« Dans une affaire comme celle d’Adama, il faut vouloir s’affronter à l’appareil d’état » / Entretien avec Lassana Traoré
« Dans une affaire comme celle d’Adama, il faut vouloir s’affronter à l’appareil d’état »
Bonjour Lassana, depuis la mort de votre frère, ta famille est devenue un symbole de la lutte contre les violences et l’impunité policières. La combativité, la solidarité la droiture dont fait preuve ta famille en surprend plus d’un aujourd’hui. Peux-tu nous dire qui vous êtes ?
Nous habitons à Beaumont-sur-Oise depuis plus de 30 ans. Nous sommes une grande famille française de tradition africaine avec un père qui a été le socle de notre famille. Nous sommes 17 frères et sœurs. Mon père est arrivé en France dans les années 60. Il rencontre ma mère qui est normande dans une époque ou les couples mixtes c’était compliqué. Mais cela ne les empêchera pas de fonder une famille et vivre leur histoire d’amour. De ce mariage naitra 6 enfants, Bagui, Mama, Moustapha, Koudjeye, Mamadou et moi. Nous sommes les métis de la famille Traoré comme on s’appelle entre nous. Le premier en 68 avec mon grand frère et le dernier en 78. Mes parents se séparent en 79, nous partons vivre avec notre mère. Pour nous les enfants, la relation avec nos deux parents restent forte malgré leur séparation. Nous passons nos vacances et des week-end avec notre père et le reste du temps chez notre mère. Nous vivons comme toutes les familles séparées ou la séparation se passe bien. Nous sommes des enfants des années 80 qui vivent avec la richesse d’une double culture : la tolérance, le respect de l’autre et de sa culture. L’enrichissement que cela apporte ce n’est pas que des mots c’est une pratique dans notre famille.
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Tribune collective : « Quand nous disons « je », c’est à nous tou-te-s que nous pensons »
Laurence Rossignol, Manuel Valls, Gilles Clavreul, Laurent Joffrin…ces dernières semaines ont été marquées par les déclarations outrancières de plusieurs responsables politiques et éditorialistes. Qu’elles insultent la mémoire des déportés de l’esclavage, le libre-arbitre des femmes voilées ou les pratiques militantes des antiracistes politiques, ces déclarations n’ont qu’un seul effet : renforcer les stigmates visant une partie de la population. Plusieurs acteurs associatifs ont ouhaité réagir à cette sombre actualité ; nous publions ici leur tribune.
Nous assistons avec un triste amusement à la déchéance de rationalité d’un État en roue libre. Et avec lui, les hérauts d’une élite désuète qui, face à la remise en cause de ses privilèges, est prête à faire brûler la maison France qu’elle dit tant aimer.
Comme chaque jour apporte son lot de nouvelles polémiques autour de l’islam et des musulmans, des Noirs et des Arabes, des migrants et des Roms, hier pas plus que demain ne déroge à la règle.
Douce France, cher pays en pleine souffrance, que nous réserves-tu aujourd’hui ? Quel foulard, quelle barbe, quelle couleur, quelle culture te posera problème ? Quel sujet naitra, sinon de ton ennui, du moins de tes errances ou stratégies racialistes ?
Sur nos écrans s’affichent les tensions du jour qui, dans nos rues comme dans nos institutions, dans nos écoles comme dans nos entreprises, portent leurs fruits amers, construisant et légitimant le rejet de l’autre, son exclusion. La violence des mots, souvent. La violence des gestes, aussi.
Et face à cela, un État coupable de lui-même, non plus uniquement de ses renoncements face aux racismes, mais également de ses discours et de ses actions ; une puissance publique qui, plutôt que d’apporter la rationalité de l’analyse, l’humanisme de l’écoute et la fraternité dans l’action, est incapable d’offrir un autre visage que celui du mépris.
L’antiracisme d’État n’est et ne sera pas la grande force issue de tous les secteurs et de tous les paysages de la société française, permettant à chacun-e de ne plus faire face à l’exclusion de part sa couleur de peau, son origine ou sa religion supposée. Au contraire, il aura été l’obstruction des institutions, empêchant les premiers intéressés d’accéder aux moyens politiques et institutionnels de changer positivement leur condition. Il aura été la domination d’une élite, produisant un discours vertical descendant, à l’attention des populations cibles du racisme que l’on aura voulu « civiliser » et « pacifier », sans jamais dépasser ses réflexes post-coloniaux. Il aura été 30 ans de retard, en donnant à voir l’illusion d’une France fraternelle, signalant sur le plan du marketing ce que nous avons été incapables de faire vivre dans le réel de l’action institutionnelle. Une France pourtant rescapée, sauvée au quotidien par l’expérience humaine de gens qui veulent tout simplement vivre ensemble, bien loin des outrances politiques de ceux qui nous gouvernent. Au Président de la République comme au Premier Ministre, au Délégué interministériel prétendument contre le racisme et l’antisémitisme comme aux polémistes qui les soutiennent, aux videurs de l’antiracisme patenté comme aux racistes de tout poil qui se sentent soudainement pousser les ailes d’un républicanisme jacobin, à cette infime minorité qui truste l’espace médiatique névrosé tout en poussant des cris d’orfraie à chaque fois qu’on contredit leurs certitudes, nous disons simplement :
Votre antiracisme est un racisme, puisqu’il revient à nous imposer la manière dont nous devrions vivre et les mots que nous devrions choisir pour nous exprimer, juste par notre différence.
Votre féminisme est un sexisme, puisqu’il aboutit à dicter aux femmes ce qu’elles devraient ou non porter, tout en confisquant la parole des premières intéressées.
Votre progressisme est une régression, puisqu’il valide le passage de nouvelles lois qui, en son nom, viennent restreindre toujours plus les droits et les libertés de chacun-e.
Votre liberté d’expression est une censure, puisque asymétrique, elle vous permet d’insulter les autres tout en leur interdisant de vous répondre.
Fuyez donc les miroirs, vous risqueriez de vous y voir.
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Quelques nouvelles d’un pays qui s’enfonce dans l’État policier
– COP 21 :
A Nantes, ou était également prévue une manifestation contre la COP 21, la préfecture a décidé d’interdire « tout attroupement » ce week end.
http://www.nantes.maville.com/…/actudet_-en-loire-atlantiqu…
La préfecture de Paris avait déjà annoncé vouloir bloquer le cortège de cyclistes venus de Notre-Dame-des-Landes qui voulait se rendre à la COP 21, dès l’entrée en Ile de France, avec un dispositif monstrueux. L’État, qui n’a pas peur de se couvrir de ridicule, vient de rajouter un département supplémentaire d’interdiction de territoire pour le convoi : l’Eure et Loire. Jusqu’où iront ils ? http://marchesurlacop.noblogs.org/…/nddl-le-convoi-cap-sur…/
– Perquisitions arbitraire et des attaques policières gratuites
Muhammad, réfugié palestinien, a été réveillé avec sa famille par une armée de policiers qui leur ont placé un canon sur la tempe, en pleine nuit. La maison familiale a été fouillée et saccagée par la police, qui évidemment n’a rien trouvé.
https://www.mediapart.fr/…/muhammad-une-arme-pointee-sur-la…
Dans la Meuse, Nicolas, 21 ans, est pris pour un terroriste. La police fait exploser les portes et les fenêtres de la maison de ses parents, braquent toute la famille, et les ligotent en pyjama dans le jardin, par zéro degré.
http://www.lameuse.be/…/la-terrible-perquisition-vecue-par-…
– Interdiction de manifester :
Paris, des Garde à Vue uniquement pour avoir manifesté ; https://paris-luttes.info/premieres-gardes-a-vue-pour-4259
– Amalgame
Valls a désormais doublé Jean-Marie Le Pen et Viktor Orban – l’autocrate hongrois – sur leurs droites. Contre la « menace djihadiste », il appelle l’Europe a refuser les réfugiés. Tranquillement.
http://tempsreel.nouvelobs.com/…/12969-migrants-manuel-vall…
– Impunité policière
Quelques jours après les attentats, un non lieu était prononcé dans le cadre d’une affaire de crime policier caractérisé : la mort d’Amadou Koumé, père de famille, tué lors de son interpellation sans motif à Paris. La justice continue a profiter de l’état d’urgence et de l’état de choc pour prononcer un autre non lieu dans une autre affaire accablante : la mort par balle d’un détenu menotté dans un véhicule de gendarmerie.
https://www.facebook.com/Urgence.notre.police.assassine/photos/a.356795301133069.1073741827.356786924467240/777861435693118/?type=3&theater
L’ETAT, LE CAPITAL, L’INTERNATIONALISME. LEÇONS DE GRECE.
Répression par le pouvoir, division des syndicats : en Egypte, rien n’arrête le mouvement ouvrier
La vague de grèves de février 2014 qui a contraint à la démission le gouvernement de M. Hazem Al-Beblaoui aurait dû représenter une avancée majeure pour le mouvement ouvrier égyptien. Pour la première fois depuis le 3 juillet 2013, jour de l’éviction du président Mohamed Morsi (Frères musulmans), des débrayages de grande ampleur sont intervenus dans les services publics et dans le secteur industriel d’Etat : les employés du textile et des filatures, des transports et des services de propreté se sont joints à ceux des postes, du secteur de la santé ou de la justice. S’y sont ajoutées des dizaines de grèves et d’autres initiatives dans le secteur privé. Pour le seul mois de février 2014, le Centre El-Mahrousa pour le développement socio-économique a recensé plus d’un millier de sit-in, débrayages ou manifestations, avec plus de deux cent cinquante mille grévistes, contre moins de cinquante actions en janvier et moins de quatre cents en mars.
L’importance de cette vague de contestation ne tient pas seulement à son ampleur, mais aussi au contexte dans lequel elle s’est développée. Au cours des cinq premiers mois de 2013, le mouvement ouvrier, particulièrement actif, avait su mobiliser des centaines de milliers de personnes, avant de décliner après la chute du président Morsi. On n’observait plus alors que quelques troubles sporadiques, violemment réprimés par le pouvoir issu du coup d’Etat du 3 juillet 2013. Tandis que les forces de l’ordre dispersaient les rassemblements, les grévistes et leurs chefs de file étaient accusés d’appartenir aux Frères musulmans.
Cette campagne d’intimidation a si bien fonctionné que, après la publication d’une feuille de route prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution suivie de l’élection présidentielle et des élections législatives, les principales organisations syndicales ont signé des communiqués soutenant le nouveau régime et s’engageant à renoncer à la grève pour mieux appuyer sa « lutte contre le terrorisme ». La Fédération syndicale égyptienne, chapeautée par l’Etat, et les deux principaux syndicats indépendants — la Fédération égyptienne des syndicats indépendants, née durant la révolution de janvier 2011, et le Congrès démocratique du travail — se sont prononcés en ce sens. La nomination du président de la fédération indépendante, M. Kamel Abou Eita, au poste de ministre du travail a suscité de nombreuses critiques internes. De fait, il est par la suite resté silencieux face à la répression des grèves par les autorités.
Le regain de combativité de février 2014 a donc marqué une rupture importante. Dans un sursaut, le mouvement ouvrier est parvenu à casser la bipolarisation : Etat d’un côté, Frères musulmans de l’autre. Pour la première fois, des protestations populaires ont visé le gouvernement sans que les Frères soient impliqués, même si le pouvoir tentait encore — mais en vain — de le faire croire. Elles intervenaient précisément dans les secteurs (textile, transports, santé, etc.) où avaient éclaté, en 2012 et 2013, des grèves hostiles au gouvernement Morsi. Le mouvement ouvrier a ainsi mis en lumière l’échec du nouveau pouvoir sur le plan économique et social, mais aussi ses tentatives de se défausser de ses responsabilités en invoquant la « lutte contre le terrorisme ».
La suite de l’article sur Le monde diplomatique (août 2014)