🎨🏴‍☠️une discussion avec koala, à propos de bds, d’illustrations et de punk diy🏴‍☠️🎨

extrait de l’apériodique coutoentrelesdents n°1 disponible gratuitement → ici

qui dessine l’excellente bd la couche, disponible à la lecture sur son blog koala1312.noblogs.org

Est-ce que tu peux te présenter ?

Mon nom de dessinateur c’est Koala, j’ai la trentaine, j’évolue depuis mes 16 ans dans la scène punk , c’qui m’a permis de faire pas mal de flyers, puis des pochettes Cds, K7 ou vinyles pour des groupes, des visuels pour des t-shirts et tout. Ça m’a constitué un bon réseau, fait pratiquer d’avantage et utiliser mes dessins pour des projets extérieurs (musicaux, culturels et/ou militants). A la base, je dessine et je fais des BDs depuis que j’ai quatre ans. Ma daronne les photocopiait à son taf et je les vendais dans la cour de récré. Je faisais déjà des fanzines en fait, des séries BD en plusieurs tomes et des faux magazines composés d’illu’, de jeux et de BDs différentes. En vrai, j’ai pondu une chiée de séries depuis l’enfance, pour la plupart inachevées. Le truc, c’est que j’ai plein d’idées, j’les commence, mais après, souvent, en cours de route, je suis déjà lassé d’aller jusqu’au bout du projet ou de lui donner l’ampleur que ça pourrait avoir dans ma tête. J’ai envie déjà de faire autre chose. Comme si le simple fait d’avoir imaginé la série et les scènes, me suffisait en soit. C’est limite chiant de devoir après se coltiner la retranscription de l’entièreté du projet dans la vrai vie, sur papier, haha. Je sais déjà comment ça fini. C’est plutôt les projets en pure impro continue que j’ai réussi à tenir le plus dans le temps. Bref, vu que je m’imaginais bédéiste depuis toujours, j’ai fini par faire trois années d’études de BD à Bruxelles (parce que je viens de là-bas en fait, j’l’ai pas mentionné). Quand j’en sors vers 2012, je trainais déjà blindé dans les « milieux squats » et je finis par y vivre. Des périodes fréquentes à la ZAD m’ont quand même beaucoup marqué et aiguillé dans mes aspirations et objectifs de vie. J’ai essayé de faire un dossier BD pour envoyer à des éditeurs, en y croyant qu’à moitié, en me disant: Je ne sais pas, comme ça, je l’aurai fait et je verrai bien (Ça s’appelait « Hail Seitan ! ». Ça mettait en scène un trio de punks qui faisaient du « Vegan Crack Rock Steady » et qui atterrissaient dans un genre de district où la population entière vie en mode métro-boulot-dodo en se cachetonnant à balle pour éviter que des monstres gigantesques qui matérialisent leurs émotions ne leur sortent par la boucheTout un concept haha. Je n’ai pas eu tout de suite des retours positifs de maisons d’édition. J’étais entouré de punx et de totos qui me disaient: « Tu t’en fous, pourquoi tu veux être édité ? C’est de la merde. DIY et tout ça… » Du coup, j’sais pas, j’ai continué plutôt dans ma lancée de faire des trucs gratos dans les scènes militantes, punks et anar’. Parfois avec des p’tits défraiements prix libre ou quoi. C’est resté ma passion, mon outil d’expression et de propagande privilégié, sans jamais se constituer en «carrière» à proprement parler. Depuis j’ai eu une période dans ma vie un peu tendax où ma copine s’est suicidée et que j’ai été pas mal dans la guedro… Du coup, je me disais qu’il fallait que je fasse quelque chose de ce qui se passait dans ma tête, que j’arrive à concrétiser, ce que j’avais jamais vraiment fait, mener à bien un projet vraiment complet et un peu « propre » avec la gueule que je voudrais que ça aie ; et qui soit un peu fini même si c’est qu’un point de départ pour la série. Je voulais sortir un bouquin, avec mes conditions. C’est ce que j’ai fait avec la BD La couche.

Et toi c’est quoi qui fait qu’à 4 ans tu te mets à dessiner beaucoup et à t’intéresser à la bd, enfin est-ce qu’il y a un truc particulier dans ton environnement qui détermine ça ?

J’dirais qu’il y a surement une chiée de facteurs différents qui ont dû me pousser à aimer dessiner mais c’est sûr que j’ai grandi dans un environnement propice à m’y intéresser. Mon daron adorait la bande dessinée et travaillait pour une société démoniaque -dont je tairai le nom- qui est très connue et dont la mascotte est une souris, haha ! Donc il m’a bien fait baigner dans le dessin animé. Tout était Disney (merde!) à la zonmé, il nourrissait un mépris pour les trucs plus grossiers comme les Simpson et particulièrement tout ce qui était animation japonaise, en plein essor auprès des jeunes francophones à cette époque là. Je matais tout ces trucs dès qu’il était pas là, c’qui était très souvent le cas. Mon père s’est barré avec une autre femme quand j’avais 6 ans, en nous laissant seuls, moi et mon frangin avec notre daronne qui chialait tous les soirs. Bref c’était pas un type génial et sur pas mal d’aspects c’était bien plus la teuf à partir du moment où il s’est cassé. J’ai pu mieux découvrir tous ces trucs qu’on m’interdisait ou me désignait comme vulgaire, violent, mal fait,débile…C’est principalement le dessin animé qui m’a attiré vers la BD, parce que je rêvais d’en faire moi-même, mais ça avait l’air trop compliqué, inaccessible et il fallait bosser sur les projets des autres. La BD c’est un bon moyen de raconter des histoires par soit-même, c’est accessible à tout le monde quoi. Enfin maintenant les gens, iels font des animés plus facilement… J’ai un pote il m’a montré comment il fait sur sa tablette et ça m’a fait triper, ça donne un peu envie d’en faire.

Tu peux développer sur tes influences graphiques ?

Bah du coup, j’ai baigné dans le mickey & compagnie là, la BD franco-belge, je lisais beaucoup Franquin, Macherot, Trondheim, et les mangas. C’était les années 90, quoi, l’explosion d’la popularité du truc. J’ai lu en vrac les Dragon Ball qui me tombaient sous la main, édités dans le sens de lecture francophone mais je matais surtout les animés et leurs horribles VF. J’adorais Ranma1/2, Nicky Larson, DBZ,… Au début de l’adolescence j’ai lu GTO – plutôt craignos pour plein de raisons mais j’avoues j’kiffais bien – puis j’ai lu des shônen : Naruto, Fullmetal Alchemist, Bleach et One Piece (que je continue à lire encore aujourd’hui. Là on en est au 107 !!), par la suite, j’ai dévoré toutes les séries de Naoki Urusawa (Monster, 20th Century Boys, BillyBat…), Amer Béton, Death Note, Cyborg Kurochan, Doraemon… et j’ai pleinement découvert les chefs d’oeuvres de Miyazaki.

Dans les mangas, j’aimais particulièrement le dynamisme des pages, que je retrouvais aussi dans les comics. Cette façon de mettre en page les cases, d’avoir parfois des personnages qui la remplissent, des trucs éclatés et tout… J’aimais bien le côté mythologie malléable des comics et l’esthétique surchargée gothique de McFarlane qui faisait Spawn, les monstres kitch avec des énormes dents et du sang partout… et Hellboy, évidemment ! A part ça, y’a les Simpson, avec lesquels j’ai littéralement grandit et que j’enregistrais tous les soirs, South Park, Futurama. Les dessins animés satiriques états-uniens quoi. Les classiques Cartoon Network aussi (Le Laboratoire de Dexter, Les Super Nanas, Ed,Edd&Eddy, Cléo&Chico,…), les trucs de Marc du Pontavice, Ren & Stimpy ou d’autres vieilleries Nickelodeon. Dans ma phase de transition musicale entre le hip-hop et le punk (vers 14 ans), je découvre Gorillaz et les clips me marquent à donf’. Je découvre le dessinateur Jamie Hewlett. Je suis instantanément et intensément devenu fan de son univers graphique, ses personnages, les références qui pullulent, les fringues et les détails dans les décors; j’ai commencé à faire des trucs en étant fort influencé par lui, et j’en garde encore une grosse trace… « une grosse trace », ahah.

Le Koala déjà ?

Ouais carrément comme dans Tank Girl !

C’est marrant de t’entendre parler des influences parce que j’aurais pas pu mettre le doigt dessus en lisant mais maintenant que tu le dis ça saute aux yeux ! C’est un truc qu’on retrouve grave dans la couche justement, les impressions de vitesse là, les monstres un peu dégueux, dégoulinants! Sinon comment est-ce que tu diffuses tes productions ? C’est une passion ou un gagne-pain ? Et quelle place occupe l’argent dans ton activité ?

La diffusion de mon taff se fait principalement au travers de participations à des collectifs, des groupes de zic’ et projets politiques ; c’est un peu en fonction. Pour les projets politiques ça va toujours être gratos, pour les groupes ça dépend de si c’est des potes, si ça brasse un peu d’la maille, si les gens ont les moyens de te laisser un prix libre, histoire de reconnaître que le graphisme c’est aussi un élément important du projet fini et que ça mérite d’être entretenu autant qu’les gens qui sont sur scène. Depuis que je vie en ‘Rance, j’ai pas le RSA et mes plans tafs pour le moment sont plutôt mal payés et fatiguants . Donc je mise un peu plus qu’avant sur le fait de me permettre d’ajouter d’la margarine dans les épinards via le dessin ; j’ai fini par me mettre sur une de ces saletés de réseaux sociaux, pour être plus visible et joignable pour les tatouages ou les dessins en général. Ça aide…un peu. Souvent j’ai des plans taf par des potes de potes, etc. Mais voilà, c’est pas des masses un « gagne-pain », c’est pas vraiment l’objectif et j’ai toujours été très mauvais pour vendre mes trucs. Du coup, pour ce qui est de ma BD, je l’ai mise gratos sur internet notamment grâce à toi qui m’a conseillé d’utiliser noblogs.org, et sinon j’ai réussi à l’imprimer avec l’aide d’un pote (Niko) que j’avais connu dans un squat/lieu de concerts de Bruxelles où j’ai passé pas mal de temps et recouverts pas mal de murs. Ce gars il est dans les réseaux d’auto-édition, micro-édition, tout ça là. C’est un passionné de fanzines de longue date. Il a toujours été très encourageant et volontaire pour m’aider à concrétiser l’objet. On a d’abord essayé de l’imprimer nous-même sur des machines d’une coopérative artistique bruxelloise, avec la reliure à la colle et tout le bordel. On y a passé une nuit pour 6 exemplaires, la qualité était belle mais fragile et coûteuse. Il m’a dit « vient on va trouver un plan pas trop coûteux chez un petit imprimeur »; alors j’ai fait ça, en investissant d’abord seul pour 100 exemplaires. Puis on l’a réimprimée à 300 exemplaires partagés entre lui, moi et une assoc’ de bruxelles qui avait la thune à mettre. Après je dois juste racheter les exemplaires à prix coutants sur les stocks quand j’en ai plus. En général je les mets sur des tables de distros ou de marchés et j’indique combien ça m’a coûté en disant aux gens que c’est cool de mettre un « prix libre » de 15-20 balles quoi. Après les gens iels peuvent mettre moins, si ils ont pas de thunes ça reste l’idée du truc. Y’en a sporadiquement dans quelques boutiques de Belgique ou de France, mais c’est assez rare et vu que le magasin demande en général au moins 30%, tu dois adapter ton prix et moins bien te rembourser (ça dépend). Mais bon j’avais envie qu’il y ait des gens random, que j’connais pas, qui puissent tomber dessus. Sinon par internet, via l’instacrâme, il y a quelques personnes intéressées qui me contactent pour l’acheter et j’l’eur envoie par la poste . C’est assez chouette, je trouve. Niko a également diffusé plusieurs épisodes du tome 0 ainsi qu’des épisodes inédits dans -feu- sa revue Poijuku Tessy. Qui était pleine de trucs stylés même si le blaze est dure à retenir.

Est-ce qu’il te reste des exemplaires, est-ce que tu comptes en réimprimer ?

Il reste un peu moins de 100 exemplaires à Bruxelles, je suis en train d’en racheter petit à petit, pour les acheminer jusqu’en France en me les trimbalant dans des grosses valises relous en bus low-cost comme un gros boloss haha. Je pense pas en réimprimer de celle-là pour l’instant parce que je suis en train de travailler sur la suite de la couche (le tome 1!). J’aimerais pouvoir les imprimer moi-même avec des moyens plus bas, avec moins de pages mais que ça sorte régulièrement. Je me dis que c’est cool d’utiliser ma manière de faire du fanzine depuis tout petit pour faire évoluer mon truc. J’ai envie que des personnes d’horizons différents accrochent et que ça les amène dans le truc de manière générale, que des personnes s’approprient l’univers et les personnages… Si j’allais à la vitesse que je veux et que je pouvais passer mon temps à dessiner, y’aurait même des spin-off et des collab’ haha

Et sinon tu fais des stickers et des flyers, il y a souvent un message politique explicite dans ta production, est-ce que c’est une dynamique volontairement adoptée d’exprimer des opinions politiques à travers tes dessins ?

Plutôt, oui 🙂 Je fais souvent du tag au gros marqueur dans les soirées/concerts quand j’ai pas trop envie de sociabiliser et/ou qu’j’ai un truc dans l’zen. J’me cale dans un coin et je remplis l’espace petit à petit. Y’a toujours eu certaines personnes pour venir me dire « ah c’est cool ce que tu fais par contre les trucs que t’écris là, ça me branche pas », en mode grand sourire et pouces en l’air. Alors ça se veut sympa, ça peut générer des conversations intéressantes, mais moi ça me donnait surtout envie d’en rajouter, de rendre le truc plus radical, plus explicite. J’avais envie que mon dessin véhicule des trucs marqués et compréhensibles, pas juste « esthétiques, sensibles et/ou conceptuels ». Ca va vite que les gens regardent juste l’aspect graphique de tes dessins et qu’ils le dé-politisent complètement, du coup j’essaie de trouver des manières de rendre ça intrinsèquement présent dans ce que je fais, indissociable des positions et des idées que j’ai envie de continuer à véhiculer. Notamment les trucs anti-spécistes c’est un peu clivant, même quand tu zones dans des machins un peu gauchistes ; il y aura toujours des gens pour trouver que l’antispécisme ça leur parle qu’à moitié mais le reste c’est cool tu vois… C’est bon t’as écrit antifa c’est bien… J’ai envie de trouver le bon équilibre quoi, que ce soit politique mais pas trop premier degré non plus.

Tu t’en sers un peu comme un instrument de polémique alors ?

Ouais, de provoc, ça c’est le côté punk sûrement ; j’ai un dessin cartoon-punk un peu cliché, je l’assume et j’ai envie d’utiliser ce qui me paraît intéressant là-dedans. Le fait de mettre en avant des caricatures pour visibiliser des problématiques, d’utiliser des stéréotypes pour les détourner, les questionner, ça fait partie des trucs qui me plaisent le plus dans l’idée de faire de la BD, j’crois.

Est-ce que tu peux nous présenter la BD La couche ?

[TW : VSS, Suicide]

Je saurais pas clairement dire à quel style ça pourrait appartenir mais c’est une BD qui pour l’instant ne compte que le tome 0 d’une 160aine de pages, avec toutes les influences dont on a déjà parlé.C’est un peu du fantastique, ou un genre de SF à la Philip K. Dick ; des trucs qui parlent de dimensions parallèles, et de la frontière un peu ambiguë entre ce qui est réel et ce qui l’est pas, et du sens qu’a cette question aussi.J’ai commencé à la faire en 2019, suite au suicide de ma copine en 2018. On était tous les deux dans une dynamique de « noirceur » et de pessimisme suite à plein de réalités sociales un peu dures, de l’évolution de la situation politique à différents endroits, de l’impression qu’on ne va que vers du pire, jamais d’amélioration, et pour sa part, pas mal de traumas d’agressions sexistes et sexuelles…Mais aussi à force d’évoluer dans certains milieux qui mettent les préoccupations politiques et sociales au centre de leurs discussions, ça conditionne ta façon d’appréhender la réalité. Tous ces trucs me travaillaient déjà depuis un moment. J’avais envie de me foutre en l’air à l’époque, mais en même temps, paradoxalement, j’avais envie de l’aider à aller mieux, à avoir des moments de plaisirs et de bonheurs. On pouvait parler de manière très décomplexée de ce fameux jour où on en aurait fait le tour et qu’on se foutrait joyeusement en l’air à deux. Une espèce d’idylle nihiliste de dépressi.f.ves qui manquent clairement d’info’ et d’encadrement sur la santé mentale…Pour finir, elle l’a fait seule, à un moment où on avait déjà accumulés pas mal de mauvaises news, qu’on avait foiré une action de sauvetage animal et qu’elle me parlait de plus en plus de ses flashbacks traumatiques et de son envie de mourir. Je l’ai retrouvée pendue en rentrant un soir, à l’endroit où on était logé.es. Ça paraît absurde mais je ne m’y attendais pas, pas comme ça… Suite à sa mort je me suis retrouvé comme coincé ; j’avais envie de mourir mais en même temps j’expérimentais ce que ça faisait aux proches, de la claque et de la violence de la situation et du coup je ne pouvais plus le faire. J’étais un peu kéblo dans un espèce de purgatoire, la vie m’intéressait plus, j’avais pas envie d’être là mais je me sentais obligé d’y être. En plus de devoir supporter l’absence de la personne que j’aimais.

Je trouvais à ce moment là de ma vie qu’elle n’avait pas de sens, que c’était juste supporter inutilement des souffrances et de la déception, que ça ne s’améliorait pas ; enfin voilà un truc dépressif juste de manière générale. Dans les semaines qui ont suivies, j’ai eu un truc génial à la kétamine, en mélangeant de l’huile de cannabis, beaucoup d’alcool fort, et à peine deux traces qu’on m’a filé. Je suis tombé dans un coma de six heures, un K-hole quoi, où j’ai vécu plein de trucs un peu intenses et existentiels, la sensation de voir sa vie défiler devant ses yeux et tout ça, de voir le temps se ralentir, d’être confronté à des espèces d’entités Lovecraftiennes, les choses qui feraient qu’on est obligé.e.s de vivre, une sensation d’extrême lucidité existentielle… Ça m’a grave secoué et donné des bases d’idées graphiques. A ce moment je vivais à gauche à droite, mes potes étaient grave là pour moi juste après tout ça. Ça m’a fait me rendre compte que l’important au final, là dans ma vie, au-delà des enjeux politiques et tout, c’était ce que j’arrivais à appliquer directement dans mes rapports avec mes potes, et c’était génial ce qu’on créait comme soutien. Tous ces potes endeuillé.es qui se serraient les coudes tout en se sentant complètement largué.es par la vie. Du coup j’ai eu envie de faire une bd, de parler des rapports sociaux et de trucs un peu dépressifs, existentiels, et en même temps de tout cet aspect ludique et stimulant que je trouvais aux drogues psychoactives, qui peuvent te générer des hallucinations, qui rendent plus matérielle l’imagination. C’était pas une idée révolutionnaire de faire un truc qui se passe dans une dimension où les gens se retrouvent parce qu’iels sont tous défoncé.e.s, mais ça donnait un truc basique, simple, à utiliser comme dans les dessins animés satiriques, où après tu développes des personnages, un univers, et j’avais envie d’y rajouter des trucs un peu -c’est peut-être égocentrique, chaipa- plus émotionnels, des questionnements que j’avais à ce moment-là… Je pense que c’est chargé ce tome-là, il y a des passages où c’est trop, mais moi j’avais besoin de le faire, ça avait pas pour vocation de toucher le plus large public. J’avais envie que ce soit comme j’avais envie de le faire à ce moment-là et que ça parlerait aux gens à qui ça parlerait, mais c’était surtout adressé à mes potes. Le truc est fait et te plaît sous certains aspects et tu te dis vas-y je vais le diffuser chaque fois un peu plus largement pour voir comment c’est reçu. En vrai j’en suis satisfait, j’ai eu plein de chouettes retours avec des personnes avec qui je peux avoir des conversations. Je me rends compte qu’elles ont capté plein de trucs au-delà de réf’ faciles, aussi sur la compréhension de l’histoire, des thématiques, malgré des vies complètement différentes, des personnes qui parfois n’ont jamais pris de drogues ou au contraire d’autres qui ont du décrocher. Ça, ça me plaît.

T’as anticipé sur une de mes questions, qui était « Tu abordes des thèmes très durs, comme addictions, suicides, solitude, mais en même temps la solidarité entre éclopé.e.s, le réconfort de la drogue et du jeu » et je me demandais si tu avais nourri ton scénario d’expériences vécues, mais tu as déjà répondu à ça, la source c’est même l’expérience vécue…

Ahah oui je vous ai fait ma thérapie, là.

Et les personnages, ils sont inspirés de potes à toi, ou même de toi-même ?

Ouais, il y a des personnages différents, pour le perso’ « principal » (Dante) mes potes m’ont dit « ah mais c’est toi :! » Je pense que c’est pas dur à voir, j’avais envie de mettre un personnage central un peu simple, mais comme je voulais parler de ce qui m’arrivait à ce moment-là j’avais envie que ça fasse la toile de fond, il fallait que ça soit un prétexte pour explorer l’univers de La Couche. C’est un procédé narratif assez classique pour facilement expliquer et développer; et en même temps je trouvais intéressant l’entrée dans la thématique de la drogue et de la résignation à la défonce à travers des personnages qui ont des parcours différents. Je pense que je voulais aussi parler de pourquoi on a besoin de tel ou tel type d’espace pour respirer, comment la résignation et le pessimisme peuvent fédérer des perso’ différents. Un des angles de lecture de la BD c’est que ça se passe un peu dans la psychée du personnage principal, et que les autres c’est des incarnations de personnes qui existent vraiment dans le monde réel avec lui mais qu’il connaît pas à la base, et sur lesquel.le.s il projette des trucs, biaisés par ce qu’il traverse et ce qu’il ressent. C’est le quotidien sous kétamine, quoi, qui peut te donner une perception de la réalité cinématographique et très individuelle/subjective. Tu comprends rien à ce que les gens te racontent et t’es en train de projeter, de recréer complètement une autre conversation, tu comprends autre chose, t’as l’impression de comprendre mais en fait tout ça c’est toi qui l’interprète d’une certaine manière. Au final les autres personnages, c’est des parties de sa personnalité, mais qui s’incarnent dans des personnes extérieures qui ramènent leurs propres histoires, leur propres narratifs et leurs propres visions des choses (ou l’inverse, je sais plus). Je m’inspire forcément de mes potes et de moi-même, et pour certains c’est des mix de genre deux-trois potes, ou des compositions un peu romancées, ou d’anciennes expériences qui font que je peux me dire en écrivant vite fait la bd « ah comment il réagirait ce pote dans cette situation » et ça me permet de composer le perso.

C’est marrant ce truc sur les persos parce que quand je l’ai lue la première fois, je me suis dit ah forcément, le personnage principal c’est l’auteur. Mais après coup je me suis dit mais en fait nan, l’auteur il s’appelle Koala, t’as une vieille punk qu’est un koala dedans, en fait est-ce que ce serait pas plutôt la vieille punk qui fait de la radio libre, qui écoute the slits, qui engueule les gens mais qui, en même temps, est là pour eux ?

Les personnages sont aussi des facettes de ma propre personne, mais ce que permet justement la satire, c’est d’isoler des types de personnalités un peu stéréotypées, de permettre de développer un personnage un peu plus marrant parce que plus cliché. Avec Yx (Un.e requin humanoïde non-binaire) , il y a aussi les scènes queer punx (qui se développeront mieux au fil de la série) qui reflètent une partie de ma vie et de mes relations sociales et amoureuses, la visibilité que je veux participer à offrir à ces luttes, leurs imaginaires et leurs réalités, qui sont importantes pour moi ; et du coup ça me donne envie de développer des références à des dynamiques, dans des milieux, et qu’il y ait la possibilité d’en faire une satire, d’y mettre de l’auto-dérision. Ouais la vieille punk c’est aussi plein de potes pour qui j’ai beaucoup d’affection et en même temps tu vois le côté un peu vieux cons de la musique et de la scène.

Ouais mais qu’est un personnage adorable en fait!

Ouais ouais carrément ! <3

J’aimerais qu’on parle un peu des techniques, il y a plusieurs plans de réalité dans la bd, et ce qui est censé être notre réalité, c’est terne, et dans les moments de foncedé ça part en mode colorié/criard, même dans les moments de bad-trip. Je suppose que ça a été réfléchi ?

Oui clairement, peut être que c’est un peu facile, mais j’avais envie d’avoir des styles graphiques qui puissent changer d’un épisode à un autre. A la base, quand j’ai imaginé la série pour la première fois j’étais en pleine perche dans le sleeping de potes en écoutant de la zik. J’avais beaucoup d’idées différentes qui me venaient et j’avais envie de faire de La Couche un espace d’expérimentation graphique illimité. J’avais envie que le dessin change tout le temps, de case en case ! Ce que j’aimais bien avec la kétamine, dans l’effet visuel, c’était ce truc évolutif, t’avais l’impression que toutes les matières pouvaient évoluer continuellement. C’est une stimulation continue de l’imagination! Pour les personnages aussi, comme ils pouvaient ressembler à ce qu’ils voulaient, j’imaginais qu’ils changent même au fur et à mesures des cases, qu’ils se transforment en autre chose. Mais en fait pour pouvoir suivre ça rend le truc trop compliqué donc tu dois simplifier, mettre des bases compréhensibles. Les phases de la réalité, j’étais pas sûr que j’en mettrais, mais après j’ai trouvé ça important, ben j’ai choisi qu’elles soient un peu plus ternes. Pour exprimer ce ressenti d’une réalité perçue comme décevante. C’est un peu gribouillé par rapport aux phases où le personnage prend de prod’. Vu qu’il y a ce truc dans la diégèse de l’histoire que la réalité elle est avec ce trait simple, en noir et blanc, tu peux comprendre qu’au plus j’ajouterai de couleurs et le dessin sera complexe, au plus ça représentera des émotions et des perceptions de la réalité qu’on peut pas vraiment retranscrire en dessins mais qui sont juste ressenties. C’est une forme de graduation en fait.

Oui j’avais capté ce truc qui fait un peu baromètre de l’affect, que j’avais pas nommé ou analysé mais que tu ressens bien en lisant. Dans la bd il y a une sorte de carnet d’explication du fonctionnement de la couche et plus largement de la réalité, avec des références post-modernes où on entend parler de rhizomes, d’intersections ; est-ce que tu peux nous parler de tout ça ?

Quand j’étais dans ma phase de ge-dro intensive, je lisais et regardais beaucoup de docu’ de vulgarisation sur la physique quantique, le cosmos, l’univers, tout ça… des trucs de perché qui a l’impression d’être à la frontière de la révélation des secret de l’univers, un peu hahaha . Du coup je partais dans des délires sur des plans de réalité, j’élaborais des trucs dans ma tête, j’ai fait des ponts avec Deleuze que j’avais un peu lu depuis l’adolescence (où j’écoutais du Punk Rock avec des paroles plus intello’). Ce que j’aimais bien dans les trucs de Deleuze c’est que souvent j’arrivais pas à les lire en entier, parce qu’au final c’est un style littéraire où tu comprends pas vraiment tout -enfin j’parle pour moi hein- ce que tu es en train de lire, mais tu arrives à plus ou moins suivre un fil de la pensée de l’auteur, à saisir où est ce qu’on t’emmène. C’est presque de la poésie (ou d’la branlette, diront certain.es) Et surtout, juste avant de faire La Couche, j’ai lu Siva (la trilogie divine) de K.Dick et ça m’a grave marqué, parce que ça faisait écho avec des trucs que je ressentais ou comment je le vivais. Je trouvais que toute cette histoire sur lui, sa schizophrénie (bon, moi je suis pas schizophrène), comment il vivait son rapport à la réalité. C’est des trucs qui m’évoquaient ce que je vivais avec la kétamine, avec des trucs de dissociation et de sensation de réalités multiples, de doute sur soit-même et sur la crédibilité qu’on accorde à nos imaginaires, nos intuitions. Je trouvais ça cool aussi comme idée qu’il fasse son exégèse. Idéalement j’aurais voulu faire ça, avec beaucoup plus de pages, faire un gros dossier que les gens sont pas obligé.e.s de se farcir en entier. Iels peuvent le survoler, et comprendre qu’il y a une idée derrière et que si t’as envie de te faire chier tu peux la capter, mais que c’est pas si important que ça parce que toi-même tu peux interpréter aussi différemment. Ça permet d’introduire originalement le fait que les personnages que Dante rencontre, taffent déjà sur la conceptualisation de la dimension qui les entoure.

Le carnet m’a fait penser au livre qui explique les voyages temporels dans Donnie Darko, tu fais aussi référence à K. Dick où trône une page entière avec L’EMPIRE N’A JAMAIS PRIS FIN en grosses lettres… T’aimes bien la SF, quel genre de trucs et pourquoi ?

(oui ! Autre bonne réf’ Donnie Darko!) J’aime bien la SF, ouais mais je mets beaucoup de temps à lire donc j’en lis pas assez… J’me suis surtout initié à la SF quand j’étais môme avec Star Wars haha. Sinon j’aime bien Isaac Asimov, Catherine Dufour, Ursula Leguin… et aussi K. Dick pour ses explorations de scénarios. Il a une écriture pas incroyable, il écrit très mal les rôles féminins, mais je trouve qu’il développe des idées de scénar’ fascinantes qui reflètent ce qu’il vivait. Chez Asimov il y avait le côté scientifique que je trouvais intéressant, et le fait d’utiliser une base cohérente et matérialiste même si tu fais dans l’fantastique. Le style héroïque fantasy c’est pas un truc qui m’accroche à balle parce que le côté no limit de la magie fait que je crois moins à l’univers qu’on est en train de me présenter. Ça me permet de m’évader mais pas d’explorer le monde que j’ai autour de moi…

Est-ce que des gens t’ont aidé ou donné des conseils, ou t’as vraiment fait le truc tout seul, en mode dans ton coin.. ?

J’avais besoin, au fur et à mesure du processus d’écriture qu’il y ait au moins quelqu’un en qui j’ai confiance qui me donne son point de vue. Mon amoureux avait accès de temps en temps à mon avancement et savait me faire des retours. Il dessine super bien, fait du tatouage aussi mais pas trop de la bd. Et il est de très bon conseil <3 Il y a des passages que j’ai retirés ou transformés en une seule page, ses retours m’ont bien aidés à avoir un regard extérieur tout en continuant à faire les choses telles que je le voulais. C’est pas vraiment c’que j’imagine qui s’passe avec un éditeur. Une autre personne proche de Bruxelles (avec qui je vivais la plupart de mes perches sous ké’ quotidiennes, et qui prenait parfois notes de c’que je marmonais quand je flirtais avec le k-hole, c’qui m’a permis d’élaborer certains chapitres de la BD) me faisait quelque retours sur des pages que je lui montrais ou dont je lui causait mais j’avais pas envie de lui en montrer trop parce qu’elle était incluse dans les réalités dont traitait le bouquin et je voulais qu’elle voie le truc une fois fini, comme un cadeau aux potes quoi.

Kétamine, speed ou LSD ?

Combo Ké et LSD pour avoir des hallucinations vraiment très concrètes, mais… pour moi, j’veux dire. Je dirais pas aux gens « allez, consommez de la drogue, c’est trop fun » surtout que ça peut être un peu intense parfois comme mélange… Kétamine, de base. Et speed, pour s’activer pourquoi pas, mais les amphèt’ c’est pas mon gros dél’. Je préfère ce qui fait planer, réfléchir, tourner dans sa tête…:)

Explosions de couleurs, manière de pousser la réalité et jouer. La drogue, c’est bien ou c’est mal ?

C’est justement ma question, et il y a pas de réponse toute définie ni immuable. Ça m’a aidé, cette drogue en particulier, à traverser mon deuil par exemple, pour l’aspect anti-dépresseur du truc qui me permettait d’analyser ce que je ressentais, en accompagnant l’envie de décrochage du réel, en allant au bout de la logique nihiliste que je m’étais forgé, tout en adoucissant je sais pas si c’est le bon mot) la charge émotive, la tristesse. C’est comme le vomi avec l’opium ; avec la ké’, mes larmes sortaient toutes seules et ça faisait du bien. Mais j’aurais pu avoir un autre encadrement, psychiatrique qui m’aurait peut-être aidé, ou peut-être pas. Ça dépend dans quoi tu tombes, dans quel pays, quelle réalité sociale, quelles personnes tu as en face de toi (depuis, j’ai connu des psychologues et psychiatres de qualités très variables…)Ça m’a aidé à traverser cette période, j’en vois les aspects positifs mais aussi tous les aspects négatifs. Depuis longtemps j’étais entouré de personnes qui plutôt étaient dans la défonce ou qui galéraient à sortir de certaines consommations, et il y avait aussi les quelques potes qui en mourraient, et ça a continué. Tu peux rien dire d’intéressant, ni venir critiquer ce truc si tu n’essaies pas de comprendre pourquoi est-ce que les gens ont envie de se défoncer et ce que ça a pu leur apporter. C’est plein de questions que je me pose pour lesquelles j’ai pas de réponse définie non plus. Ce que j’ai envie de faire et que j’ai toujours eu envie de faire en faisant des BDs sur le long terme, c’est d’afficher l’évolution de ma pensée sur un sujet.

Mot de la fin ?

Allez checker 6guë, il fait le rap. Et ça défonce.

🏴‍☠️antifrance, de maurras aux autonomes en passant par superdupont🏴‍☠️

[extrait de l’apériodique coutoentrelesdents n°1]

Il y a maintenant pas mal d’années je suis tombé sur un appel photocopié à l’encre venimeuse, un tract plein de rage et de poésie intitulé « antifrance vaincra » . Une sorte de cocktail molotov littéraire jeté depuis les marges à la face du monde, 25 lignes de vitriol pleines d’humour noir qui proposaient à son lectorat de s’organiser et d’agir contre la vie monotone et oppressante :

« déserte la france et ses foules de vie solitaire, rejoins l’antifrance et ses styles de vie scandaleux »

Ces quelques lignes parlaient déjà à de nombreuses personnes qui marchaient hors des clous, vouant aux gémonies l’organisation dominante et formant cet antimonde que le géographe roger brunet tentera de définir dans les années 80 (un espace échappant à tout contrôle institutionnel). Le tract vit le jour autour des années 2000, et depuis le cri d’antifrance vaincra a résonné dans de nombreux corps et lieux, il est donc plus que temps d’esquisser l’histoire (approximative) d’un terme qui existera probablement tant que la france existera !

A la fin du XIXéme siècle, une poignée de pré-fascistes commença à désigner tout ce qu’ils considéraient comme une menace pour la nation par le terme anti-france. Charles Maurras (l’idéologue de l’action française, une organisation royaliste) la définissait comme les « quatre états confédérés des protestants, juifs, francs-maçons et métèque ». Le terme se diffusa en fédérant l’extrême-droite nationaliste autour d’un ennemi commun fait d’une multitude d’ennemis intérieur. Ainsi, il servira à désigner les pacifistes durant la première guerre mondiale, puis les juifs, les communistes, et les francs-maçons, à qui pétain attribuera la défaite de 1940 en les nommant anti-france… Pourtant on verra aussi l’expression dans les pages du figaro, de combat ou de l’humanité durant les années 30 et l’occupation, le terme servant cette fois à qualifier les fascistes et la collaboration, voire à dénoncer le racisme ! L’origine de l’expression reste fondamentalement réactionnaire, principalement utilisée par l’extrême-droite durant ses premières décennies d’existence avec de rares exceptions du côté de la gauche nationaliste et autoritaire, comment a-t-elle fini chez les libertaires?

« Tremble anti-France! Oui tremblez ennemis du béret, pourfendeurs du camembert, jaloux de la baguette! Car voici le grand retour du défenseur des traditions, héraut de nos valeurs, sauveur de la patrie: le grand, le beau, l’immense et surpuissant Superdupont! »

Marcel Gotlib est un auteur de bande dessinée ayant notamment oeuvré pour les journaux pif gadget (journal de bd pour la jeunesse du pcf) et fluide glacial (revue « d’humour » à la tonalité libertaire). Enfant de déporté d’origine juive, hongroise, roumaine et prolétaire, contraint à porter l’étoile jaune durant sa jeunesse, il développe une oeuvre satirique marquée par les préoccupatoins soixante-huitarde. En 1972 il crée avec Jacques Lob la bd super dupont, une parodie du comics américain superman mettant en scène un héros patriote et chauvin armé de baguette, pinard et camembert et combattant…l’anti-france!

Le concept sortait alors du champ lexical de l’extrême-droite pour être récupéré à force de sarcasme par leurs opposants. Si super-dupont incarne toute l’absurdité du nationalisme (il refuse d’être dessiné à l’encre de chine, consomme 3 paquets de gauloises par jour…), l’anti-france de gotlib est un vaste fourre-tout improbable mélant entre autre le peep show, le ketchup dans les frites, la grève des éboueurs, les chiottes sans pq, le fromage plâtreux, et tournant systématiquement en ridicule la xénophobie et le nationalisme franchouillard. La bd connu un certain succès, jusqu’à être récupérée par ceux-la mêmes qu’elle dénonçait au grand dam de ses auteurs, le personnage de super dupont ayant été utilisé par le front national durant ses campagnes. En 1982 sd est adapté en comédie musicale, le grand orchestre du splendid joue alors la première d’une série de chansons évoquant l’anti-france. Son refrain à la faute de français amplement intentionelle annonce : « l’anti-france vainquera » !

« Antifrance vaincra par un djihad de classe »

Cette vision sarcastique et détournée de l’anti-france est similaire à celle que l’on retrouve sur le tract anti-france vaincra. Tout porte à penser que la ou les personnes l’ayant rédigé ont passé du temps avec les bandes dessinées de gotlib sur les genoux, l’humour noir résonnant toujours plus fort à mesure que le système, et la france en particulier, affirmait sa nature oppressive et excluante. On se rend bien vite compte en lisant super dupont que les rangs de l’anti-france sont faits de tout ce qui ne rentre pas dans la vision idéalisée, réactionnaire et uniforme qu’impose le nationalisme. Au final, qu’on le veuille ou non et comme l’affirme le tract, l’anti-france est dans l’air, comme conséquence de la domination. Cette lutte imposée par le patriotisme est resituée dans un contexte plus global : l’anti-france est une section de l’anti-monde, ce qui implique un anti-nationalisme qui traverse la planète. L’une des qualités de l’appel repose dans cette définition diffuse du concept, l’antifrance n’existe pas mais elle est partout, elle est déjà là puisqu’on la rejoint, d’une certaine manière elle n’a pas besoin de toi mais tu as besoin d’elle: « le seul risque que tu cours c’est de ne pas mourir pauvre ». Elle est insaisisable, parce qu’elle est précisément ce qui est impossible à saisir. C’est une perception et une façon de vivre, à rebours des chimères du parti de l’ordre et de l’oppression. Elle est cet autre côté du miroir que quiconque traverse en se défaisant des normes et des injonctions sociales. Anti-france nommait alors ce que beaucoup vivaient, par choix ou non, découvrant ne pas appartenir aux « foules solitaires » mais être réuni par la haine de conditions de vie absurdes et dégradantes. L’utilisation de la notion par des anarchistes repose sur la fameuse pratique du détournement tout en résonnant avec celle de réappropriation de l’insulte courante dans les luttes sociales (queer, salope, ou bien coutoentrelesdents ;)), l’aspect élastique du concept est aussi utilisé par gotlib et afv car il leurs permet l’ouverture d’un bric-à-brac, ou pour le dire autrement il offre un espace commun à des formes de vie disparates rejeté.e.s par l’idéologie dominante.

« agis ! »

Le tract lança la dynamique. Ces mots parlèrent à de nombreuses personnes qui s’en emparèrent et le terme fit son chemin dans les conversations, dans les chansons, sur les murs, à travers les émeutes, les squats, les zads, les occupations…Si récemment on peut voir que l’extrème droite le réutilise avec tout le sérieux qui la caractérise (lol), il n’est pas improbable de croiser un graffiti annonçant la victoire de l’anti-france ! En attendant ce grand soir et son petit matin, on peut toujours aller faire un tour dans l’antimonde et ses productions !

Petite liste pas exhaustive des fois ou on a croisé le terme dans nos pérégri(anti)nation:

chansons:

n2k antifrance vaincra par un djihad de klasse album t’étonnes pas si ça détonne en bas d’chez toi 2011

collectif la vermine chronique de l’antifrance album echos de l’epoque 2016

anarchistnoiseclub antifrance vaincra album incendiaire 2013

lebrac antifrance ep rude b*boy 2021

bière sociale antifrance vaincra album jusqu’à quand 2024, demo 2012

rage against the kebab antifrance démo 4 titres 2008

boe strummer– brigade anti-france  ep brigade anti-france 2021

littératures:

alex ratcharge raccourci vers nulle part

pierre ferrero cauchemar

jacob taubes eschatologie occidentale

1194 si procès verbal 2020/27/paul/06

asymétrie l’intégrale

 

 

🚓schmitts à la porte donc j’rajoute des étais🚓

Un jour sur la table du salon traînait un petit cahier de coloriage intitulé « coloriage pour toto vnr » ! Intrigué.es on feuillette la chose offerte à un.e ami.e de la bulle (tu sais ce chouette collectif qui garde tes enfants pour que tu puisse aller aux manifs), pour tomber sur une adorable image de  chat.te.s qui défendent leurs maisons occupées !

Dans un coin de la pièce, un petit cadre déclare :  « schmitts à la porte donc j’rajoute des étais » , une phrase rappée par shaihulud dans son featuring avec lebrac intitulé in girum imus !

On cherche à rencontrer la personne à l’origine de cette petite merveille, @sarcasme.ou.ca.casse, pour apprendre qu’elle n’a jamais écouté le son ! En fait elle a connu la phrase d’un de ses adelphes, toto, qui en avait fait une chouette lino qui trône désormais sur le frigo 🙂

 

La phrase les a fait assez tripper pour que sarcasmeoucacasse en fasse un meme avec des images du seigneur des anneaux, bien vu ><

 

 

 

 

 

on veut pas trop teaser mais on en a entendu dire qu’il serait bientôt possible de sortir ses crayons de couleur, d’imprimer et choper le cahier dans les infokiosques !

Dans tout les cas ça fait grave plaisir de voir circuler les trucs qu’on fait et découvrir ce que font d’autres gens de leur côté pour détruire ce vieux monde d’oppressions !

🦎Tendresse, rage et papier : entretien avec la Lézarde, sur les quais de l’hôtel de ville à Paris 📚

On a une boîte plutôt dédiée aux fanzines et aux stickers, deux autres livres politiques souvent de petites maisons d’édition indépendantes mais aussi des trucs anciens ou juste vraiment bien, et la dernière boîte c’est la boîte « Prix libre » où y a un peu toute sorte de livres et plein de brochures et d’affiches. On a fêté nos 1 an en juillet ! Ça s’appelle la Lézarde parce que sur le blason des bouquinistes il y a un lézard, qu’on est féministes et qu’on aime bien cette image de la fissure – déjà celles de nos boîtes rafistolées un peu à l’arrache –  et puis surtout ça correspond bien à ce qu’on essaye de faire : quelque chose entre faire craqueler le vernis du centre ville et trouver la faille là ou la vie peu s’immiscer et fleurir.

 

Pourquoi tenir une librairie/infokiosk ?

Pour faire exister d’autres imaginaires, faire entendre d’autres voix que celles des vieux types qui nous ont bourré le mou assez longtemps. Je me suis beaucoup politisée avec les brochures au début, et j’y trouve souvent des réponses que je cherche, que ça soit à des questions pratiques ou existentielles, donc je me sens utile en faisant ce travail de diffusion. A part ça la Lézarde c’est aussi un endroit de sociabilité, on dispose les chaises pour que les gens puissent se poser, que ce soit pour bouquiner, shlagger, ou discuter avec nous, de politique mais pas que. C’est une façon de créer du lien, de regagner du terrain même si c’est rien qu’un bout de trottoir, et puis aussi de se rendre la vie plus belle.

Quel est l'intérêt principal de cette pratique à vos yeux, et est-ce que vous y cherchez toustes la même chose ?

T : Tu veux dire dans le fait de tenir une bouquinerie sur les quais spécifiquement ? C’est un kiff de pouvoir prendre cette place au milieu du trottoir, y a notamment les affiches et les stickers qu’on met beaucoup en avant et qui permettent de balancer des slogans percutants au milieu de ce flux de gens, et celles et ceux qui veulent peuvent fouiller un peu plus. Après avoir longtemps tenu des stands dans des évènements militants, ça fait du sens pour moi d’avoir trouvé un espace pour faire ça en dehors. 

A : Pour ma part, j’y aurais jamais pensé sans T. C’est elle qui m’a balancé un jour, quelques heures après qu’on se soit connues: « ce serait trop bien de reprendre des boîtes de bouquinistes sur les quais de Seine avec une ekip de gens deter », moi ça m’a parlé direct ! – Puis plus de nouvelles pendant 3 ans, jusqu’au jour où elle m’a dit que c’était bon, elle avait réussi à choper l’emplacement et les boîtes, qu’il lui manquait juste une ekip quoi. J’ai checké mon agenda, on a fixé une date d’ouverture et avec l’aide des potes en 10 jours on a réussi à tenir le truc. Moi l’idée de zoner sur les quais, parfois solo – ça permet des rencontres cools, des discussions intéressantes (pas toujours vous imaginez bien) et aussi finalement de bouquiner tranquille, chose que j’ai du mal a faire dans le lieu où j’habite – et souvent avec les potes qui passent, bah on se ré approprie la zone, on squat le quai, on discute intime et politique – on raconte des conneries aussi bien sur, on boit des coups et on se marre bien ! C’est toujours des bons moments. On a fait aussi des petits événements :  le dernier en date c’était la présentation de livre  » du taudis au airBNB : petite histoire des luttes urbaines à Marseille » avec Victor Collet, avant ça y’a eut l’apéro de ré ouverture estivale en featuring avec « Communes Brochures », une mini expo de la collagiste et photographe Alice de Montparnasse ou encore un apéro dédicace avec Alex Ratcharge qui faisait des punk-portraits des gens ! 

On essaie de mettre en avant des trucs qui nous parlent, des gens qui sortent des trucs qu’on trouve cools et qui ont pas forcément des espaces pour en parler en pleins centre de paname. Je m’égare un peu, mais pour moi c’est ça l’intérêt principale de tenir ces boîtes, tout ça autour de bouquins, de zines, de brochures, d’affiches qui parlent de ce qui animent nos luttes et nos vies de tous les jours.

Comment est-ce que vous approvisionnez les boîtes ?

On crée pas mal d’affiches et de stickers nous même. On imprime, on plie et on agrafe nos brochures avec amour (et l’aide de nos potes!) et pour les livres et fanzines c’est un peu la quête perpétuelle : tantôt on achète directement aux gens qui fabriquent ou éditent, tantôt c’est elleux qui en apporte. On fait des festivals d’édition, on tombe au hasard sur des trucs qu’on trouve super, et la page Instagram nous fait aussi découvrir des choses qu’on aurait pas su trouver autrement. Y’a aussi les potes qui font du tri dans leurs biblis bien sur. Et puis l’industrie du livre est foutue de telle façon qu’énormément de livres qui sont produit finissent directement au pilon, alors on cherche toujours des stratagèmes pour en récupérer: les défraîchis (dès qu’un livre est un tout petit peu abimé ou tâché), les services-presse (les livres qui sont envoyé à la presse dans l’espoir d’y être chroniqués), une caisse de livre qui a pris l’eau chez un éditeur… Y a aussi des personnes qui font partie de l’univers des bouquinistes et qu’on appelle des « courtiers ». C’est des gens qui parcourent les quais, en général avec des cabas ou une valise à roulette et qui vont de bouquiniste en bouquiniste pour vendre des vieux livres. Des fois y’a des trucs biens !

Est ce que c'est un gagne-pain ou vous l'envisagez différemment?

Pour avoir les boites il faut être auto-entrepreneur, déclarer des revenus tous les mois etc… mais sous la surface on gère ça sur le modèle d’une asso. On se défraie et on essaye de payer convenablement les auteurices de fanzines et les petites maisons d’éditions à qui on achète parce que ça nous parait important de les soutenir, tout en vendant les trucs le moins cher possible derrière parce que le but c’est quand même de diffuser un max. Ce qui est super c’est qu’on paye pas de loyer pour les boites ! Du coup c’est un petit business  mais ça reste rentable. On utilise les benef pour racheter des livres et réimprimer des stickers et des affiches dont on en distribue une partie gratos à des collectifs. Parfois même on imprime des trucs à leur demande d’autant qu’on a acquis des compétences et un reseau de bon plan dans la matière. On aime bien cette idée qu’on vend des imprimés de lutte pour financer les impressions de la lutte même si on se limite pas forcement qu’à ça. D’ailleurs c’est l’occaz’ de dire que si on est essentiellement 2 à faire tourner la boutique pour l’instant, ça serait pas la même si il y avait pas tout le réseaux squat qui nous permet de crouter et d’avoir un toit en Ile-de-France sans devoir chercher à générer des thunes coute que coute. Ça représente une quantité énorme de ‘travail gratuit’ sans lequel La Lézarde pourrait pas fonctionner pareil.

Est ce que les implications changent selon l'endroit ou tu amènes ton infokiosk ?

Clairement ! Comme la plupart des gens qui passent sur les quais ont jamais vu d’infokiosk, c’est assez rare les gens qui vont vers les brochures plutôt que vers les autres trucs qu’on propose. On essaye de mettre les titres les plus accrocheurs en avant, de suivre l’actu (genre en ce moment on a surtout mis en avant des trucs en soutien à la Palestine et contre le racisme et les JO). Mais j’ai l’impression qu’on pourrait faire mieux, peut être axer notre sélection plus sur les guides pratiques, la santé mentale, et enlever un peu des trucs de niche pour turbo-anar… On aimerait bien aussi trouver la technique pour imprimer les couvertures sur des papiers de couleurs parce qu’un infokiosques ça s’abime hyper vite et des vielles brochures froissées tout en noir et blanc ça donne pas très envie quand on connait pas. Si quelqu’un a une technique pas trop chronophage pour faire ça, écrivez-nous !
Pour ce qui est des livres, au début on avait pas mal de livres neufs mais on a vite compris que sur les quais les gens cherchent surtout des livres pas cher donc même si on a super envie d’avoir les dernière sortie des éditions des Communs ou Hors d’Atteinte, on prend notre mal en patience et on fait ce qu’il faut pour trouver des livres à moins de 10€.
Dans notre boite prix libre y a de tout par contre (enfin… pas des trucs de droite), Victor Hugo, Galimard… ça permet de rencontrer des gens qui sont peut-être intimidéEs par tout ces trucs de maisons d’édition indépendantes.

Est ce que les personnes qui s’arrêtent et montrent de l'intérêt se ressemblent, ou au contraire les profils sont divers ?

C’est divers ! C’est sur que quand des jeunes personnes queer passent par là par hasard, on a souvent des réactions hyper enthousiastes. Mais y a aussi pas mal de gens de la génération de nos parents qui s’enjaillent pour ce qu’iels voient, et y a même des touristes qui sont refaitEs de tomber sur nous.

Vous avez des habitué.e.s ?

Comment se passe la cohabitation avec d'autres bouquinistes, notamment du point de vue de la couleur politique qui se dégage des boites mais aussi de pratiquer le prix libre et donc remettre en cause les rapports marchands ?

Est ce qu'il y a déjà eu des réactions hostiles ou une volonté de vous dissuader de la part de passants en désaccord politique ou de flics ?

Que conseillerez vous à des gens qui veulent lancer des projets similaires ?

un grand merci à l’équipe de la lézarde pour cet échange de questions-réponses réalisé en 2024 !

📚Quatre livres qui parlent de luttes, de vies d’exil, de rapports de domination, et de répression à travers les siècles

Thérèse philosophe, attribué à Boyer d’Argens

Attiser la curiosité intellectuelle en stimulant les sens, c’est la théorie des libertin.e.s du XVIIIème siècle qui peuplent ce bouquin. Alors c’est aussi bien les sens dula lecteur.e.s que ceux de la jeune Thérèse qui sont titillés par ces histoires de cul et de discussions philosophiques, et ça donne un aperçu plutôt fidèle de qui étaient les libertin.e.s, en tant que penseur.e.s subversifves de leur époque. Chose étonnante (mais pas tant que ça), quand le récit s’abîme dans des scènes qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de zones grises ou de situations d’agression, ce n’est que pour aborder l’importance du consentement (sans que le mot soit prononcé), pour décrire les processus de manipulation, d’abus de dominant.e.s sur dominé.e.s ; dans un contexte pourtant bien éloigné de ces questions. C’est un roman d’initiation à la critique sociale, à l’autodétermination individuelle, et à une sexualité choisie ; à travers un récit principalement peuplé de curés libidineux et de femmes – elles aussi libidineuses – qui résistent au sort malheureux que la société voudrait leur imposer.

Elise ou la vraie vie, Claire Etcherelli (1967)

Dans les années 60, Élise, empêtrée dans une vie monotone et sans saveur à Bordeaux, choisi de suivre ce frère avec lequel elle ne s’entend pas vraiment, à Paris. Il a des idées de révolution, il a une folie existentielle qui le rend intéressant, mais il est pénible avec son entourage, et a tendance à la déconsidérer. Pourtant, elle le rejoint et se retrouve à partager la vie des ouvriers algériens d’une usine citroen à porte d’Ivry ; elle assiste impuissante au racisme qu’ils subissent de la part de français.e.s qui voudraient la prendre comme complice, et s’implique dans les luttes qu’elle est venue rejoindre. Un film du même nom (qu’on n’a pas vu) a été réalisé en 1972 à partir de ce roman.

Les javanais, Jean Malaquais (1939)

On est plongées dans les préoccupations quotidiennes de javanais.es, de putes et de gratte-papiers, de flics et de notables qui gèrent le coin, de bistrotières locales et de leurs petits intérêts mesquins ; avant même de savoir où ça se passe, ni à quelle époque. On se croit sur une île éloignée de tout ce qu’on connaît ; les gens parlent un français qui mêle des dizaines des langues, et l’auteur aussi. Une jeune femme en pleine crise mystique, accompagnée d’un lapin, se prend pour une princesse russe persécutée par staline, à côté de mineurs qui ont fui la répression policière pendant des grèves et ont des idées de révolte. Un allemand voyage sans but et descend chaque jour dans la mine pour creuser en compagnie des autres, pendant que sa voisine accumule patiemment des économies sous son plancher. Un docteur sans patient.e.s et désavoué par sa famille fini par soigner des blessures de bagarres absurdes, et des mineurs meurent un jour, ensevelis par un éboulis. Mais toustes errant.e.s qu’iels sont, iels ont atterri là, et ont créé Java, cet îlot surréaliste qui malgré sa capacité à déterminer son propre espace-temps, est ballotté par les aléas existentiels et les décisions prises en haut lieu les concernant. Un chouette livre, qui ne tient en aucun cas sur le suspens ou une quelconque intrigue qui serait bien ficelée, mais reflète la mentalité de la norme et des marges, parle des fantasmes plus ou moins odieux qui s’agitent sous les crânes ; le tout dans un style ébouriffant !

Le goût de l’émeute, manifestations et violences de rue dans Paris et sa banlieue à la « belle époque », d’Anne Steiner (2012)

On avait déjà apprécié son livre Les En-dehors, sur les anarchistes individualistes début 20ème. Ici, le récit historique -documenté, fourni et illustré- qu’elle fait des cinq contextes émeutiers qu’elle a choisi d’exhumer, est passionnant. Il permet à la fois de connaître le déroulé et les raisons de révoltes réprimées dramatiquement comme celle des terrassiers de Draveil-Vigneux (1908), mais aussi de relativiser l’ampleur et la forme que prenaient les mouvements sociaux de cette époque, notamment avant le droit de manifester obtenu en 1905. Chaque chapitre pourrait constituer une brochure, et à défaut d’un accès libre à ce texte pour l’instant, on essaiera peut-être de transformer au moins l’un d’entre eux pour l’infokiosque, car la connaissance des luttes qui nous ont précédés nous paraît importante.

👨‍🎓« N’étudiez pas les pauvres et les sans-pouvoir : tout ce que vous direz sera utilisé contre elleux ».👨‍🎓

Ça faisait longtemps que je n’étais pas tombée sur une critique de ce qui est produit dans le cadre de l’université, d’un point de vue subversif. Bien plus vivace il y a quelques années, ce regard sur la production de savoir est tombé en désuétude, rendant plus acceptable l’idée de faire carrière sur les luttes. Souvent au nom de la « survie », ou du fait qu’il « faut bien s’en sortir »… Mais qui produit ce genre de rhétorique, et dans quel but ? Est-ce qu’il s’agit vraiment de survivre (un toit, de la nourriture, la santé ?), et est-ce que les personnes qui produisent des données sur les opprimé.e.s ont réellement intérêt à ce que les différents systèmes de domination s’écroulent ?

Plusieurs personnes ont découvert avec déception, après des années au côté d’une amie, la thèse universitaire que cette dernière avait produite sur elles et leur cercle d’agitation politique en mixité choisie. Sociologue en formation, cette personne s’est introduite dans leur espace d’organisation pour étudier les modes de vie et de luttes de celles qui sont devenues ses proches à l’occasion de ce terrain de recherche, pour l’université et contre un salaire, pour certaines avec leur accord, mais pour d’autres souvent à leurs dépends et parfois même contre leur volonté.

Ayant moi-même porté un grand intérêt aux sciences sociales et humaines, j’ai d’abord été réticente face à cette lecture. La nécessité de comprendre l’organisation de la société, mais aussi ses marges et les mouvements contestataires, m’a toujours paru importante. La notion du point de vue situé issue des sciences sociales, notamment des subaltern studies et de l’anthropologie, est venue s’opposer à la production de recherches complètement biaisées par un regard trop extérieur et dominant, et les chercheur.e.s ont adapté leurs approches à cette nouvelle épistémologie*. Cette évolution de la méthode de recherche a peut-être contribué à mieux comprendre certaines formes sociales, mais elle n’a pas décentré le lieu de la production du savoir. Le savoir, celui qui fait autorité, reste celui produit par l’université, même quand il parle de nos propres vies, même quand celleux qui le produisent n’ont manifestement rien compris à leur sujet d’étude

Le problème, soulevé par les autrices de ce petit guide d’autodéfense face aux chercheur.e.s, est le suivant : connaître, oui, mais dans quel but ? Étudier les pauvres, pour mieux les comprendre ou pour mieux les dominer et contourner leurs résistances ? Pourquoi étudier pour l’université des collectifs de lutte, si ce n’est pour en révéler les mécanismes, les stratégies et les difficultés, et donc les offrir en pâture à la répression et l’infiltration policière et étatique ?

Toutes les formes de récupération des luttes par le capitalisme et des systèmes de domination sont le fruit d’une meilleures connaissance de celles-ci par celleux qui veulent les maintenir. Il ne s’agit pas de vivre dans le secret pour échapper à la surveillance, au greenwashing, au pinkwashing ou autre ; mais il s’agit de ne pas se laisser déposséder de nos vécus et de nos initiatives politiques par des gens qui ne feront jamais rien de plus que nous observer, pour une gloriole personnelle et un peu d’argent.

Ce texte, édité sans code-barre ni prix, par le mystérieux Fond de la casse en février de cette année, est disponible gratuitement sur internet et en physique dans des infokiosques.

Pour le lire, c’est par ici.

*épistémologie : la science qui s’observe elle-même et s’auto-critique, dans le but d’être plus exacte

 

👁️‍🗨️détournement, punk et hip hop, une histoire commune, extrait de l’apériodique n°1📰

extrait du numéro 1 de l’apériodique coutoentrelesdents dispo gratuitement ici

Si lecatégories permettent de rendre intelligible la réalité, elles séparent et distinguent bien souvent des formes et processus bien plus liés qu’on ne fini par le croire. Il en est de même pour les catégories musicales, qui émergent au gré des fantaisies humaines et dont bien des expériences sonores floutent systématiquement les contours. C’est le cas du punk et du hip-hop qui paraissent aujourd’hui appartenir à deux univers bien distinct,et qui pourtant partagent de nombreux points communs et connexions depuis leurs origines.

 

Le capitalisme occidental d’après la seconde guerre mondiale devient celui de la société de loisirs et de consommation. Loin de disparaître, les rapports d’exploitation sont difficilement masqués par la mise sur le marché de mille promesses de plaisirs qui remplissent à peine leurs fonction de divertissement. Au contraire elles ouvrent de vastes brèches de frustration dans les existences, tel un supplice de tantale moderne… Des processus entamés bien avant le début du siècle s’accélèrent, et à mesure que la culture bourgeoise s’étend, les phénomènes contre-culturels dérivent lentement des avants-gardes politico-artistiques à des mouvements massifs irrigués par des pratiques et désirs de subversion, de refus des contraintes, de jeu, de partage, d’invention, et notamment de détournement comme l’entendaient les situationnistes. De 1957 à 1972 l’internationale situationniste posa les bases de ses analyses et stratégies révolutionnaires pour changer le monde et bouleverser la vie quotidienne. Son action a irrémédiablement marqué cette organisation de la vie qu’elle avait nommé la sociétéspectaculaire marchande.

 

Les années 70 voient l’émergence du punk et du hip-hop aux confluences d’une multiplicité  de facteurs, notamment l’arrivée dans les foyers de technologies musicales massivement diffusées. Dans le sillage et en opposition avec les mouvements contre-culturels précédents (mods, hippie, rasta, etc), de nouvelles pratiques sonores accompagnent de nouvelles manières de vivre, exprimant un désir de distinction et de réalisation individuelle et collective à contre courant des injonctions et propositions dominantes. A contre-courant certes, mais n’hésitant pas s’approprier les codes et les outils imposés ! Si il est compliqué de dater précisément la naissance de ces mouvements sociaux, ils se caractérisent par des usages particuliers dont le détournement sauce situ s’avère être une pierre angulaire. Dans le n°1 de la revue Internationale situationniste paru en juin 1958, le détournement est défini ainsi : « S’emploie par abréviation de la formule : détournement d’éléments esthétiques préfabriqués. Intégration de productions actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu. Dans ce sens il ne peut y avoir de peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste de ces moyens.» . Utiliser une production pré-existante dans le but d’exprimer sa subjectivité radicale, de faire la critique en acte d’un monde mortifère pour jouir sans entrave, voilà en quoi le punk et le hip-hop ont pu être situationniste !

 

 

L’arrivée des instruments rock dans les foyers permet de rejouer les chansons des stars, mais aussi d’ouvrir la brèche annonçant leur dépassement. « Apprend 3 accords et forme un groupe » sera l’une des idées punk mise en pratique par des millions de gens jusqu’à aujourd’hui, tordant les classiques du rock’n’roll en poussant la distorsion, frappant rageusement les fûts, beuglant des paroles existentialistes, loin des musiques et attitudes dominantes. Une pléthore de hits célèbres sont passés à la moulinette keupon, et à mesure qu’il se fait intégré au monde de la marchandise le mouvement s’autonomise et se radicalise. Le son est poussé dans ses extrémités, et le détournement des technologies sert de nouvelles interactions tournées vers l’émancipation.

 

Combien de fanzines édités en faisant la perruque, la photocopieuse patronale servant à imprimer de séditieuse paroles en catimini, et combien de cassettes copiées et échangées, traversant le monde pour former un vaste réseau basé sur l’entraide et l’échange ? Si l’esthétique musicale puise dans les classiques du rock pour les détourner, on retrouve aussi la technique sur le plan visuel avec les collages qui se répandent et consistent à découper des images et les associer pour en produire d’autres. La société capitaliste idéalisée dans les magazines finit malmenée et critiquée à travers de chimériques assemblages tirés de reportages et de publicités. Des vignettes de comics dont les situationnistes ont changé le texte en passant par les collages punk, jusqu’aux memes qui nous amusent en ligne, le xxème siècle a été le théâtre de plusieurs tentatives de réappropriation de la culture visuelle dominante à des fins subversives… mais c’est une autre histoire!

 

Combien de fanzines édités en faisant la perruque, la photocopieuse patronale servant à imprimer de séditieuse paroles en catimini, et combien de cassettes copiées et échangées, traversant le monde pour former un vaste réseau basé sur l’entraide et l’échange ? Si l’esthétique musicale puise dans les classiques du rock pour les détourner, on retrouve aussi la technique sur le plan visuel avec les collages qui se répandent et consistent à découper des images et les associer pour en produire d’autres. La société capitaliste idéalisée dans les magazines finit malmenée et critiquée à travers de chimériques assemblages tirés de reportages et de publicités. Des vignettes de comics dont les situationnistes ont changé le texte en passant par les collages punk, jusqu’aux memes qui nous amusent en ligne, le xxème siècle a été le théâtre de plusieurs tentatives de réappropriation de la culture visuelle dominante à des fins subversives… mais c’est une autre histoire!

 

 

A travers l’histoire du punk et du hip-hop on a toujours pu voir leurs protagonistes se fréquenter et s’influencer mutuellement. Ce n’est pas exclusif, et les deux styles sont résolument tournés vers d’autres scènes musicales plus ou moins émergentes comme par exemple le reggae ou l’électro. Une attitude d’ouverture partagé et une curiosité inhérente qui jette des ponts entre de multiples styles qu’on essaiera plus tard de nous vendre comme antagonistes. Les clash rencontrent fab five freddy, malcolm mac laren a sorti plusieurs disques de scratch au cours des années 80, les beastie boys ont commencé en jouant du punk hardcore, et que dire du perfecto, des bracelets et du collier à clous de grand master flash dans le clip de the message ? Dès le départ et jusqu’à aujourd’hui il y a eu de nombreuses réalisations hybridant les deux « styles », mais aussi un dialogue constant des esthétiques et des pratiques de productions et de diffusions.

 

L’un et l’autre des mouvements furent confrontés très vite à la question de leur récupération par le même monde contre lequel ils s’étaient construits. Dans cette guerre qui voit s’affronter les aspirations d’autonomies et de joie à la société de contrôle et d’exploitation, le punk et le hip-hop auront été tout autant les derniers gadgets à la mode qu’une menace pour la société, mais ceci, aussi, est une autre histoire !

pour l’œil et l’oreille:

-johnny b. goode/road runner (sex pistols)

-the great rock’n’roll swindle (julien temple)

-lipstick traces (greil marcus)

-hip hop family tree(ed piskor)

-la rappers delight (sugar hill gang) puis

good times (chic), ou inversement

-can’t stop won’t stop (jeff chang)

-dawg (zillakami x sos mula)

-la société du spectacle (guy debord)

-mode d’emploi du détournement (guy ernest debord/ gil j. wolman)

-dialectique peut elle casser des briques (rené viénet)

 

🎶musiques en luttes, émission #18: blog, rap et autonomie, coutoentrelesdents avec shaihulud🎶

l’émission musiques en lutte a reçu shaihulud pour parler de zik et d’autonomie des luttes, c’est dispo à l’écoute et au téléchargement ! un immense merci pour cet entretien, et n’hésitez pas à visiter leur blog pour y découvrir plein d’autres interviews liant musique et luttes sociales !

« ce mois-ci nous recevons le rappeur shaihulud, pour nous parler de coutoentreledents.

un blog où est partagé de la musique, des événements, un infokiosk et nouvellement un fanzine. »

Téléchargement

🌐pour en finir avec les frontières🌐journée de lutte, de commémoraction et de fête🌐

🏴‍☠️Le samedi 8 février on sera a rennes pour soutenir la boulange aux frontière et @alarmphonerennes
🔥Une journée intense en perspective : commémoration, discussions, tatouage, sérigraphie, repas vegan, tombola, et concerts en soutien a des collectifs en lutte contre les frontières.
🎙️On jouera avec gamma GTI, @kick_et_flute, vrisme de mer et dj n1n1n1, hésite pas à venir suer avec nous 🙂
✍️Tatouage par @chaos.coolos et @soni.lino.ttt
🎲Il y aura aussi une tombola avec des lots de @keussdtr @ferreropierre @haze.musazi @solvnr_ttt @fumsek.impression @mathilda.coiffure @kravboca @feir.bart @harriet_de_g
🥁On espère vous y voir en nombre pour en finir avec les frontières et soutenir les luttes
🧭Rendez vous a @bam.asso, 2 rue André Trasbot à rennes
🎨Affiche par @glittoris_1312

❄️shaihulud❄️un jour de décembre❄️

📢son en soutien aux inculpé.e.s du 8/12 (compile à paraître). Il y a 4 ans, le gouvernement d’emmanuel macron mettait en scène un remake de minority report, en inculpant 9 personnes sur la base de « soupçon » et sans « identifier de projet précis de passage à l’acte ». Sous la désignation et le prétexte de l’antiterrorisme, on assiste à un procès d’intentions et d’opinions qui s’affirme en tant que tel. Dans le même temps, ce procès cherche à criminaliser les luttes pour l’émancipation et toutes productions ou pratiques qui en émanent. L’écoute de chansons contestataires, la lecture de textes critiques, des paroles prononcées, des après-midi à jouer entre ami.e.s suffisent à pourrir la vie de gens pendant des années.Les outils policiers, juridiques et politiques développés par l’état permettent désormais l’arrestation et l’incarcération préventive de supposé.e.s opposant.e.s, et leur efficacité a été testée avec ce procès. Ne laissons pas faire ! Relaxe pour les inculpé.e.s du 8/12!

🎤🎹 instru.rap.mix.ppf: shaihulud

💻 clip: visuel d’origine comité 8 décembre rennes