires ?
Youv :
Pas du tout. Mes premières chroniques, je les ai écrites au mitard. J’avais pris deux fois 45 jours, soit trois mois au total. Pour passer le temps, j’étais obligé de trouver une échappatoire. Et moi, je suis un cancre ! J’ai pas fait d’études, je suis jamais allé loin à l’école – j’ai quasiment appris à lire au mitard. À force de tourner en rond là-dedans, je me suis mis à écrire, mais c’était vraiment sans prétention. Personne d’autre n’était censé lire ça.

De quelle manière as-tu fait lire ce que tu écrivais à d’autres personnes ?
Un jour, une amie m’appelle, et je lui demande de m’expliquer comment fonctionne Facebook, parce que je venais de m’inscrire et que je me disais que c’était un bon moyen de passer le temps. Au cours de la discussion, elle me parle d’une chronique sur Facebook. Ça s’appelait, « Sabrina, love d’un Renoi » – et des milliers de meufs étaient dessus ! Je demande à un mon amie si la même chose existe, mais pour les mecs – ça n’existait pas. Je voulais que les mecs comme moi puissent se reconnaître dedans. Du coup elle crée une page, je lui envoie mes textes par SMS… une vraie galère ! Elle voulait corriger mes fautes d’orthographe, je lui ai dit : « non, publie-les tel quel. » Et là, en moins d’un quart d’heure, il y avait déjà 500 « j’aime » ! Ces gens je les connaissais pas, c’était irréel pour moi.

LA SUITE SUR VICE

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Cortège « Mon corps, mes choix, nos luttes »

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Le Collectif 8 mars pour touTEs participera à la manifestation du 17 janvier prochain qui veut marquer les 40 ans de la loi sur l’IVG.

Le collectif 8 mars pour toutes invite toutes les femmes à venir et à grossir les rangs de cette manifestation qui sera aussi, pour nous, l’occasion de rappeler l’actualité du combat pour le respect du droit inaliénable que nous devrions toutes avoir : celui de disposer de nos corps.

Les combats pour la légalisation générale de la PMA, les papiers pour touTEs, l’égalité des droits, la dépénalisation de l’autodéfense, contre les discriminations racistes légales et illégales en direction des femmes musulmanes qui portent le hijab/jilbeb/niqab, contre la répression, l’invisibilisation ou la stigmatisation de certains de nos travails (le travail sexuel par exemple) ou encore contre la culture du viol, le slut-shaming, l’exotisation des femmes non-blanches et les injonctions diverses à être belle quitte, pour cela, à employer des moyens qui nous tuent… Tous ces combats se conjuguent au présent et, l’IVG est régulièrement menacé : nous sommes debout, fortes et solidaires ! Nous serons là le 17 janvier.

« Le monde tourne parce que nous contribuons à le faire tourner. » C comme Complot et Charlie…

Depuis quelques temps, les journalistes découvrent avec étonnement que ce qu’ils écrivent n’est plus lu sérieusement. C’est ainsi que la presse mainstreams’intéresse aux « théories du complot » qui fleurissent sur le Net depuis quelques années.

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Les médias paraissent surpris que des versions hallucinantes des faits qui se sont déroulés puissent avoir un succès ailleurs qu’à travers leurs canaux. Les grands médias ont pourtant bien souvent, eux aussi, des soucis de retranscription du réel. Certains détails manquent, l’exposé est manichéen, et bien souvent les personnes qui regardent les infos ou lisent le journal ont l’impression qu’on les prend pour des imbéciles.

Le fameux : « on ne nous dit pas tout / on nous cache tout » a des raisons d’exister : du nuage de Tchernobyl à la mort de Rémi Fraisse, il existe une multitude d’exemples où la presse dans sa grande majorité n’est ni neutre, ni exacte.

Comme les grands médias retranscrivent le réel de manière partielle et partiale, beaucoup d’entre nous sont tentés d’aller chercher des infos ailleurs. Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu des personnes qui ont enquêté par elles-mêmes ainsi que des journalistes qui ont fait un réel travail d’investigation avançant des preuves matérielles pour étayer ses affirmations.

Globalement, jusqu’à l’avènement d’internet, il y avait deux possibilités pour remettre en cause un événement dont certains faits avaient été occultés : le temps qui finissait par faire émerger certains aspects de l’affaire (voire la vérité) ou le traitement de l’affaire (méthode d’investigation) qui était remis en cause.

Aujourd’hui c’est plus simple : quand la version officielle ne convient pas, il en existe d’autres, plus satisfaisantes et disponibles rapidement sur le net.

LA SUITE SUR QUARTIERS LIBRES

Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail

Silvia Federici propose ici de réorienter l’agenda féministe dans les pays du Nord. En pointant les limites d’une approche exclusivement fondée sur les droits des femmes ou la prévention des violences sexistes, elle invite à remettre au centre de l’attention les effets de la nouvelle division internationale du travail. Loin de se résumer à une relocalisation des industries au Sud, cette nouvelle division du travail impose aux femmes des pays du Sud de réaliser une partie croissante du travail reproductif nécessaire des pays du Nord. En pointant cette hiérarchie mondiale, Federici souligne combien le mouvement féministe contemporain ne pourra faire l’impasse sur les nouvelles divisions parmi les femmes s’il entend rester un mouvement émancipateur.

Introduction

« Partant du constat que le patriarcat et l’accumulation à l’échelle mondiale constituent le cadre idéologique à l’intérieur duquel la réalité actuelle des femmes est inscrite, le mouvement féministe dans le monde ne peut faire autrement que défier ce cadre, en même temps que la division sexuelle et internationale du travail qui lui est liée. »

– Mies, 1986. Patriarcat et accumulation à l’échelle mondiale

« …le développement capitaliste a toujours été non durable à cause de son impact humain. Pour comprendre ce point, il nous suffit d’adopter le point de vue de ceux qui ont été et continuent d’être tués par lui. Le corollaire du capitalisme à sa naissance était le sacrifice d’une grande partie de l’humanité -extermination de masse, la production de faim et misère, esclavage, violence et terreur. Sa poursuite implique les mêmes corollaires. »

– M. Dalla Costa, 1995, Capitalisme et reproduction

On admet généralement que dans les deux dernières décennies le mouvement de libération des femmes a acquis une dimension internationale, étant donné la formation de groupes et mouvements féministes dans toutes les parties du monde et le développement mondial de réseaux et initiatives féministes, dans le sillage des conférences mondiales sur les femmes organisées sous l’égide des Nations Unies. Il semble ainsi y avoir aujourd’hui une plus large compréhension des problèmes rencontrés par les femmes dans les différents pays qu’à aucune autre époque dans le passé. Cependant, si nous examinons les perspectives qui inspirent les politiques féministes aux États-Unis et en Europe, nous devons conclure que la plupart des féministes n’ont pas encore pris en compte les changements produits par la nouvelle économie globale1 sur les conditions des femmes, ou n’en ont pas encore reconnu les implications pour les organisations féministes. Beaucoup de féministes oublient en particulier de mentionner que la restructuration de l’économie mondiale est responsable non seulement de la propagation globale de la pauvreté, mais aussi de l’émergence d’un nouvel ordre colonial qui accentue les divisions entre femmes, et que c’est ce nouveau colonialisme qui doit être une cible principale des luttes féministes si ce que l’on recherche est véritablement la libération des femmes. Présentement, et même si la plupart des féministes aux États-Unis et en Europe se sentent concernées par les enjeux globaux, une telle prise de conscience fait défaut. C’est pourquoi même ceux qui ont une attitude critique face à l’économie mondialisée et aux politiques des agences internationales comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) se contentent souvent de positions réformistes qui condamnent la discrimination fondée sur le genre, mais laissent intacts les problèmes structurels liés à l’hégémonisme global des relations capitalistes. Beaucoup de féministes par exemple déplorent la « charge inégale » que l’ajustement structurel et autres programmes d’austérité imposent aux femmes (Beneria et Feldman éditeurs 1992 ; Elson 1992 ; Bakker 1994), et recommandent que les agences de développement soient davantage attentives aux besoins des femmes, ou encouragent la participation des femmes aux « programmes de développement ». Plus rarement elles s’opposent ouvertement aux programmes eux-mêmes, ou aux agences qui les imposent, ou reconnaissent le fait que la pauvreté et l’exploitation économiques sont, à travers le monde, aussi un destin masculin. Une autre tendance consiste à penser les problèmes rencontrés par les femmes internationalement en termes de « droits de l’homme », et donc de privilégier la réforme légale comme terrain premier de l’intervention gouvernementale, une approche qui à nouveau omet d’affronter l’ordre économique international et l’exploitation économique sur laquelle il repose. De surcroît, le discours sur la violence faite aux femmes a généralement porté sur le viol et la violence domestique, suivant en cela la ligne développée aux Nations Unies, tout en ignorant souvent la violence structurelle inhérente à la logique d’accumulation capitaliste : la violence des politiques économiques qui condamne des millions de femmes, d’hommes et d’enfants à la misère, la violence qui accompagne les expropriations territoriales exigées par la Banque Mondiale pour ses « projets de développement » et, non la moindre, la violence des guerres et des programmes anti-insurrectionnels qui, dans les années 1980 et 1990, ont ensanglanté presque chaque coin du globe et qui représentent l’autre face du développement.

LA SUITE SUR PÉRIODE

On ne nous enterrera pas avec Charlie

Quand on est prêt à mourir pour ses convictions, il faut être certain que cela pourra servir la cause que l’on défend. La plupart des révolutionnaires ou des personnes qui se sont battus et qui ont payé de leur vie pour des idées de justice sociale et d’égalité ont le plus souvent permis de faire triompher leurs idées. Idées qui sont alors portées et prolongées par de nouvelles générations.
L’assassinat de Martin Luther King n’a pas empêché le mouvement des droits civiques d’obtenir des victoires importantes et de devenir un symbole international d’égalité, de lutte contre le racisme et de refus de la violence.

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Même si la stratégie du Pasteur King était contestée et n’était pas hégémonique dans son propre camp, son meurtre n’a pas abouti à une disqualification du combat dans lequel il était engagé. Le KKK et l’Amérique raciste n’étaient pas présents dans les commémorations qui ont suivi sa mort et ne se réclament toujours pas de son héritage politique. Cinquante ans après sa mort, il n’y a toujours pas de partisan de la ségrégation raciale avec des badges « je suis Martin ». Pas plus qu’il n’a été possible de rendre responsables de son assassinat les militants radicaux du Black Panther Party qui critiquaient sa stratégie politique.
Avec la disparition tragique d’une partie de la rédaction de Charlie Hebdo, on peut mesurer à quel point ces figures officielles de la lutte contre le racisme menaient un combat de façade mais avec de mauvais arguments et une ligne politique erronée. Il n’a pas fallu attendre 5 minutes après leur mort pour que tout ce que la France et le monde comptent de racistes et d’islamophobes se solidarisent avec Charlie Hebdo.

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LA SUITE SUR QUARTIERS LIBRES

Sur les événements du 7 janvier 2015, leurs causes et leurs suites…

Quelques textes et quelques infos pour rompre avec l’union nationale, les amalgames ou l’hypocrisie dominante. Parce que les ennemis de nos ennemis ne sont pas nos amis. Parce qu’islamophobie, négrophobie, misogynie, homophobie … même “de gauche”, même en blague, ne font sourire que les dominants… Parce que l’union sacro-sainte derrière la laïcité et la démocratie font frémir, surtout quand elles sous-entendent  le repli, l’exclusion et la stigmatisation.

Quelques réflexions par Quartiers libres, Non-Fides, Claude Guillon, un appel contre la manifestation islamophobe du 18 janvier…

A LIRE SUR DEPAVAGE

Nous sommes tous des hypocrites Bienvenue dans un monde de plomb

Nous sommes tous des hypocrites. C’est peut-être ça, ce que veut dire « Je suis Charlie ». Ça veut dire : nous sommes tous des hypocrites. Nous avons trouvé un événement qui nous permet d’expier plus de quarante ans d’écrasement politique, social, affectif, intellectuel des minorités pauvres d’origine étrangère, habitant en banlieue.

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Née en 1960, Nathalie Saint-Cricq est la fille de Jacques Saint-Cricq, président du conseil de surveillance deLa Nouvelle République du Centre-Ouest, la petite-fille de Jean Meunier, fondateur du même journal et homme politique français, et l’épouse de Patrice Duhamel, ex-directeur général de France Télévisions et frère d’Alain Duhamel, chroniqueur politique vedette de France Télévision et de Libération, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Nice-Matin et Le Point. Fin juin 2012, elle succède, au poste de responsable du service politique de France 24, à Fabien Namias, fils de Robert Namias, ex-directeur de l’information de TF1. | VOIR LA VIDÉO

Nous sommes des hypocrites parce que nous prétendons que les terroristes se sont attaqués à la liberté d’expression, en tirant à la kalachnikov sur l’équipe de Charlie Hebdo, alors qu’en réalité, ils se sont attaqués à des bourgeois donneurs de leçon pleins de bonne conscience, c’est-à-dire des hypocrites, c’est-à-dire nous. Et à chaque fois qu’une explosion terroriste aura lieu, quand bien même la victime serait votre mari, votre épouse, votre fils, votre mère, et quelque soit le degré de votre chagrin et de votre révolte, pensez que ces attentats ne sont pas aveugles. La personne qui est visée, pas de doute, c’est bien nous. C’est-à-dire le type qui a cautionné la merde dans laquelle on tient une immense partie du globe depuis quarante ans. Et qui continue à la cautionner. Le diable rit de nous voir déplorer les phénomènes dont nous avons produits les causes.

À partir du moment où nous avons cru héroïque de cautionner les caricatures de Mahomet, nous avons signé notre arrêt de mort. Nous avons refusé d’admettre qu’en se foutant de la gueule du prophète, on humiliait les mecs d’ici qui y croyaient – c’est-à-dire essentiellement des pauvres, issus de l’immigration, sans débouchés, habitant dans des taudis de misère. Ce n’était pas leur croyance qu’il fallait attaquer, mais leurs conditions de vie. À partir de ce moment-là, seulement, nous aurions pu être, sinon crédibles, du moins audibles.

Pendant des années, nous avons, d’un côté, tenus la population maghrébine issue de l’immigration dans la misère crasse, pendant que, de l’autre, avec l’excuse d’exporter la démocratie, nous avons attaqué l’Irak, la Libye, la Syrie dans l’espoir de récupérer leurs richesses, permettant à des bandes organisées d’y prospérer, de créer ces groupes armés dans le style de Al Quaïda ou de Daesch, et, in fine, de financer les exécutions terroristes que nous déplorons aujourd’hui. Et au milieu de ça, pour se détendre, qu’est-ce qu’on faisait ? On se foutait de la gueule de Mahomet.

Il n’y avait pas besoin d’être bien malin pour se douter que, plus on allait continuer dans cette voie, plus on risquait de se faire tuer par un ou deux mecs qui s’organiseraient. Sur les millions qui, à tort ou à raison, se sentaient visés, il y en aurait forcément un ou deux qui craqueraient. Ils ont craqué. Ils sont allés « venger le prophète ». Mais en réalité, en « vengeant le prophète », ils nous ont surtout fait savoir que le monde qu’on leur proposait leur semblait bien pourri.

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Presse porte-clefs (Quand Amedy Coulibaly dénonçait les conditions de détention à Fleury-Mérogis, Emeline Cazi & Luc Bronner, LeMonde.fr, 12 janvier 2015) | VOIR LA VIDÉO

Nous ne sommes pas tués par des vieux, des chefs, des gouvernements ou des États. Nous sommes tués par nos enfants. Nous sommes tués par la dernière génération d’enfants que produit le capitalisme occidental. Et certains de ces enfants ne se contentent pas, comme ceux des générations précédentes, de choisir entre nettoyer nos chiottes ou dealer notre coke. Certains de ces enfants ont décidé de nous rayer de la carte, nous : les connards qui chient à la gueule de leur pauvreté et de leurs croyances.

Nous sommes morts, mais ce n’est rien par rapport à ceux qui viennent. C’est pour ceux qui viennent qu’il faut être tristes, surtout. Eux, nous les avons mis dans la prison du Temps : une époque qui sera de plus en plus étroitement surveillée et attaquée, un monde qui se partagera, comme l’Amérique de Bush, et pire que l’Amérique de Bush, entre terrorisme et opérations de police, entre des gosses qui se font tuer, et des flics qui déboulent après pour regarder le résultat. Alors oui, nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les victimes d’un storytelling dégueulasse, destiné à diviser les pauvres entre eux sous l’œil des ordures qui nous gouvernent. Nous sommes tous des somnambules dans le cauchemar néo-conservateur destiné à préserver les privilèges des plus riches et accroître la misère et la domesticité des pauvres. Nous sommes tous Charlie, c’est-à-dire les auteurs de cette parade sordide. Bienvenue dans un monde de plomb.

Pacôme Thiellement, Les mots sont importants, 13 janvier 2015