« Nos quartiers ne sont pas des déserts politiques »

Entretien avec Samir du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues

paru dans lundimatin#93, le 14 février 2017

Depuis que les exactions des policiers d’Aulnay-sous-bois ont été rendues publiques, les émeutes nocturnes en banlieue parisienne ne semblent pas vouloir s’arrêter et ce malgré les appels au calme et les menaces de l’exécutif. Un lecteur de lundimatin a donc jugé pertinent de nous faire parvenir l’entretien qu’il a mené avec Samir, militant issu du Mouvement de l’immigration et des banlieues. Ce dernier revient sur sa politisation en banlieue dans les années 90, sur les émeutes de novembre 2005, sur le rôle des associations de quartier et nous donne son point de vue sur le mouvement actuel #justicepourtheo. Il livre ici une analyse particulière sur le prolongement de l’émeute dans l’action militante, voire politique et dans la jonction avec d’autres formes de luttes.

Bonjour Samir, peux-tu nous parler de ton parcours politique ? Tu as notamment fait partie du Mouvement de l’immigration et des banlieues (Mib) dans les années 90. Quelle était la particularité de votre démarche politique dans les quartiers populaires ?
Le conflit avec la police a commencé très tôt, dans les année 88-89. Mais ce qui m’a construit en tant que militant s’est produit le 17 décembre 97. Abdelkader Bouziane a été tué par la brigade anti-criminalité. On n’était pas encore politisés, mais on a organisé des émeutes sur plusieurs jours, suite à son meurtre d’une balle derrière la tête. On connaissait la police, c’est-à-dire qu’on savait qu’ils étaient là pour nous faire mal et pas pour nous aider. On s’est organisés de la manière qui nous semblait la meilleure et celle que l’on connaissait : l’émeute.

Par la suite, on a rencontré des gens extérieurs au quartier : ils étaient du Mib. Ils nous ont expliqué que l’émeute c’était bien – une forme d’acte politique, efficace sur un court terme – mais que la meilleure manière de nous défendre dans un quartier, c’était de nous organiser entre nous, les habitants. Ils nous parlaient de l’autonomie et de l’auto-organisation : les meilleurs moyens selon eux pour parvenir à rétablir la vérité sur des crimes policiers sans laisser les « arabes et les noirs de service » (qui à l’époque étaient de S.O.S racisme) faire leur sale travail. Pour les contrecarrer et éviter la récupération, il fallait raconter notre propre histoire sur ces violences. Ils nous ont expliqué qu’ils ne le feraient pas à notre place, mais qu’ils allaient nous former et nous apporter une aide pour nous auto-organiser et parler de nos problèmes (rénovation urbaine, violences policières et racisme ambiant) de ces trente dernières années. C’est ce qui nous a amené à devenir amis avec eux. Et puis ils n’ont jamais condamné les émeutes. Au contraire, ils nous ont soutenus en affirmant que c’était des actes politiques. Mais pour eux insuffisants : il fallait leur donner une suite en faisant de la politique dans nos quartiers par l’éducation populaire. Nos quartiers ne sont pas des déserts politiques, il y a toujours eu des luttes et des mouvements autonomes, mais toujours étouffés par les supplétifs du parti socialiste et de la droite.

a lire intégralement sur LUNDI MATIN

Alejandro Finisterre, le poète libertaire qui inventa le baby-foot

Tout le monde connaît le baby-foot. Même s’il commence à tomber un peu en désuétude, il y a encore quelques années de ça, pas un bistrot n’en était pas équipé. Et les parties frénétiques moyennant une pièce de deux francs faisaient partie du rituel des cafés, dans les villages comme en ville. Ce qu’on sait moins, c’est que son histoire commença durant la Guerre d’Espagne et qu’on doit, même si sa paternité a été revendiquée par d’autres, son invention à un jeune poète libertaire âgé alors de 18 ans.

462055712_d8fff3a5e2_oAlejandro Campos Ramírez est un jeune galicien originaire de La Corgne, né en 1919 dans un village appelé Finisterre – du latin finis terrae, la « fin de la terre ». Il avait fait le rêve de devenir un jour un grand architecte, mais il n’avait réussi jusque-là à ne se faire embaucher que comme aide-maçon. Il vivait de ça et de quelques corrections de travaux scolaires d’élèves plus jeunes, ce qui lui permettait de payer ses études dans un lycée de la capitale. Mais sa véritable vocation était la poésie, domaine dans lequel il commence à se faire peu à peu connaître sous le nom d’Alejandro Finisterre. Il se fait par la suite embaucher comme apprenti dans une imprimerie. Il se rapproche par la même occasion de cet univers de bohème des artistes qu’il admire, dont le poète républicain León Felipe, de qui il devient proche. Alejandro a 17 ans et se définit comme un anarchiste pacifiste qui aspire à vivre un jour dans un monde où l’être humain n’éprouvera plus le besoin d’être gouverné par quelque autorité que ce soit. Il baignait dans cet idéal, quand éclata en Espagne la Guerre Civile.

img_1773-copiar
Ce qu’il reste de l’ancien hôtel Colonia Puig, tranformé en hôpital du camp républicain durant la Guerre civile. Il redevint un hôtel sous le franquisme avant de fermer définitivement en mars 1968.

En novembre 1936, la maison dans laquelle il vivait fut touchée par les bombardements. Resté coincé sous les décombres., il en sort salement blessé à la jambe et avec des problèmes respiratoires. Il fut transporté en zone républicaine, d’abord à Valence, puis à l’hôpital de Montserrat. Il resta en convalescence un certain temps dans cet ancien hôtel de luxe réquisitionné pour soigner les blessés de guerre du camp républicain. Il y croisa un nombre important d’enfants blessés ou mutilés. Ce qui le toucha au plus profond de sa chair de libertaire. Bien des années plus tard, en 2004, il le raconta à un journaliste de La Vanguardía de Barcelone :

« Nous étions en 1937. J’adorais le football, mais j’étais devenu boiteux et ne pouvais pas jouer… Et, par dessus tout, je souffrais de voir ces petits garçons, blessés ou amputés, qui ne pouvaient pas jouer au ballon avec les autres enfants… Je me suis dit : s’il existe du tennis de table, il doit bien pouvoir aussi exister du football de table ! Je me suis procuré quelques barres en fer et un charpentier basque réfugié là, Javier Altuna, façonna les petites figurines de bois. Il fit le coffrage de la table en bois de pin je crois, et la balle avec un bon morceau de liège aggloméré catalan. Cela permettait un meilleur contrôle de la balle, de pouvoir la bloquer et lui donner de l’effet… »

LU ET A FINIR DE LIRE  SUR ONCLEFREDO

Une vie non fasciste, nouvelle introduction

On vit tous, depuis plus d’un siècle, sur une ligne de crête : un pas de plus, un pas trop loin en trépignant dans son bon droit et on tombe dans le fascisme ou on le voit surgir subitement en soi, ou encore on le sent nous traverser comme un flux irrésistible et anonyme. C’est avant tout pour cela que nous tenons encore à employer le mot « fasciste ». On ne peut pas renoncer à employer un tel terme au nom de sa confusion avec d’autres formes peu sympathiques de politique (populisme, racisme ordinaire, autoritarisme classique…), puisque le propre du fascisme est justement de tout confondre, de tout mélanger, de tout ensorceler. Les affects fascistes ne sont pas solubles dans une logique de camps ou de classes. On les retrouve partout, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par de policés ministres de l’Intérieur ou du Budget prétendus de centre-gauche. Bref, parce que le premier danger est de découvrir le fascisme non pas en l’autre mais en soi : dans une pulsion raciste insoupçonnée, dans une subite fureur de destruction, dans le sentiment irrépressible d’un « tous pourris », dans une haine impuissante ressassant ses échecs répétés. De ce point de vue, le plus important, face au fascisme, est de se demander comment s’en protéger avant d’en accuser les autres depuis le bunker de sa bonne conscience, ou de pointer du doigt les nouveaux ventres féconds de la bête immonde. Même si Dieu sait — et il n’est pas le seul — combien les fascismes menacent aujourd’hui, partout : en France, en Hongrie, en Europe, aux États-Unis, de la Pologne aux îles Kouriles, en Syrie, en Égypte, en Israël, dans la péninsule amérindienne, en Norvège, au Pérou, chez les Tchèques, au sud des Abruzzes, au printemps, l’été même, parfois la nuit, en Turquie, en Chine, à Djibouti et au Kenya, partout. Mais commençons par tester nos propres capacités de défense véritablement non-fascistes. Michel Foucault a écrit en 1975 une flamboyante préface à L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari qui s’intitulait « Introduction à la vie non-fasciste ». Tentons de lui redonner une forme actuelle. Une sorte de vade mecum par gros temps.

LIRE EN INTÉGRALITÉ SUR VACARMES

Les détricoteuses étaient donc des menteuses… [Histoire, jacobinisme et langues régionales] Par Alèssi Dell’Umbria

« Pourtant à la fin du XIX siècle, personne n’empêchait l’enseignement des langues régionales » . Mathilde Larrère. Historienne.
« Les langues des minorités ont eu toujours leur place à l’école ». Laurence De Cock. Historienne.

On trouve ces perles sur Mediapart où, sous la rubrique « Les détricoteuses » les deux enseignantes se donnent la réplique dans de petits montages qui épinglent les énormités les plus flagrantes émises par diverses personnalités de droite. « L’école c’était mieux avant », c’est le titre, qui se veut ironique, de la séquence en question, en réponse au sinistre Eric Zemmour. Après une brève apologie de « l’État éducateur », Larrère et De Cock évoquent ce maire qui, dans le Var, a envoyé les flics s’opposer à un cours d’arabe dans une école. C’est alors, à 4’20″, que sortent ces affirmations :

« Pourtant, à la fin du XIXº siècle personne n’empêchait l’enseignement des langues régionales »affirme l’une, l’autre enchérissant : « les langues des minorités ont eu toujours leur place à l’école »

Ignorance ou falsification, une contre-vérité aussi flagrante assénée avec autant d’assurance par des historiennes qui prétendent par ailleurs « déconstruire le roman national » ? En tous cas, les réactionnaires déclarés ne sont à l’évidence pas les seuls à défendre bec et ongles le socle de mensonges sur lequel repose l’édifice bétonné de l’Histoire de France…

« Le roman national, c’est une invention du XIXº siècle destinée à fabriquer des petits Français patriotes » dit par ailleurs Mathilde Larrère. « Et pour ça, on enjolivait les faits en supprimant les pages honteuses » lui répond Laurence de Cock. Exactement ce qu’elles viennent de faire en débitant une énormité qui exonère l’école de la République de l’ethnocide commis à l’intérieur de l’hexagone durant près d’un siècle, et qui n’est sans doute pas l’une des pages les moins honteuses de l’histoire de cet État-nation.

Quand on s’autorise comme elles de Suzanne Citron, qui avait quand même reconnu le rôle de l’institution scolaire dans la destruction des langues non officielles parlées (et même écrites) dans l’espace hexagonal, il devrait être tout simplement impensable de proférer une telle contre-vérité. Nous voici donc obligés de répéter une évidence : les langues des minorités n’ont jamais eu leur place à l’école de la IIIº République, qui a été précisément chargée de les éradiquer pour transformer les petits pacoulins en bons Français -voilà cet « État éducateur » dont De Cock et Larrère cultivent par ailleurs la nostalgie.

ARTICLE A LIRE EN INTÉGRALITÉ SUR lundi.am

BOUQUINS#6 [La révolte des tracteurs-Yann Brékilien]

Pour ce deuxième jour de l’année, le bouquin La révolte des tracteurs écrit en 1967 par Yann Brékilien (un indépendantiste breton qui a fait partie de la résistance, en 39-45 au sein des FTP), nous rappelle à quel point les petits paysans de la fin du XXème siècle se sont fait avoir par les promesses du gouvernement liés au remembrement et à la mécanisation des campagnes, et à quel point ça leur a déplut! Retour de la guerre d’Algérie, espoirs liés au confort moderne, endettement des paysans, émeutes à Morlaix et Quimper, fuite des femmes vers les villes pour de meilleures conditions de vie, bagarres avec des CRS, solidarité entre les travailleurs et les étudiants… C’est un livre original et pas si désespéré, promis!

Hommage aux luddites

[…] Tout a commencé un certain 12 avril 1811. En pleine nuit, trois cent cinquante hommes, femmes et enfants s’abattirent sur une filature industrielle du Nottinghamshire, détruisant les grands métiers à tisser à coups de masse et mettant le feu aux installations. Cet événement deviendra rapidement du folklore populaire. La manufacture appartenait à William Cartwright, fabricant de fils de médiocre qualité mais tout équipé de machines flambant neuves. En elle-même, l’usine était, en ces années, une nouvelle espèce de champignon poussant dans le paysage ; habituellement, le travail s’accomplissait dans de modestes ateliers. Soixante-dix autres métiers à tisser industriels furent détruits cette même nuit dans d’autres bourgades des environs. L’incendie accompagné de son bouquet de masses se déplaça ensuite vers les comtés voisins de Derby, Lancashire et York, au cœur de cette Angleterre du début du XIXe, point de gravité de la révolution industrielle. La traînée de poudre partie du bourg d’Arnold s’étendit de manière incontrôlée à tout le centre de l’Angleterre durant deux années, poursuivie par une armée de dix mille soldats commandés par le général Thomas Maitland. Dix mille soldats ? Wellington en commandait bien moins lorsqu’il entra en campagne contre les armées napoléoniennes depuis le Portugal. Plus de soldats que contre la France ? Cela s’explique : la France de Napoléon représentait une proche menace mais le fantôme qui hantait la cour d’Angleterre, c’était les assemblées. Il ne s’était écoulé qu’un quart de siècle depuis l’an I de la Révolution. Dix mille soldats ! Ce nombre est la preuve de l’immense difficulté à en finir avec les luddites. Sans doute parce que les membres du mouvement se confondaient avec la communauté même. Et cela dans les deux sens du terme : tout en comptant sur l’aide de la population, ils étaient cette population. Maitland et ses soldats ont désespérément cherché Ned Ludd, leur chef. Sans jamais le trouver. D’ailleurs, ils n’auraient jamais pu le trouver, Ned Ludd n’a jamais existé : il ne fut qu’un nom inventé par les gens du cru pour désorienter Maitland. […]

L’intégralité du texte sur La voie du jaguar

Notre-Dame-des-Landes: communiqué commun du mouvement antiaéroport après la décision de la cour administrative d’appel de Nantes

nddl-affiche-blocage

Une décision qui n’entame en rien la légitimité de notre combat

Fait très exceptionnel, la cour d’appel a choisi d’aller à l’encontre de l’avis, développé le 7 novembre devant la juridiction administrative de Nantes, de Madame le rapporteur public. Pour la première fois devant un tribunal, dans son réquisitoire, celle­-ci avait démontré le caractère destructeur du projet, mis en avant à partir de textes officiels de la DGAC l’existence de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique comme alternative crédible et validé bon nombre des arguments des opposants en s’appuyant sur le droit européen et français (éviter, réduire, compenser… les dégâts environnementaux). Elle a demandé l’annulation des arrêtés préfectoraux autorisant les travaux d’aménagement de l’aéroport et ne l’a pas obtenue. Les requérants examinent dès demain la poursuite des recours.

La décision de la Cour d’appel n’entame en rien la légitimité de notre combat face à la destruction du vivant et à la marchandisation du monde. L’ensemble du mouvement anti­aéroport réaffirme qu’il ne laissera place à aucun début de travaux ni d’expulsion sur la ZAD de Notre­-Dame­-des­-Landes.

Nos appels à soutien et réactions immédiates et massives, au niveau local, régional et au -delà, restent inchangés en cas de démarrage de chantiers ou de tentative d’expulsion. Nous les mettrons en œuvre avec toute la détermination nécessaire.

Il n’y aura pas d’aéroport à Notre­-Dame­-des­-Landes. La ZAD fleurira !

L’ensemble du mouvement anti­aéroport (l’ensemble des organisations de la Coordination des opposants au projet d’aéroport – Copain 44 – Naturalistes en lutte – des occupant.e.s de la ZAD)