Faute de changement après la défaite de l’UMP aux élections présidentielles de 2012, on assiste à une réussite du clonage : Nicolas Sarkozy reprend vie au Ministère de l’Intérieur sous les traits de Manuel Valls. Les ritournelles et les cibles des forces répressives de l’Etat restent les mêmes. Les opérations de communication demeurent une constante.
Manuel Valls n’a pas de solution à apporter aux problèmes sociaux et n’a pas vocation à le faire. Il se retrouve au poste de premier flic de France parce qu’il sait menacer et faire du chiffre. Son boulot, c’est de faire rentrer les gens dans le rang ou de les mettre au ban de la société.
Il gère le territoire et les populations. Il ne règle pas les problèmes, il soumet et sanctionne. Manuel Valls reste le garde barrière agressif d’une république dont les contours sont flous et la définition abstraite. Il dessine lui-même les frontières de ce qui est convenable ou non, légitime ou pas. A défaut de combattre les injustices, il désigne les ennemis qu’il prétend combattre au nom des valeurs républicaines.
Pour gagner un combat, il est avantageux de désigner un adversaire à sa portée. C’est ce que fait Manuel Valls. Il nomme ses adversaires :
Les sans-papiers, plus simples à combattre que les patrons qui les exploitent, dans la droite ligne du renoncement du Parti Socialiste des années 80.
Les Rroms, parce qu’il est toujours plus facile de s’en prendre aux plus démunis et de créer un consensus autour de la haine d’autrui que de combattre le racisme.
L’islam, en tant qu’ennemi intérieur et danger pour la fameuse laïcité républicaine…
Aujourd’hui, il désigne Dieudonné comme le nouvel ennemi public N°1.
Notre garde barrière ne fait pas cela au hasard. Il remet les clés de la protestation médiatique à une personne dont il ne craint rien. Le PS ne craint pas plus le FN diabolisé que Manuel Valls ne tremble devant Soral, Dieudonné & Cie. On peut même dire le FN et le PS ont un point commun : la volonté de s’adresser au peuple dans sa globalité en excluant les classes populaires de leur programme économique. Il y a aussi les liens d’affaires qui rapprochent parfois les deux partis : un trait d’union financier apparait entre Jérôme Cahuzac et les cadres ou conseillers du FN ; le PS et le FN ont trempé aussi dans la françafrique après le déclin des réseaux Foccart.
Manuel Valls utilise la même technique que François Mitterand lorsqu’il a cherché à détruire toute contestation à gauche afin de cacher ses renoncements : transformer la colère sociale en racisme.
Ce jeu est dangereux. Parce qu’il ne fait pas disparaître la colère, ni les raisons de la colère. Bien au contraire. En faisant des discours fondés sur les tensions raciales et culturelles, Manuel Valls divise et permet le passage à l’acte àl’encontre des plus faibles. Il faut rappeler qu’avant d’être ministre, il était maire d’Evry. C’est lors d’un de ses mandats qu’il regrettait de ne pas voir assez de « blancs » dans un quartier de sa ville.
Pas assez de blancs pour dire trop de noirs. On peut aussi remarquer que lorsque Christiane Taubira a été attaquée par des racistes, Manuel Valls n’a pas mis trop de zèle à retrouver et sanctionner les fautifs. On constate également que les paroles islamophobes ou racistes des policiers se libèrent sur le net et se concrétisent sur le terrain, sans réaction franche de leur ministre.
En revanche, lorsqu’il s’agit de jouer avec l’Histoire et l’antisémitisme des années 40, sans qu’il y ait aujourd’hui de menace mortelle évidente pesant sur les juifs français, Manuel Valls assure le show. A cet endroit, il convient de rappeler que l’antisémitisme des années 40 était une doctrine promue par l’Etat Français. S’il n’est pas une doctrine officielle de l’Etat français actuel, le racisme à l’encontre des populations immigrées, musulmanes ou Rroms est aujourd’hui toléré, voire légitimé par les pouvoirs publics. Il reste aussi l’expression politique et publique de larges fractions de votants acquises au FN et à l’UMP.
Manuel Valls se positionne comme le défenseur de la communauté juive en danger. La défense d’une égalité à géométrie variable devient alors le privilège accordé par l’Etat à une communauté spécifique. Cette posture du ministre vise de toute évidence à provoquer un retour de flamme en sa faveur, et des associations comme la LICRA ou le CRIF, dupes ou complices, jouent le jeu. Peut-être pensent-elles ne pas être, in fine, les grandes perdantes des tensions sociales transformées par les renoncements de la gauche en tensions raciales et religieuses ?
En pratique, la méthode de Manuel Valls entérine le fait qu’il y a bel et bien une hiérarchie dans les discriminations. Cette vision n’est pas seulement celle de l’UMP et du FN, mais devient potentiellement recevable pour tout le champ politique, y compris à « gauche ».
Certaines discriminations sont tolérables parce que folkloriques, ancrées dans les mentalités ou résultant de lointains carnages coloniaux ; d’autres sont intolérables pour la « République » parce que plus récentes et perpétrées devant témoins. Il est plus difficile d’occulter à la population hexagonale la déportation par voie ferroviaire sur le territoire français que la déportation à fond de cale de l’Afrique vers le nouveau monde. En jouant avec le racisme et en exacerbant les distinctions, Manuel Valls rend crédible l’idée selon laquelle certains sont plus égaux que d’autres, non pas sur des bases économiques mais sur des bases raciales ou religieuses.
Toute la classe politique, du PS à l’UMP, s’est appuyée sur le FN pour détourner la colère sociale sur les immigrés et l’ennemi intérieur « musulman ».
Manuel Valls a passé un cap supplémentaire en faisant de l’antisémitisme, racisme reconnu et combattu par l’État, un miroir déformant pour la révolte des quartiers populaires.
Si on conteste, on devient antisémite. Ainsi, la lutte pour l’égalité devient un combat pour des intérêts particuliers, dans une hiérarchie bien établie. En haut, il y a les classes dominantes qui vivent tranquilles ; en bas et au milieu, la guerre fait rage, sur des critères raciaux et culturels qui évacuent les questions économiques et sociales.
L’action de Valls a pour objectif de préserver le déséquilibre économique qui existe en France en tapant sur les classes populaires et en les criminalisant au besoin. En faisant de Dieudonné (qui sert objectivement les mêmes intérêts économiques que le PS) l’incarnation de la révolte, il tente de tuer dans l’œuf toute perspective de révolte. La contestation sociale et la lutte ne peuvent dès lors être menées qu’avec une marque déposée à l’INPI.
Manuel Valls est dangereux. Il a décidé sciemment de mettre en scène un combat fictif avec un ennemi qu’il a désigné pour des raisons stratégiques. Lorsque l’Etat veut détruire un ennemi, il a les moyens de le faire discrètement. Mais Manuel Valls a préféré opter pour la médiatisation d’un combat truqué. Ce faisant, il nous étrangle en nous proposant deux alternatives lui laissant chacune toutes les cartes en main : se rallier sans conditions à sa vision de la société ou être désignés comme des racistes en puissance.
Le PS d’avant nous proposait la résignation du vote par défaut ; Manuel Valls nous propose la capitulation totale ou l’assimilation à l’une des rares formes de racisme combattue par l’Etat. Valls se sert du repoussoir Dieudonné pour tendre le nouveau piège de la « République ».
lu sur:quartierslibres.wordpress.com