Le mépris de la classe prolo.

Ces derniers mois, notamment avec les manifs timides d’octobre et novembre, j’ai parcouru pas mal de tracts, émanant de syndicats essentiellement, mais aussi de partis politiques. Après coup, y’a un truc que j’ai remarqué, c’est la disparition totale du mot prolétaire, ou prolétariat.

À croire que c’est un mot honteux, qui brûle les doigts quand on l’écrit, et la bouche quand on le dit. Un peu comme la lutte de classe, perçue ces dernières années comme un concept simpliste et dépassé. Il faudrait passer à autre chose paraît-il, arrêter de cracher sur les bourgeois et les patrons, genre on serait tous dans le même sac. Argh, j’ai même pas envie de rire…

Donc vas-y que ça se gargarise à coup de peuple, de citoyens, de salariés et de travailleurs. Salariés et travailleurs, c’est pas très sympa je trouve. Un peu égoïste et corporatiste puisqu’en sont exclus tous les non-travailleurs, et dieu sait qu’ils sont, et seront, de plus en plus nombreux. Peuple pourrait sembler plus ouvert, certes, mais un peu trop du coup puisqu’il inclut tous les bourgeois, et même les patrons ; et pour ceux qu’auraient pas encore pigé, les bourgeois et les patrons, j’aime pas ça. Et peuple est devenu depuis mai 2012 synonyme de Mélenchon. Et Mélenchon, j’aime pas ça non plus. Quant au citoyen il n’est lui défini – et donc réduit – qu’à des droits et des devoirs fixés par la « cité », donc par les dirigeants privilégiés. Aucun n’est synonyme de prolétariat.

C’est pourtant un joli mot prolétaire. C’était, chez les romains, celui ou celle qui, en-dehors de ses enfants (proles) et de sa force de travail ne possédait rien. C’était la classe la plus basse, celle des moins-que-rien. La classe la plus belle, la seule à n’exploiter personne. Le gros Marx avait repris le mot à sa sauce, en en excluant tous les « oisifs » et renforçant cette saleté artificielle qu’est la valeur du travail.

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En n’employant plus ce mot de prolétariat, les syndicats se sont définitivement coupés du projet premier du syndicalisme et du fédéralisme : défendre les travailleurs (et les travailleurs potentiels) face à la machinerie patronale, gouvernementale et capitaliste. Aujourd’hui les syndicats sont dits de « services », réservés à la défense (timide) des seuls salariés. Une fois licencié, à la rue, invalide, tu peux juste crever – si ce n’est déjà fait – ils ne lèveront plus le petit doigt pour toi, occupés à négocier leurs privilèges avec leurs exploiteurs. D’ailleurs, à y regarder de plus près, ils défendent plus le travail que les travailleurs eux-mêmes, parlant d’effectif, de masse salariale, de nombre de licenciés, reprenant ainsi le vocabulaire et la vision qu’a le patronat de ses employés. On leur donne, dans ces fameuses négociations, une impression d’égalité en leur lâchant parfois de pseudo-victoires sociales qui ne sont que quelques miettes comparées à ce que pourrait obtenir une grève générale ou tout autre véritable mouvement social. Car, comme on ne cesse de le répéter, et comme le montre l’histoire, seule la lutte paye.

Si je crache aujourd’hui avec autant d’allégresse sur les syndicats, c’est parce que d’un outil créé par les travailleurs pour s’émanciper (des patrons, des partis politiques) les secrétaires de ces syndicats ont dénaturé ce projet en le calquant sur le fonctionnement hiérarchique et centralisé de ses anciens ennemis. Les syndicats actuels sont des traîtres à la classe des travailleurs prolétaires.

Si je crache aujourd’hui avec autant de vigueur sur le travail et les bourgeois, c’est que j’y ai cru. J’ai gobé cette histoire de réussite sociale, j’ai vraiment cru que le soleil chaufferait plus si je m’élevais dans la pyramide sociale. Ça a si bien marché que je me suis coupé de beaucoup de mes potes d’enfance, celles et ceux qui ramaient et qu’on a vite aiguillés vers les filières courtes ; celles et ceux qui se foutaient gentiment de ma gueule parce que je lisais des livres ; parce qu’on m’a dit « tu n’as plus rien à voir avec eux ». Ça a si bien marché que j’en étais arrivé à avoir honte de mes parents au point de ne jamais parler d’eux, de les cacher, de les nier ; parce que je me suis dit « je n’ai plus rien à voir avec eux ». Le mépris de sa propre classe, c’était pas joli…

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Mais avec le recul, vu avec quelle persistance j’ai saboté et mes études et mes emplois, je pense que mon partenaire n’a pas été un Jiminy Cricket casse-couilles et moralisateur, mais plutôt un cafard ou un cloporte tapi dans l’ombre, qui n’a jamais lâché l’affaire, jusqu’à ce que je réalise enfin et prenne conscience de qui j’étais, d’où je venais, et de comment on m’avait toujours traité par rapport à ça. Alors ton ascension sociale, tu peux te la fourrer au fond du. Je ne marcherai jamais sur la gueule des copains. Je ne marcherai jamais sur la gueule de personne d’ailleurs. Parce que la loi du plus fort, le darwinisme social, l’individualisme forcené, ça a assez duré. Il est temps de prendre conscience que seul on ne peut rien, ou pas grand chose. Que la division réussie des prolétaires par le patronat, il ne tient qu’à nous de la transformer à nouveau en solidarité. Qu’on aura toujours plus en commun avec le fameux « beauf », simple victime du système qui lui ressasse jusqu’à l’hypnose qu’il n’est rien s’il ne possède rien, qu’avec n’importe quel petit chef, exploiteur volontaire et traître à sa classe.

Alors oui, c’est moins facile d’écouter et de parler aux autres que de les ignorer, mais au final tu gagnes tellement plus ! Tu gagnes la poignée de main « que dieu te gardes et surtout aussi ta petite » de la mamie tsigane ; tu gagnes la bise de Guy toujours rasé de près et embaumant l’after-shave cheap quand il fait la manche ; tu gagnes ce père de famille complètement bourré qui retient ses larmes parce que tu l’as écouté jusqu’au bout, même s’il est lourd, te dire à quel point il n’en peut plus ; tu gagnes ces gamins qui rangent l’artillerie viriliste et provoc’ quand tu leur réponds normalement en leur tendant ton briquet. Tu as toujours ton lot de cons complètement bornés, le populo n’est pas non plus un arc-en-ciel sur lequel on chevauche des licornes roses, mais c’est tellement plus chouette de laisser venir les gens, au moins dans un premier temps, sans jugement, sans prétention, sans mépris. Parce qu’on est tous des prolétaires, hein, mêmes les cons. On est tous dans la même merde, à cause de quelques parvenus ou bien nés qui engraissent sur notre dos, qu’on travaille ou non, et qui nous font crever, quand ça les arrange, quand ils le décident.

Aujourd’hui, je suis fier de ma classe. Ou plutôt fier d’y appartenir. J’y suis né, je l’ai détestée, je suis allé voir ailleurs avant d’y revenir – contraint et forcé – et de voir à quel point elle est belle.

Mon mépris aujourd’hui, il est tout entier pour toi, bourgeois.

lu sur http://coeurnoirteterouge.wordpress.com/