Depuis le 6 juin et la mort de Clément Méric, la machine à braire s’est remise en route dans les médias. Il ne se passe pas une journée sans que dans les journaux, à la télé ou à la radio on ne dénonce les extrêmes-qui-se-rejoignent et la violence qui caractérise l’extrême gauche et l’extrême droite, renvoyées dos-à-dos. Au besoin, on convoque un sociologue à gage –comme Jean-Yves Camus dans le Figaro du 6 juin– pour apporter sa caution scientifique et expliquer que ce drame n’est pas du tout politique, qu’il est juste la conséquence malheureuse d’une culture de la violence atavique, qui fait partie du folklore commun aux nazillons et aux antifas, là aussi placés sur le même plan. Un «malheureux fait divers » (Libération du 9 juin) en somme, pour reprendre les termes d’Alexandre Gabriac, tête de gondole de la boutique concurrente des JNR, les Jeunesses Nationalistes, qui s’y connait en matière de tabassage.
Pas un jour où ces bonnes âmes ne réclament non seulement la dissolution des JNR et de Troisième Voie, mais également celle des groupes « violents » de l’autre bord, pour faire bonne mesure. On n’en sort pas : c’est toujours « 15 mn pour les Juifs, 15 mn pour Hitler ». Et quand il y a un mort, c’est la faute à l’ « extrémisme ». Clément n’est pas mort sous les coups d’un nervi fascistoide, il a été victime d’une calamité naturelle (ou culturelle), l’« extrémisme ».
Outre qu’il est lamentable de devoir rappeler en France en 2013 que l’antifascisme n’est pas un extrémisme –il fut un temps où c’était même un reflexe normal et généralement partagé–, deux petites remarques s’imposent sur cette manière mécanique et imbécile de présenter « la violence ». On ne peut en aucun cas mettre sur le même plan les attaques de l’extrême-droite et la réaction –même radicale– contre ces attaques. Les agressions racistes, les profanations de tombes, les mesures d’intimidations physiques ou verbales contre les populations immigrées, les tabassages d’homosexuels menées par le genre d’individus qui ont tué Clément sont une attaque contre la société en général. Mettre sur le même plan les actions menées contre leurs auteurs est une manière de banaliser leurs pratiques et de les présenter eux aussi, comme de potentielles victimes d’un mal dépolitisé : l’« extrémisme » et la « violence ».
Cette explication, qui relève dans le meilleur des cas de la paresse intellectuelle et, dans le pire, d’un pétainisme diffus, est la même que celle qu’on a vue à l’œuvre dans l’explication de la violence d’Etat dans certains pays d’Amérique Latine. En Argentine, la « théorie des deux démons » a tenu lieu par exemple d’explication de la dernière dictature : c’est la violence des groupes de gauche qui aurait entraîné –là encore mécaniquement– le coup d’Etat militaire et la répression sanglante qui l’a suivi (30 000 disparus quand même). Le mécanisme est le même que pour le fer-à-cheval des opineurs professionnels français : on met les victimes sur le même plan que les massacreurs, puisqu’ils seraient égaux dans leurs pratiques violentes.
Alors rappelons-le : l’agression est toujours du même côté, et heureusement qu’il reste des gens pour ne pas tolérer sans broncher qu’on se promène dans les rues avec des vêtements siglés « White Power » ou « Blood and Honour », comme c’était le cas des skins croisés par Clément et ses camarades la semaine dernière, ou qu’on accepte la présence du discours et des pratiques de l’extrême droite dans l’espace public. La complaisance de la droite, très visible lors des manifs des derniers mois a largement banalisé cette présence, ce qui appelle une réaction politique. Elle peut légitimement être radicale.