Selon « Majorité Opprimée », le féminisme sauverait la France de l’Islam

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Le sexisme et l’homophobie imprègne la culture moderne comme une « marée noire », selon les propres mots d’Éléonore Pourriat, réalisatrice du court-métrage Majorité opprimée, qui est rapidement devenu viral sur internet. Ce film de 11mn envisage la vie telle qu’elle serait pour les hommes si les rôles de genre avaient été inverses.

L’analogie fonctionne très bien, et tout y est parfaitement identifiable. Le film suit Pierre – un Français de classe moyenne – traité avec condescendance, harcelé sexuellement et rabaissé à maintes reprises par des femmes. Cependant, le film se veut tellement familier qu’il en devient potentiellement assez cliché. Sur ce seul principe, il y aurait eu peu de chance que ce petit film devienne si viral et qu’il soit encensé et qualifié de « Swiftien ». Pas sans le cœur émotionnel du film. L’essence du film, ce qui a fait qu’il a vraiment valu le coup d’œil, ce sont ses préjugés de classe, le racisme qui l’imprègne et – assez ironiquement – la misogynie palpable qu’il charrie. Voilà le véritable contenu de la « marée noire » dont parle Pourriat.

Le premier rebond narratif de ce court-métrage consiste en un échange entre Pierre et un « nounou voilé » – ce dernier portant une cagoule clairement mise en scène pour signifier un hijab. Pierre, le Blanc de classe moyenne, s’emploie à le sauver de sa condition : « Est-ce que vous n’êtes pas en train de vous laissez enfermer ? D’abord, vous avez rasé votre moustache, maintenant on voit même plus vos rouflaquettes… Je suis désolé de vous le dire, Nissar, vous ressemblez à un enfant […] Vous n’appartenez à personne. »

L’acteur jouant le rôle de l’homme musulman exprime une idiotie certaine, une déférence notable et une attitude de soumission. Il sourit poliment, de manière anxieuse et grimaçante : « Mais c’est la loi et puis Dieu, il me protège comme ça… » Il constitue ce que la droite dure islamophobe dit des femmes musulmanes : des personnes infantilisées, sans capacité d’agir, et qui ont besoin d’être sauvées. Dans la logique de ce petit film, c’est là la preuve de la stupidité soumise de l’homme musulman ; et non celle de la condescendance raciale de son supposé sauveur. Pierre ajoute : « Vous êtes un homme », mais ce qu’il entend vraisemblablement c’est « Vous êtes un enfant ». C’est ainsi que ce film traduit littéralement la misogynie islamophobe.

Cependant, l’essentiel du film, son moment le plus horriblement instructif, se joue dans la scène où Pierre est agressé sexuellement par un gang de rue. L’une de ses membres est appelée « Samia » et il me semble clair qu’il s’agit là d’un coup de coude de la cinéaste pour nous signifier qu’il nous faut envisager ce gang comme un groupe de « Nord-Africaines ». Ces jeunes femmes sont représentées dans tout ce qui constitue les jeunes sauvageons, du ricanement à la hargne en passant par la pisse sur les murs : c’est bien la violente racaille [en français dans le texte] à laquelle se référait Sarkozy pendant les « émeutes de banlieue ».

Elles éructent des remarques sexuellement agressives à son encontre. Il tente, avec le calme et l’autorité de sa classe, de les faire battre en retraite. Mais elles manquent vraisemblablement de discipline : elles ne réagissent pas du tout bien à ses reproches plein de dignité. Bien au contraire, elles lui mettent un couteau sous la gorge, l’agresse sexuellement et l’humilie : « Je suis sûre que t’as une petite bite ».

Ce qui s’ensuit est tout aussi révélateur que l’agression elle-même. Pierre fait un signalement auprès des services de police, mais la réponse de l’officière de police – qui suppose que Pierre a tout inventé – le bouleverse d’autant plus. Épuisé physiquement et émotionnellement chamboulé, il est rejoint par son épouse qui est passée le chercher. La compassion dont elle fait preuve est presque de pure forme, et se voit immédiatement interrompu par le récit qu’elle lui fait de ces brillants accomplissements au travail. Elle lui reproche ensuite la manière sans pudeur dont il s’est accoutré, désignant ainsi son short et ses tongs, et lui signale que s’il choisit de s’habiller ainsi, « t’étonne pas qu’on vienne t’emmerder alors. » Dans sa frustration, Pierre demande : « Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je me mette une cagoule ? »

À quoi assistons-nous ici ? Le choix d’envisager la question des agressions sexuelles en termes de gangs de rue nous laisse entendre que la plupart de celles qui harcèlent et agressent Pierre – comme cette femme sans abri qui lui beugle dessus – sont de classe sociale inférieure. Dans la vraie vie, la grande majorité des agressions sexuelles, y compris les plus graves, sont l’œuvre du conjoint, de l’ex-conjoint, d’un membre de la famille ou d’une autre personne de l’entourage de la victime.

Au Royaume-Uni, environ 10% des agressions sexuelles graves sont l’œuvre de personnes étrangères à la victime. Il n’est dès lors pas exagéré de penser qu’en France la proportion d’agressions sexuelles impliquant des bandes de jeunes arabes doit être faible.

Pourtant, le film a choisi de tenir sur un scénario au sein duquel un « bon » Français est agressé, ignoré par la police qui laisse ainsi la racaille s’en sortir. L’épouse, ne soutenant pas son mari, lui fait craindre la pire des choses possible : une cagoule musulmane d’abruti. C’est là l’argument décisif pour ce qui est de ce film : la France civilisée risque d’être islamisée si elle n’embrasse pas le très curieux féminisme misogyne prôné par le film de Pourriat.

Et c’est pourquoi il est devenu si viral.

 

Richard Seymour

Traduit de l’anglais par Stella Magliani-Belkacem avec l’aimable autorisation de l’auteur.

lu sur http://indigenes-republique.fr/