Enrique Dussel
Marx est encore trop souvent rangé parmi ces théoriciens qui ne voient dans la religion qu’une illusion ou un instrument de domination idéologique. Parcourant l’ensemble du corpus marxien, Enrique Dussel s’oppose à cette idée reçue et identifie chez l’auteur du Capital une distinction entre l’essence utopique de la religion et ses manifestations fétichisées. Comme tout phénomène social, la religion apparaît ainsi comme un phénomène contradictoire que les luttes d’émancipation se doivent de politiser.
Du 20 au 25 août 1984, j’ai organisé un séminaire à Kerala (Inde) sur l’invitation de M. P. Joseph (Social Action Groups) et E. Deenadayalan (The Delhi Forum) dont le sujet était : « Relire Marx depuis la perspective du militantisme politique en Amérique latine ». Parmi les 38 participants, étaient présents Joseph Kottukapally de Pune et Yohan Devananda du Sri Lanka. Je leur dédie ce travail en souvenir des belles journées passées sur la montagne paradisiaque de Charal (Mar Thoma Church’s Conference Centre), la terre de l’ancien royaume de Kerala, la région des « épices » où les Syriens chrétiens arrivèrent au cours des premiers siècles du christianisme, à côté de Cochin, où Grecs, Arabes, Hollandais et Britanniques pratiquaient le commerce. Terre d’engagement des croyants, maintenant mobilisées par les « agitations » des « pêcheurs », prélude de plus grandes espérances. Là, nous avons lu les textes de Marx page par page, ligne par ligne, en commençant par le tome I des Œuvres complètes. Cette pratique textuelle nous a de nouveau convaincus de la validité de l’hypothèse d’une telle « relecture » depuis la perspective politique de beaucoup de croyants latino-américains – récemment confirmée par la révolution sandiniste mais qui fut établie beaucoup plus tôt par beaucoup d’entre nous1.
Prenons pour hypothèse fondamentale de ce travail la citation qui apparaît dans le Livre 1, Chapitre 2 du Capital, l’ouvrage de référence de Marx : « Ils ont tous un même dessein et ils donneront à la bête leur force et leur puissance » (Apocalypse,XVII, 13) « Et que personne ne puisse ni acheter, ni vendre, que celui qui aura le caractère ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom » (Apocalypse, XIII, 17)2.
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