Entretien de Wu Ming 5 et Wu Ming 2

Avant d’être Wu Ming, vous faisiez partie d’un collectif appelé Luther Blissett (créé en 1994 et dissous en 2000). Pouvez-vous expliquer un peu ce que c’était ?WM2  : Luther Blissett était un projet de création d’une identité ouverte, un nom collectif que n’importe qui pouvait utiliser pour revendiquer ce qui avait besoin d’être signé. Artistes, acteurs de théâtre, écrivains, collectifs politiques, etc. N’importe qui pouvait utiliser cette signature pour signer ses œuvres. Il n’y avait aucune règle concernant l’usage du nom Luther Blissett, simplement, ceux qui l’utilisaient ne pouvaient pas revendiquer la propriété privée de l’œuvre qui avait été signée de ce nom. D’une certaine manière, le projet créait de lui-même ses contenus. Très souvent, on nous a demandé comment on aurait réagi si quelqu’un avait utilisé Luther Blissett pour signer des textes, des œuvres d’art, racistes ou sexistes. Et la réponse a toujours été celle-là : le projet lui-même, en tant que projet de nom collectif qui dissolvait les identités individuelles dans une identité multiple, n’était pas adapté à une formulation de droite, et de fait, ça n’a jamais été utilisé comme ça. Nous n’avons pas exercé un contrôle des contenus et de toute façon personne n’aurait pu imposer ce contrôle. Le projet n’avait pas de comité central. Il y avait seulement un groupe de personnes qui suivait de plus près ce qui se passait, tenait le fil, et gardait la mémoire de ce qui avait été signé Luther Blissett.L’idée c’était de créer ensemble un personnage inexistant, imaginaire, et de contribuer à sa réputation, à sa notoriété, comme si c’était une sorte de héros populaire, une légende créée par plusieurs têtes sans coordination explicite. Voilà ce qu’était le projet qui, pour ce qui nous concerne, a duré cinq ans, comme un plan quinquennal. Puis nous avons changé de nom, de parcours, et nous nous sommes transformés en un laboratoire, Wu Ming.Vous parlez d’un héros populaire, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?WM5  : Une sorte de Robin Hood contemporain qui le plus souvent agit entre la culture et la politique active. Voilà la tension idéale de ce projet. Ni plus ni moins.WM2  : L’idée c’était de créer un personnage qui, grâce à la participation de tous, symbolisait un idéal alternatif de société, de partage, etc.WM5 : C’était une proposition qui avait une portée directement politique et qui paradoxalement a eu du succès sur le terrain plus restreint de la politique culturelle. À l’origine, l’intention était différente. Vraiment tout le monde pouvait se servir du nom Luther Blissett.WM2 : Le fait que plusieurs individus, de manière incontrôlée, sans statut, sans règles, sans avoir adhéré à une association, signent des œuvres avec le même nom, était pour nous une idée qui pouvait effrayer le pouvoir dans ses instruments de contrôle et de surveillance des individus singuliers. Entre nous, on se donnait du « je », on se « jejoyait », plutôt que de se tutoyer. Par exemple, dans notre émission de radio (qui s’appelait Luther Blissett), quand l’un de nous finissait son propos et qu’un d’autre commençait, il disait : « comme je viens de le dire à l’instant », ou « je ne suis pas d’accord avec ce que je viens de dire ». Se dire « je », se jejoyer entre nous était déjà quelque chose qui constituait une critique d’un certain régime de biopouvoir.

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