Rendre infâme les autres pour masquer sa médiocrité

Chaque époque a ses contestataires et ses méthodes de luttes. Aujourd’hui, tout est vague, flou et mou, et surtout tout s’agite sur internet où les déclarations intempestives et les invectives font passer leurs auteurs pour des militants engagés dans l’action concrète et radicale. Le spectacle et le divertissement se substituent à la lutte sociale. Les diatribes des activistes d’internet résonnent comme une réunion de catcheurs : un show dont les confrontations physiques et politiques sont absentes.

La meilleure façon de se travestir en chevalier blanc sans proposer aucune réponse politique est de s’attaquer à un groupe imaginaire aux pratiques présentées comme déviantes. Bien sûr, il s’agit d’insinuer que ce groupe ultra puissant règne en maître sur la société, qu’il décide de tout et détruit des vies pour se protéger. L’ennemi devient une secte secrète entièrement dévouée au diable.

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Prenons un groupe qui connait un petit succès sur le net : le SKS Crew. Leur dernier titre la loi du silence « balance du lourd », ils « dénoncent grave ».
Que dénoncent-ils ? Que le pouvoir est aux mains des francs-maçons satanistes qui enlèvent et violent des enfants dans le plus grand silence et avec la complaisance des institutions.
Du lourd. Du trash même. Il suffit de regarder la forme pour s’en rendre compte.

Comment le SKS Crew s’y prend pour illustrer ses accusations gratuites et infondées ? En reprenant des images racoleuses d’émissions de télévision.
La médiatisation d’un certain nombre de condamnations permet de faire un clip dans lequel des corps d’enfants abusés sont exposés. Les accusations de secret n’ont cependant pas lieu d’être puisque ces condamnations sont intervenues après des enquêtes de police. En réalité, les images (bien réelles) ne servent qu’à choquer pour faire passer des théories fantasmés et ne reposant sur aucun élément concret. Une fois happé par des images d’une violence inouïe, le spectateur est prêt à tout entendre. Grâce à cette technique de manipulation classique où la forme dilue le fond, le message passe et n’est pas remis en question. L’instrumentalisation des images permet de construire un discours accusateur et de désigner la menace de son choix, en l’occurrence une élite masquée, omnipotente et maléfique.

On note au passage que le SKS Crew a une bien étrange conception de la défense des personnes martyrisées. Pas certain que les victimes et leurs proches se sentent réconfortés, éclairés ou restaurés dans leur dignité en découvrant des images d’eux dans un clip diffusé sur internet.

Les images que le SKS Crew instrumentalise sont en réalité issues d’affaires ne concernant pas les élites mais des gens des classes populaires, comme celle d’Angers. Dans cette affaire, comme dans la majorité des affaires de pédophilie, les prédateurs s’avèrent être des proches de leurs victimes. L’enfer est banal, parce qu’il est le lot quotidien de trop de gens, en particulier dans les quartiers. C’est la conséquence de la misère et non l’œuvre d’une secte.

En appliquant la grille de lecture du SKS Crew, on pourrait conclure que les cités HLM sont le plus grand repère de francs-maçons juifs communistes et écologistes, puisqu’on y trouve une grande partie des gens condamnés pour viol y compris sur mineurs.

Certes, les pauvres sont plus souvent condamnés que les riches pour les mêmes types de crime. Néanmoins, cette constante n’est pas la preuve d’un complot satanique mais résulte du fait que la justice appliquée en France continue d’être une justice de classe. Le diable n’a rien à voir là-dedans.

Lorsque des réseaux de pédophiles sont démantelés, il apparaît généralement que ceux-ci ne reposaient pas sur une allégeance à Satan, mais bien sur des rapports de soumission et de subordination de nature économique entre les organisateurs, les participants et les victimes du trafic. Globalement, le notable reste en position de force, tout comme l’occidental qui pratique le tourisme sexuel est en position économique dominante (il n’y a pas que des riches francs-maçons qui vont à Pattaya).

Le viol d’enfant ne toucherait que les pauvres, on en ferait une fatalité, un peu comme la drépanocytose ou le paludisme. Mais comme le viol d’enfant touche toutes les classes sociales, il devient un sujet dont on parle, parfois de manière sensationnelle ou spectaculaire.
Très souvent, ce sont les Rroms et les juifs qui se sont vus attribuer le rôle de violeurs ou de mangeurs d’enfants. Puis, dans les années 80, sont apparues les blagues racistes qui disaient qu’une petite fille maghrébine ou turque vierge était une môme qui courrait plus vite que son père. En somme, quand on veut salir un groupe, l’accusation d’inceste et/ou de pédophilie se révèle très commode et particulièrement redoutable. On peut aussi comparer cette démarche à celle de l’accusation de viol infondée qui a servit systématiquement de prétexte aux lynchages.

Aujourd’hui, dans l’ambiance de la France de la « manif pour tous », il est de bon ton de dire du mal des homosexuel.le.s et de regretter que la morale s’écroule en raison de lobbys francs-maçons.
Alain Soral, source d’inspiration de Rockin Squat (maitre étalon du rap qui parle d’élites satanistes et mentor de SKS Crew), compare explicitementl’homosexualité à la pédophile.
Dire qu’un homosexuel qui élève un enfant le fait pour avoir des relations sexuelles avec lui est ignoble et infondé, mais avec des images choc cela devient audible. C’est du même tonneau que lorsque certains réactionnaires expliquent qu’une éducation faite par un homosexuel influe sur l’orientation sexuelle de l’enfant. Jusqu’à preuve du contraire, l’écrasante majorité des homosexuels sont le fruit d’une éducation dispensée par des hétéros. En réalité, ces attaques ne contiennent ni explication rationnelle, ni démonstration scientifique ou sociologique. Elles servent simplement à forger un discours provocateur pour faire passer une idéologie.

S’agissant de savoir quelle idéologie promeut le discours du SKS Crew, pas besoin de chercher très loin. Les illustrations mises en avant par le SKS Crew témoignent de leur parti pris (on y voit Serge de Beketch et Roger Holleindre en héros de la cause).

Les grands héros du clip du SKS Crew sont des militants d’extrême droite issus de la sphère catholique traditionnelle combattant le droit à l’avortement. Là encore, on est dans le fantasme. Si l’Église et les valeurs chrétiennes protégeaient de la pédophilie, ça se saurait.

Le scoutisme traditionnel, dont Serge de Beketch (comme l’ensemble de sa famille politique) était un fervent défenseur, connait des affaires de pédophilie . Au passage, l’univers visuel de ce mouvement proche du nationalisme est façonné par les dessins de Pierre Joubert.

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Les images, bien que non violentes, parlent d’elles-mêmes.

Comme par la bouche de Mathias Cardet, on assiste à une tentative de réhabilitation de Roger Holleindre, ancien des troupes coloniales. Il est établi que les troupes coloniales se sont illustrées en Asie et en Afrique en pratiquant viols et mutilations sur l’ensemble des populations y compris les enfants. Ces crimes sont restés tabous, la honte des populations qui n’ont pas voulu dénoncer les viols subits ont permis aux militaires de cacher leurs méfaits. Le viol systématique, est une arme coloniale, la France pays impérialiste et colonisateur tente de faire oublier ses actes.
SKS Crew détourne les yeux de ces crimes commis par des défenseurs de la France, au nom de Dieu et de la Patrie. L’oubli et le pardon sont de mises pour les militaires français. Deux poids, deux mesures, surtout quand cela va dans le sens du riche, blanc et catholique.

Le SKS Crew utilise une méthode qui sidère et choque son public pour faire passer un message implicitement politique. Une secte sataniste ne ferait pas mieux, TF1 non plus d’ailleurs. Ce n’est pas du militantisme, ni de l’engagement. C’est faire du buzz avec l’ignoble et l’invérifiable pour tenter de glisser une disquette.
Cette technique est généralement utilisée par le groupe social majoritaire pour stigmatiser une minorité ou par des activistes politiques pour salir un opposant en le calomniant régulièrement dans les médias. De plus, la calomnie gratuite sur la supposée pédophilie confère une aura de bravoure à celui qui accuse. On en oublie alors les abjections qu’il commet lui-même.

Au final, les gens qui dénoncent « les élites pédophiles » ne combattent rien, et surtout pas la pédophilie. Ils lancent des accusations de pédophilie pour détruire publiquement leurs ennemis politiques ou leurs concurrents, et cela pour des raisons pécuniaires. Alain Soral déclare publiquement qu’il a des preuves d’activités pédophiles de responsables politiques mais qu’il ne les divulguera que si on lui fait des tracasseries judiciaires susceptibles de perturber ses activités commerciales. SKS Crew fait dans l’obscène pour attirer les regards et faire mousser sa petite entreprise.

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Christine Boutin est mariée à son cousin, Alain Soral a pratiqué le coït avec un chien (misères du désir, page 56), l’Eglise catholique et le mouvement scout ont nié les viols commis dans leurs rangs sur des enfants, les défenseurs de l’honneur de l’armée coloniale occultent volontairement les viols commis sur l’ensemble des populations colonisées. En appliquant le même raisonnement que le SKS Crew à ces éléments factuels, on arrive à la conclusion que le Jour de Colère et leurs soutiens sont un rassemblement de pédophiles. Exit la politique, tout dans le drame, pourvu que l’autre soit traîné publiquement dans la boue.

Les militants savent que de telles démarches ne sont pas soutenables, parce que dire n’importe quoi sur des sujets sérieux et graves demeure contre-productif.
Accuser un ennemi de ce qu’il n’est pas, c’est le salir et occulter du débat les choses que l’on n’assume pas soi-même.
Ce que les Soral, Holleindre, Boutin et autres icônes des droites n’assument pas c’est la médiocrité de leurs actions, parce qu’elles sont à l’opposé des valeurs qu’ils prétendent défendre.

Histoire de terminer sur des images choc, on repasse un classique du rap qui reflète les contradictions des classes populaires et dont la punchline la plus juste est « hardcore comme reconnaitre ses torts ».

Notre camp est celui de celles et ceux qui assument leurs actes et qui n’ont pas besoin de baver sur les autres pour lutter contre toutes les injustices.

LU SUR http://quartierslibres.wordpress.com/