A propos du RIC : réflexion sur les usages actuels de la démocratie « directe » par le gouvernement suisse et son impact sur les luttes sociales. Il ne s’agit pas de dénigrer le RIC ou de s’en méfier de manière classiste ; mais simplement de le mettre en perspective avec le référendum d’initiative citoyenne tel qu’il existe déjà ailleurs qu’en France où nous sommes malheureusement très habitué.e.s à n’être que (mal) représenté.e.s.
Nous pensons que la Suisse actuelle préfigure à bien des égards ce que pourrait être une France dans laquelle Emmanuel Macron n’aurait pas rencontré les Gilets jaunes : législation ultra-libérale, État faible, fiscalité très favorable au capital, puissance politique considérable des organisations représentant le capital, fortes inégalités de revenus, situation sociale totalement pacifiée. C’est pourquoi il nous semble particulièrement intéressant d’observer la démocratie directe depuis ce pays, qui en outre la pratique de façon intensive et depuis fort longtemps.
Nous ne voulons pas, par les éléments apportés ici, nous élever définitivement contre les outils de la démocratie directe. Ce serait d’ailleurs prétentieux de notre part de prendre position dans les débats d’un mouvement populaire depuis un pays qui connaît, depuis tant d’année, une pacification sociale presque parfaite.
Les rédacteurs de la synthèse mentionnée ci-dessus ont raison de préciser que : « Bien que l’application concrète du RIC pose des interrogations tout à fait légitimes, il faut l’interpréter comme une des instances « découvertes » par le mouvement, comme une des alternatives à son « devenir-parti » et à sa participation aux élections […] » De même, « [le RIC] représente le visage formel de ce pouvoir de veto et de révocation des décisions gouvernementales que le mouvement expérimente de façon efficace chaque samedi dans les rues. »
La démocratie directe en Suisse n’a pas émergé dans les circonstances d’un mouvement populaire puissant en mesure d’imposer des outils juridiques. Les luttes qui menèrent à l’instauration du referendum et de l’initiative dites populaires mêlaient les intérêts de catégories assez variées de la petite-bourgeoisie et du peuple dont les ouvriers n’étaient qu’une composante minoritaire. Ces circonstances font toute la différence avec la situation actuelle en France.
Néanmoins, il nous a semblé qu’un retour historique un peu complet sur les outils de la démocratie directe en Suisse pouvait apporter quelque chose aux débats. En particulier, nous pensons qu’il ne faut pas se limiter à examiner ces outils juridiques en fonction de leurs résultats comme le font les auteurs de la synthèse : « le référendum en Californie a légalisé la marijuana, en Suisse il a été utilisé contre les immigrés et à des fins islamophobes, dans l’histoire italienne il a consenti de faire approuver le droit à l’avortement, repousser le nucléaire et défendre l’eau publique. » C’est à la mesure de leurs effets sur la conflictualité sociale et la définition des participants aux débats politiques légitimes qu’il faut évaluer le référendum et l’initiative dites populaires.
C’est ce que nous nous proposons de faire ici en trois épisodes :
- nous essayerons de montrer que l’extension des droits politiques dits populaires se paye en fait d’une restriction de l’accès à ceux-ci ;
- nous rappellerons la séquences des initiatives xénophobes dites Schwarzenbach (1965-1985) et nous montrerons comment la démocratie directe sert surtout à faire diversion au profit des capitalistes ;
- nous essayerons de montrer quelle fonction historique a assumé la démocratie directe en Suisse.
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