Violences policières : “L’objectif n’est plus de repousser un groupe, mais de blesser des individus”

A Nantes le 3 mai 2016, lors d’une manifestation étudiante contre la « loi travail » (Stephane Mahe/Reuters)

Depuis le début des mobilisations contre la “loi travail”, la répression contre les manifestants s’accentue, et les blessés se multiplient. Pour Pierre Douillard-Lefevre, auteur de L’Arme à l’œil, ces violences sont le fruit d’une “militarisation de la police”. Entretien.

La liste des éborgnés et des blessés graves suite à des tirs de Flash-Ball et des grenades de désencerclement s’allonge depuis le début des mobilisations contre la “loi travail”. “Au rythme où on va, quelqu’un va mourir parce que la violence est à chaque manifestation un peu plus élevée”, s’inquiétait Jean-Luc Mélenchon suite à la manifestation du 1er mai. Pierre Douillard-Lefevre, diplômé en histoire et sociologie, a lui-même perdu l’usage d’un œil en 2007 suite à un tir de Flash-Ball. Engagé depuis aux côtés d’autres blessés contre la militarisation des forces de l’ordre, il vient de publier L’Arme à l’œil, Violences d’Etat et militarisation de la police. Entretien.

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PONT-DE-BUIS, OCTOBRE 2015. On y va ensemble, on rentre ensemble.

Voilà deux semaines que nous annoncions la tenue d’un festival contre les armes de la police à Pont-de-Buis, petite bourgade du Finistère. Voilà plusieurs années que la police blesse ou mutile régulièrement des manifestants ou de simples badauds lors d’opérations de sécurisation de l’espace public. Qui ne connait pas un cousin éborgné par un tir de flashball « maladroit » ? En France, c’est (entre autres) l’entreprise Nobelsport qui élabore et vend ces armes. « Bon vivant rimant avec prévoyant », ce week-end d’octobre, des manifestant ont pris les devants. Des lecteurs de lundimatin [1] nous racontent.


Les douze voitures bardées de caravanes, barnums et cantines s’enfoncent dans la nuit. Il s’agit d’atteindre un champ qui surplombe le Colisée de la Douffine, sur les hauteurs de Pont-de-Buis. 15 km et 3 pannes plus loin le cortège s’arrête, la nuit est calme, il faut maintenant monter le camp.

Nous sommes le 22 au soir, au fond du Finistère, aux abords de NobelSport, principale usine d’armement de la région. Demain on marche sur l’usine pour bloquer sa production. Le défi est posé et la préfecture le relève, elle décide de nous empêcher d’approcher du site. Au même moment à 800 km de là, la famille de Rémi Fraisse, tué par les gendarmes un an plus tôt sur la zad du Testet, essuie une série d’offenses publiques et d’interdictions préfectorales. Impossible pour elle de rendre hommage à Rémi sans être accompagnée par ceux-là même qui lui ont pris la vie. Le cadre est posé, cette date anniversaire doit passer inaperçue : la police tue, le calme règne.

Vendredi 23 octobre 2015

À Pont-de-Buis, le vendredi matin, l’infoline circule. Objectif : atteindre le point de rassemblement au milieu du village. La gendarmerie a barré tous les accès à l’exception de l’entrée sud. Pendant deux heures, les manifestants contournent le dispositif pour arriver sur la place. Il est 16h, nous sommes près de 500 et, en contrebas, les canons à eau précédés par des grilles bloquent les deux ponts d’accès à l’usine.

Le piège est tendu comme un an avant dans les rues de Nantes, une grille antiémeute comme seul réceptacle à la détermination des manifestants, un écran blanc pour réduire la colère en spectacle. Dès cet instant la foule masquée et partiellement équipée pour le combat est mise face à ses propres contradictions. Subir ou choisir le lieu et le moment de l’affrontement. Tenir un point de cristallisation ou foncer la tête baissée dans un mur. Autant de questions irrésolues dans nos stratégies de lutte. Il existe des surgissements assez conséquents pour percer des dispositifs de la sorte, rien ne justifie pourtant de s’y acharner lorsqu’on est sûrs de perdre.

Une prise de parole publique de l’assemblée des blessés par la police permettra d’éviter le flottement indésiré et de charger de sens notre présence. La manif repart pour tenter sa chance ailleurs, après que le camion des bleus a été maculé d’un orange éclatant. Quelques conseils bien placés d’habitants du village nous conduisent ensuite devant une passerelle gardée par un dispositif beaucoup moins lourd. Une charge plus loin, les manifestants prennent possession de la passerelle avant de faire demi-tour. Un extincteur rempli de peinture pour inonder les visières des gendarmes, quelques pierres pour accompagner leur retraite et nous étions presque de l’autre coté de la rivière. Mais l’enjeu au fond n’était pas là. Notre but n’était pas de nous introduire dans l’usine, il nous reste à découvrir les gestes qui permettraient d’y faire autre chose que précipiter la catastrophe. Notre objectif était de la rendre visible et de bloquer sa production, ce qui était le cas ce vendredi.

A la veille de deux jours de discussions et d’action il fallait éprouver une certaine intelligence collective. Le slogan no tav « si parte, si torna, insieme » (on y va ensemble, on rentre ensemble) gagne progressivement l’ambiance du week-end. Après cette démonstration, nous remontons vers le camp et le temps d’une nuit de fête nous célébrons cette première journée.

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