LA HONTE
ou Pourquoi l’injonction à ne pas culpabiliser les autres nous entrave
ça fait des années que je consacre une bonne partie de mon temps à de l’agitation politique. Je dessine, je discute, j’organise des événements, je participe à des manifestations et des actions contre les injustices de ce monde de merde.
parmi toutes les choses que j’ai du apprendre à ne pas faire, à cause de considérations stratégiques, il y a le fait de ne pas « culpabiliser » les gens auxquels je m’adresse, ou dont je parle.
la rengaine que j’entends depuis des années, c’est « les véganes, les féministes, les gauchistes » iels sont pas marrants et trop extrémistes parce qu’iels sont culpabilisant.e.s, et c’est à cause de ça qu’iels ne font pas tellement parler d’elleux.
pourtant, la majorité des véganes que je connais ne sont pas prosélytes : iels ne consomment rien d’origine animale, mais n’en parlent pas tellement, ne disent pas aux autres qu’iels devraient l’être, iels ne jugent pas les gens qui mangent de la viande, iels ne leur disent même pas ce qu’iels en pensent pour ne pas les froisser. Chaque végane a peur d’être vu.e comme un.e relou.e qui fait des difficulté lors des repas communs, et est prêt.e à prendre sur soi s’il y a un peu de lait ou d’oeufs, malgré le fait qu’iels désapprouve le fait d’en consommer. Pourtant, impossible d’échapper aux blagues sur le cri de la carotte, aux moqueries, aux attaques déplacées de la part de proches comme de parfait.e.s inconnu.e.s. Les véganes, même quand iels ferment leur gueule, sont vues comme des trouble-fête, comme des individu.e.s culpabilisateur.e.s en soi : montrer qu’il est possible de vivre sans consommer de produits d’origine animale est culpabilisant.e.s pour toute personne qui consomme de la viande mais ne veut pas associer ça a l’idée que des animaux sont tués pour elleux. Je suis moi-même devenue végane parce que j’ai culpabilisé d’être si peu cohérente dans mon rapport à la nourriture et aux animaux non-humains : en allant au salon de l’agriculture, j’ai réalisé que si je désapprouvais les conditions d’élevage et le massacre organisé du bétail, alors je ne pouvais me reposer dessus pour m’alimenter. Je pense que si l’on ne fait pas certains choix, c’est souvent par manque d’informations sur la question, plus que par ignorance, que par indifférence. Continuer la lecture de « Personne n’a le temps, nous non plus »