Ăa faisait longtemps que je nâĂ©tais pas tombĂ©e sur une critique de ce qui est produit dans le cadre de lâuniversitĂ©, dâun point de vue subversif. Bien plus vivace il y a quelques annĂ©es, ce regard sur la production de savoir est tombĂ© en dĂ©suĂ©tude, rendant plus acceptable lâidĂ©e de faire carriĂšre sur les luttes. Souvent au nom de la « survie », ou du fait quâil « faut bien sâen sortir »… Mais qui produit ce genre de rhĂ©torique, et dans quel but ? Est-ce quâil sâagit vraiment de survivre (un toit, de la nourriture, la santĂ© ?), et est-ce que les personnes qui produisent des donnĂ©es sur les opprimĂ©.e.s ont rĂ©ellement intĂ©rĂȘt Ă ce que les diffĂ©rents systĂšmes de domination sâĂ©croulent ?
Plusieurs personnes ont dĂ©couvert avec dĂ©ception, aprĂšs des annĂ©es au cĂŽtĂ© dâune amie, la thĂšse universitaire que cette derniĂšre avait produite sur elles et leur cercle dâagitation politique en mixitĂ© choisie. Sociologue en formation, cette personne s’est introduite dans leur espace dâorganisation pour Ă©tudier les modes de vie et de luttes de celles qui sont devenues ses proches Ă lâoccasion de ce terrain de recherche, pour lâuniversitĂ© et contre un salaire, pour certaines avec leur accord, mais pour dâautres souvent Ă leurs dĂ©pends et parfois mĂȘme contre leur volontĂ©.
Ayant moi-mĂȘme portĂ© un grand intĂ©rĂȘt aux sciences sociales et humaines, jâai dâabord Ă©tĂ© rĂ©ticente face Ă cette lecture. La nĂ©cessitĂ© de comprendre lâorganisation de la sociĂ©tĂ©, mais aussi ses marges et les mouvements contestataires, mâa toujours paru importante. La notion du point de vue situĂ© issue des sciences sociales, notamment des subaltern studies et de lâanthropologie, est venue sâopposer Ă la production de recherches complĂštement biaisĂ©es par un regard trop extĂ©rieur et dominant, et les chercheur.e.s ont adaptĂ© leurs approches Ă cette nouvelle Ă©pistĂ©mologie*. Cette Ă©volution de la mĂ©thode de recherche a peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă mieux comprendre certaines formes sociales, mais elle nâa pas dĂ©centrĂ© le lieu de la production du savoir. Le savoir, celui qui fait autoritĂ©, reste celui produit par lâuniversitĂ©, mĂȘme quand il parle de nos propres vies, mĂȘme quand celleux qui le produisent nâont manifestement rien compris Ă leur sujet dâĂ©tude
Le problĂšme, soulevĂ© par les autrices de ce petit guide dâautodĂ©fense face aux chercheur.e.s, est le suivant : connaĂźtre, oui, mais dans quel but ? Ătudier les pauvres, pour mieux les comprendre ou pour mieux les dominer et contourner leurs rĂ©sistances ? Pourquoi Ă©tudier pour lâuniversitĂ© des collectifs de lutte, si ce nâest pour en rĂ©vĂ©ler les mĂ©canismes, les stratĂ©gies et les difficultĂ©s, et donc les offrir en pĂąture Ă la rĂ©pression et lâinfiltration policiĂšre et Ă©tatique ?
Toutes les formes de rĂ©cupĂ©ration des luttes par le capitalisme et des systĂšmes de domination sont le fruit dâune meilleures connaissance de celles-ci par celleux qui veulent les maintenir. Il ne sâagit pas de vivre dans le secret pour Ă©chapper Ă la surveillance, au greenwashing, au pinkwashing ou autre ; mais il sâagit de ne pas se laisser dĂ©possĂ©der de nos vĂ©cus et de nos initiatives politiques par des gens qui ne feront jamais rien de plus que nous observer, pour une gloriole personnelle et un peu dâargent.
Ce texte, édité sans code-barre ni prix, par le mystérieux Fond de la casse en février de cette année, est disponible gratuitement sur internet et en physique dans des infokiosques.
Pour le lire, câest par ici.
*Ă©pistĂ©mologie : la science qui sâobserve elle-mĂȘme et sâauto-critique, dans le but dâĂȘtre plus exacte