[Lettre aux amis de Sivens depuis Notre-Dame-des-Landes] Déplacer les termes du conflit, le rendre asymétrique

Lettre aux amis de Sivens
Depuis Notre-Dame-des-Landes

C’est une chose de croire que les ZAD qui prolifèrent partout en France depuis plusieurs mois s’opposent à des projets d’infrastructures plus ou moins importants et plus ou moins publics. C’en est une autre de constater que derrière chaque ZAD se trame un conflit plus profond lié à la question du territoire et de son usage. Depuis plusieurs mois maintenant nous entendons parler ici à Notre-Dame-des-Landes des difficultés que rencontrent les ZAD de Sivens et Roybon avec une partie des riverains qui les environne. Dans chacun de ces cas, deux idées du monde semblent se faire front. Une qui s’expérimente chaque jour à travers une lutte d’occupation d’un espace destiné à la destruction, et qui par conséquent le repeuple, le cultive, l’habite et le transforme, et une autre qui cherche, au nom de l’emploi ou de la tranquillité, à préserver et approfondir la marche forcée du monde vers le contrôle, l’aseptisation et l’aménagement du territoire.

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« Dégage !… on aménage » titrait le premier récit de la lutte à Notre-Dame-des-Landes. Il pointait par son titre l’affligeant constat de ce que l’aménagement du territoire détruit comme rapport au monde. Les fermes deviennent des exploitations agricoles, les bocages deviennent des aéroports, les forêts deviennent des parcs ou des Center Parcs, les quartiers deviennent des écoquartiers, ou des centres des congrès, et le territoire devient ce continuum de flux qui relie les métropoles.

Ici à Roybon, on défend le projet de Center Parcs pour défendre avant toute chose le développement de quelques intérêts locaux, et là à Sivens, projet de barrage ou non, c’est l’idée même d’une ZAD et de ce qu’elle vient bouleverser à laquelle quelques-uns s’attaquent. Depuis le 25 octobre dernier et l’assassinat de Rémi Fraisse, la police avait besoin d’un sérieux relais pour poursuivre ses assauts contre les ZAD avant qu’elles ne contaminent toute la France.

Et la milice de la FNSEA qui sévit depuis plusieurs mois offre un boulevard aux autorités pour regagner la confiance mise à mal par les interventions macabres que nous connaissons. À Sivens comme à Roybon, les tueurs de zadistes deviennent les arbitres d’un conflit de territoire, en quelque sorte les casques bleus des nouvelles formes de lutte. Arbitres dans le discours et complices sur le terrain de tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre assécher les ZAD, et en premier lieu en bloquant leurs accès.

Aussi, ce qui se passe depuis plusieurs semaines sur la ZAD du Testet, atteste suffisamment de ce virage stratégique, prémédité ou non, dans l’offensive menée contre ces luttes. Et ce qui menace une ZAD sur ce plan, menace nécessairement les autres ZAD.

À Notre-Dame-des-Landes, depuis la fin de l’opération CESAR à l’automne 2012, nous faisons régulièrement face à des attaques en tous genres, menées sur différents fronts par les partisans du projet : manifs d’ouvriers payés par les patrons du bâtiment pour descendre dans la rue, incendies de cabanes ou de véhicules, menaces de mort, tabassages, les exemples ne manquent pas.

Pourtant, rien ne semble avoir atteint le niveau de violence de Sivens ou de Roybon. Les liens tissés ces dernières années avec les paysans et les habitants de la région offre le plus précieux rempart à ce type d’hostilité. Plus insistant en revanche sont les mouvements orchestrés par AGO Vinci avec une partie du monde agricole. Une nouvelle bataille, encore peu médiatisée, se mène entre des occupants de la ZAD et des paysans en lutte contre les exploitants qui sentent le vent tourner et commencent à se projeter sur les 1200 ha de terres agricoles que contient la zone. Pour l’heure chacun d’eux tente de jouer sa partition et aucun mouvement commun ne semble se profiler malgré les perches tendues par AGO. Car ici aussi, quand ils ne sont pas entrain de jeter des ragondins sur la préfecture, les agriculteurs de la FNSEA mettent tout en œuvre pour agrandir leurs exploitations. Ici aussi les fermes disparaissent une à une depuis plus de 50 ans, ici aussi devenir paysan ou cultiver des terres est devenu un calvaire.

Aussi, ce qui fait rage en ce moment au Testet n’est que le triste visage de ce qui nous menace ici en cas d’abandon du projet, une double offensive menée par les autorités accompagnées par tous les conservateurs de la région.

Bon, que la FNSEA voit d’un mauvais œil la prolifération des ZAD n’a rien d’étonnant, qu’elle devienne la principale courroie de transmission des mesquineries du pouvoir laisse en revanche quelques sueurs froides. Ce n’est plus seulement des grenades et des flashballs dont il faut se méfier, c’est aussi des milices qui agissent sans mesure sous l’œil bienveillant des gendarmes.

Car si ces derniers ont une marge de manœuvre relativement réduite depuis la mort de Rémi Fraisse, rien ne les empêche de fermer les yeux quand certains énervés de la FDSEA tabassent des opposants au barrage, mettent le feu à leurs cabanes ou détruisent leurs véhicules.

Ils apparaîtront toujours comme ceux qui viennent défendre la neutralité si rassurante et pourtant si mensongère de la République en s’interposant entre « deux extrêmes ».

En réalité, ce que supervisent les flics entre les opposants au barrage et les opposants à la ZAD, c’est la symétrie du conflit frontal qu’ils ne peuvent plus assumer sans prendre le risque de tuer.

Ce vendredi 6 mars 2015 sonnera comme un coup de massue sur le mouvement des ZAD. Le même coup a le 16 octobre 2012, produit le même effet sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Après quelques heures d’intervention le préfet annonçait la fin de l’opération et le contrôle de la Zone. Un mois après, pourtant, nous étions 40’000 à reconstruire les cabanes, et à tenir en échec l’une des plus grosses opérations policières de ces dernières années. Notre force fut de déplacer les termes du conflit, de le rendre asymétrique.

Nous relayons les appels venant du Testet à organiser des rassemblements de solidarité partout où c’est possible, à mener des actions contre les préfectures, la FNSEA, et le PS.

Nous pensons avant tout aux amis en garde à vue ce soir, et sommes de tout cœur auprès d’eux.

Quelques occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes – Indymedia Nantes, 7 mars 2015

Mort de Rémi Fraisse : l’Etat a bien menti, selon Mediapart

Dimanche 26 octobre, quelques heures après la mort de Rémi Fraisse sur le site du futur barrage de Sivens, « l’Etat sait déjà tout ou presque du drame, mais va choisir de feindre l’ignorance et de minimiser pendant 48 heures », affirme Mediapart (articleà lire ici). Selon son journaliste, Michel Deléan, qui a reconstitué le drame après avoir pu prendre connaissance de « plusieurs témoignages de gendarmes présents sur place » et « recueillis dès le lendemain pour les besoins de l’enquête judiciaire », « les gendarmes n’étaient pas en danger » et c’est bien une grenade offensive, une arme militaire datant de la guerre de 1914-18, qui a été lancée sur le jeune homme. Plusieurs gendarmes ont reconnu l’« avoir vu tomber » et « avoir compris immédiatement ce qui venait de se passer ».

« Très vite, en tout cas, vers 2 heures du matin, la zone a été éclairée au projecteur, et le corps de Rémi Fraisse récupéré, poursuit notre confrère. Et en langage militaire, il a été “rendu compte” immédiatement au commandant d’escadron, et donc au préfet, au procureur, puis aux ministres de tutelle (Intérieur et Justice). »

Pour justifier de l’existence d’un « mensonge de l’Etat », Mediapart fait état d’une information inconnue jusqu’ici. Un premier examen médico-légal a été pratiqué sur Rémi Fraisse « deux heures à peine après sa mort dans une morgue d’Albi », affirme le site d’information, qui soutient également que celui-ci a « conclu immédiatement à un décès provoqué par une explosion ». Un constat pleinement confirmé par le rapport de sept pages des médecins légistes de Toulouse, que notre confrère cite longuement et résume ainsi :

« Le jeune homme a eu une partie de la colonne vertébrale et de la moelle épinière arrachées par l’explosion, et il est certainement mort sur le coup. »

Révélation après révélation, le pouvoir apparaît bien « comptable de ce drame ».Les demandes de démission du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, n’en paraissent que plus fondées.

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