Violence et démocratie : entretien avec un groupe de « casseurs »

 

Après deux mois et demi de manifestations contre la loi Travail, la figure du « casseur » obsède tous les médias. Nous avons rencontré certains de ces dangereux militants à la réputation sulfureuse. Ils nous ont exposé ce qu’ils pensaient de la violence, en particulier celle de l’État.

« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent,
mais on ne dit jamais rien de la violence
des rives qui l’enserrent. »

Bertolt Brecht [1]

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INTERVIEW CHRONIQUE DE YOUV’

Youv dans sa cellule. Photos prises au téléphone portable et publiées avec son aimable autorisation.

Oumar Cissoko, dit Youv, a passé la moitié de sa vie à braquer. Originaire de la cité duVal Fourré à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, son premier braquage remonte au milieu des années 1990, alors qu’il avait 14 ans. Banques, magasins, fourgons de la Brink’s, il lui arrivait même parfois de dévaliser plusieurs établissements dans la même journée. L’autre moitié de son existence, il l’a donc logiquement passé en réclusion.

Lorsqu’on passe douze années à tourner en rond dans une cellule de neuf mètres carrés, écrire est l’une des rares manières de ne pas devenir dépressif, aliéné ou suicidaire. Incarcéré depuis 2002, Youv s’est rendu célèbre en publiant des tribunes sur Facebook – celui-ci a depuis été supprimé –, dans lesquelles il raconte son histoire, de son enfance en banlieue jusqu’aux plus hauts échelons du grand banditisme français. Repéré par un éditeur, il a publié en 2013 un ouvrage en sept volumes intitulé «Chroniques de Youv derrière les barreaux ».

Tandis qu’il est toujours incarcéré en région parisienne, j’ai échangé avec lui par téléphone et on a discuté ensemble de sa nouvelle vie d’écrivain, de braquages, de prison et de tout ce qu’on fait lorsqu’on est coincé à l’intérieur.

VICE : Salut Youv. T’attendais-tu à ce que tes chroniques deviennent si populaires ?
Youv :
Pas du tout. Mes premières chroniques, je les ai écrites au mitard. J’avais pris deux fois 45 jours, soit trois mois au total. Pour passer le temps, j’étais obligé de trouver une échappatoire. Et moi, je suis un cancre ! J’ai pas fait d’études, je suis jamais allé loin à l’école – j’ai quasiment appris à lire au mitard. À force de tourner en rond là-dedans, je me suis mis à écrire, mais c’était vraiment sans prétention. Personne d’autre n’était censé lire ça.

De quelle manière as-tu fait lire ce que tu écrivais à d’autres personnes ?
Un jour, une amie m’appelle, et je lui demande de m’expliquer comment fonctionne Facebook, parce que je venais de m’inscrire et que je me disais que c’était un bon moyen de passer le temps. Au cours de la discussion, elle me parle d’une chronique sur Facebook. Ça s’appelait, « Sabrina, love d’un Renoi » – et des milliers de meufs étaient dessus ! Je demande à un mon amie si la même chose existe, mais pour les mecs – ça n’existait pas. Je voulais que les mecs comme moi puissent se reconnaître dedans. Du coup elle crée une page, je lui envoie mes textes par SMS… une vraie galère ! Elle voulait corriger mes fautes d’orthographe, je lui ai dit : « non, publie-les tel quel. » Et là, en moins d’un quart d’heure, il y avait déjà 500 « j’aime » ! Ces gens je les connaissais pas, c’était irréel pour moi.

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