Article adressé aux « riverains » de rue89.
Majed Karman, militant révolutionnaire d’Alep (Photo diffusée par les camarades de Majed)
J’ai rencontré Majed Karman en juillet 2013, lorsqu’Ammar Abd Rabbo et moi nous étions infiltrés dans les quartiers révolutionnaires d’Alep.
Nous ignorions alors que nos amis Didier François et Nicolas Hénin, ainsi que leurs compagnons d’infortune Edouard Elias et Pierre Torres, étaient embastillés non loin de notre « planque », dans un hôpital que Daech, l’acronyme arabe de « l’Etat islamique », avait transformé en centre de détention et de torture.
Majed était un militant actif du Conseil des révolutionnaires de Salaheddine, quartier mixte arabe et kurde. Salaheddine, situé sur la ligne de front avec les forces du régime Assad, était devenu emblématique de la résistance populaire d’Alep à la dictature.
Comme tous ses camarades, Majed était à la fois un administrateur civil de l’aide distribuée à la population, un organisateur de secours multiformes et un combattant voué à la défense de ces zones dites « libérées ».
Deuxième révolution
Majed avait pris les armes à l’été 2012 pour défendre les siens, dans l’espoir d’élever un jour une famille dans une Syrie débarrassée du despote. Ses armes, il les avait ensuite tournées contre Daech, lors d’une bataille impitoyable, une « deuxième révolution » qui avait, en janvier 2014, expulsé les commandos djihadistes hors d’Alep.
C’est après, vous avez bien lu chers riverains, après cette victoire remportée sur Daech que le régime Assad avait intensifié sa campagne de bombardements aux « barils », ces containers de TNT bourrés de grenaille, largués à basse altitude par des hélicoptères invulnérables, en l’absence d’arme anti-aérienne au sein de la guérilla.
Ces bombardements sauvages avaient semé la terreur au sein de la population des quartiers « libérés » d’Alep, qui était tombée d’un million à moins de 300 000 personnes.
Pourtant, dans cette désolation, Majed gardait une contagieuse bonne humeur. Il avait ainsi joué dans la série « Interdit en Syrie », tournée avec les moyens du bord par de jeunes révolutionnaires d’Alep.
Frapper Daech, épargner Assad ?
Cela fait deux mois que l’administration Obama a étendu à la Syrie sa campagne, lancée en Irak, de raids aériens contre Daech. Cette campagne a soigneusement épargné les positions du régime Assad, alors qu’elle a frappé, bien au-delà de Daech, des groupes engagés dans la lutte contre la dictature.
Assad en a naturellement profité pour multiplier ses pilonnages sur Alep et resserrer son siège sur la partie « libérée » de la deuxième ville de Syrie.
Les funérailles de Majed Karman, mort le 23 novembre 2014 (Photo diffusée par les camarades de Majed)
C’est en combattant pour sauver le dernier axe d’accès d’Alep vers le nord et la Turquie que Majed Karman a été tué, le 23 novembre 2014.
Il n’est qu’un visage de plus dans la litanie des 200 000 morts déjà tombés en Syrie depuis le déclenchement de la révolution, longtemps non-violente, en mars 2011. Aujourd’hui un Syrien sur deux a été expulsé de son foyer et a dû se réfugier soit dans une autre région de Syrie, soit à l’étranger.
Cent fois plus de victimes d’Assad
Alors que la campagne anti-Daech occupe les esprits et les médias, on oublie trop rapidement qu’Assad et ses nervis ont fait cent fois plus de victimes que les bourreaux djihadistes.
La mort de Majed Karman, les armes à la main, laissera indifférents tous ceux pour qui la tragédie syrienne n’est qu’une affaire d’Arabes tuant d’autres Arabes. Mais, pour les riverains convaincus que la Syrie est notre guerre d’Espagne, cette disparition devrait rappeler ce qui est vraiment en jeu là-bas. Avant qu’il ne soit trop tard.