Une vie non fasciste, nouvelle introduction

On vit tous, depuis plus d’un siècle, sur une ligne de crête : un pas de plus, un pas trop loin en trépignant dans son bon droit et on tombe dans le fascisme ou on le voit surgir subitement en soi, ou encore on le sent nous traverser comme un flux irrésistible et anonyme. C’est avant tout pour cela que nous tenons encore à employer le mot « fasciste ». On ne peut pas renoncer à employer un tel terme au nom de sa confusion avec d’autres formes peu sympathiques de politique (populisme, racisme ordinaire, autoritarisme classique…), puisque le propre du fascisme est justement de tout confondre, de tout mélanger, de tout ensorceler. Les affects fascistes ne sont pas solubles dans une logique de camps ou de classes. On les retrouve partout, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par de policés ministres de l’Intérieur ou du Budget prétendus de centre-gauche. Bref, parce que le premier danger est de découvrir le fascisme non pas en l’autre mais en soi : dans une pulsion raciste insoupçonnée, dans une subite fureur de destruction, dans le sentiment irrépressible d’un « tous pourris », dans une haine impuissante ressassant ses échecs répétés. De ce point de vue, le plus important, face au fascisme, est de se demander comment s’en protéger avant d’en accuser les autres depuis le bunker de sa bonne conscience, ou de pointer du doigt les nouveaux ventres féconds de la bête immonde. Même si Dieu sait — et il n’est pas le seul — combien les fascismes menacent aujourd’hui, partout : en France, en Hongrie, en Europe, aux États-Unis, de la Pologne aux îles Kouriles, en Syrie, en Égypte, en Israël, dans la péninsule amérindienne, en Norvège, au Pérou, chez les Tchèques, au sud des Abruzzes, au printemps, l’été même, parfois la nuit, en Turquie, en Chine, à Djibouti et au Kenya, partout. Mais commençons par tester nos propres capacités de défense véritablement non-fascistes. Michel Foucault a écrit en 1975 une flamboyante préface à L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari qui s’intitulait « Introduction à la vie non-fasciste ». Tentons de lui redonner une forme actuelle. Une sorte de vade mecum par gros temps.

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Les détricoteuses étaient donc des menteuses… [Histoire, jacobinisme et langues régionales] Par Alèssi Dell’Umbria

« Pourtant à la fin du XIX siècle, personne n’empêchait l’enseignement des langues régionales » . Mathilde Larrère. Historienne.
« Les langues des minorités ont eu toujours leur place à l’école ». Laurence De Cock. Historienne.

On trouve ces perles sur Mediapart où, sous la rubrique « Les détricoteuses » les deux enseignantes se donnent la réplique dans de petits montages qui épinglent les énormités les plus flagrantes émises par diverses personnalités de droite. « L’école c’était mieux avant », c’est le titre, qui se veut ironique, de la séquence en question, en réponse au sinistre Eric Zemmour. Après une brève apologie de « l’État éducateur », Larrère et De Cock évoquent ce maire qui, dans le Var, a envoyé les flics s’opposer à un cours d’arabe dans une école. C’est alors, à 4’20″, que sortent ces affirmations :

« Pourtant, à la fin du XIXº siècle personne n’empêchait l’enseignement des langues régionales »affirme l’une, l’autre enchérissant : « les langues des minorités ont eu toujours leur place à l’école »

Ignorance ou falsification, une contre-vérité aussi flagrante assénée avec autant d’assurance par des historiennes qui prétendent par ailleurs « déconstruire le roman national » ? En tous cas, les réactionnaires déclarés ne sont à l’évidence pas les seuls à défendre bec et ongles le socle de mensonges sur lequel repose l’édifice bétonné de l’Histoire de France…

« Le roman national, c’est une invention du XIXº siècle destinée à fabriquer des petits Français patriotes » dit par ailleurs Mathilde Larrère. « Et pour ça, on enjolivait les faits en supprimant les pages honteuses » lui répond Laurence de Cock. Exactement ce qu’elles viennent de faire en débitant une énormité qui exonère l’école de la République de l’ethnocide commis à l’intérieur de l’hexagone durant près d’un siècle, et qui n’est sans doute pas l’une des pages les moins honteuses de l’histoire de cet État-nation.

Quand on s’autorise comme elles de Suzanne Citron, qui avait quand même reconnu le rôle de l’institution scolaire dans la destruction des langues non officielles parlées (et même écrites) dans l’espace hexagonal, il devrait être tout simplement impensable de proférer une telle contre-vérité. Nous voici donc obligés de répéter une évidence : les langues des minorités n’ont jamais eu leur place à l’école de la IIIº République, qui a été précisément chargée de les éradiquer pour transformer les petits pacoulins en bons Français -voilà cet « État éducateur » dont De Cock et Larrère cultivent par ailleurs la nostalgie.

ARTICLE A LIRE EN INTÉGRALITÉ SUR lundi.am

BOUQUINS#6 [La révolte des tracteurs-Yann Brékilien]

Pour ce deuxième jour de l’année, le bouquin La révolte des tracteurs écrit en 1967 par Yann Brékilien (un indépendantiste breton qui a fait partie de la résistance, en 39-45 au sein des FTP), nous rappelle à quel point les petits paysans de la fin du XXème siècle se sont fait avoir par les promesses du gouvernement liés au remembrement et à la mécanisation des campagnes, et à quel point ça leur a déplut! Retour de la guerre d’Algérie, espoirs liés au confort moderne, endettement des paysans, émeutes à Morlaix et Quimper, fuite des femmes vers les villes pour de meilleures conditions de vie, bagarres avec des CRS, solidarité entre les travailleurs et les étudiants… C’est un livre original et pas si désespéré, promis!

Hommage aux luddites

[…] Tout a commencé un certain 12 avril 1811. En pleine nuit, trois cent cinquante hommes, femmes et enfants s’abattirent sur une filature industrielle du Nottinghamshire, détruisant les grands métiers à tisser à coups de masse et mettant le feu aux installations. Cet événement deviendra rapidement du folklore populaire. La manufacture appartenait à William Cartwright, fabricant de fils de médiocre qualité mais tout équipé de machines flambant neuves. En elle-même, l’usine était, en ces années, une nouvelle espèce de champignon poussant dans le paysage ; habituellement, le travail s’accomplissait dans de modestes ateliers. Soixante-dix autres métiers à tisser industriels furent détruits cette même nuit dans d’autres bourgades des environs. L’incendie accompagné de son bouquet de masses se déplaça ensuite vers les comtés voisins de Derby, Lancashire et York, au cœur de cette Angleterre du début du XIXe, point de gravité de la révolution industrielle. La traînée de poudre partie du bourg d’Arnold s’étendit de manière incontrôlée à tout le centre de l’Angleterre durant deux années, poursuivie par une armée de dix mille soldats commandés par le général Thomas Maitland. Dix mille soldats ? Wellington en commandait bien moins lorsqu’il entra en campagne contre les armées napoléoniennes depuis le Portugal. Plus de soldats que contre la France ? Cela s’explique : la France de Napoléon représentait une proche menace mais le fantôme qui hantait la cour d’Angleterre, c’était les assemblées. Il ne s’était écoulé qu’un quart de siècle depuis l’an I de la Révolution. Dix mille soldats ! Ce nombre est la preuve de l’immense difficulté à en finir avec les luddites. Sans doute parce que les membres du mouvement se confondaient avec la communauté même. Et cela dans les deux sens du terme : tout en comptant sur l’aide de la population, ils étaient cette population. Maitland et ses soldats ont désespérément cherché Ned Ludd, leur chef. Sans jamais le trouver. D’ailleurs, ils n’auraient jamais pu le trouver, Ned Ludd n’a jamais existé : il ne fut qu’un nom inventé par les gens du cru pour désorienter Maitland. […]

L’intégralité du texte sur La voie du jaguar

Notre-Dame-des-Landes: communiqué commun du mouvement antiaéroport après la décision de la cour administrative d’appel de Nantes

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Une décision qui n’entame en rien la légitimité de notre combat

Fait très exceptionnel, la cour d’appel a choisi d’aller à l’encontre de l’avis, développé le 7 novembre devant la juridiction administrative de Nantes, de Madame le rapporteur public. Pour la première fois devant un tribunal, dans son réquisitoire, celle­-ci avait démontré le caractère destructeur du projet, mis en avant à partir de textes officiels de la DGAC l’existence de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique comme alternative crédible et validé bon nombre des arguments des opposants en s’appuyant sur le droit européen et français (éviter, réduire, compenser… les dégâts environnementaux). Elle a demandé l’annulation des arrêtés préfectoraux autorisant les travaux d’aménagement de l’aéroport et ne l’a pas obtenue. Les requérants examinent dès demain la poursuite des recours.

La décision de la Cour d’appel n’entame en rien la légitimité de notre combat face à la destruction du vivant et à la marchandisation du monde. L’ensemble du mouvement anti­aéroport réaffirme qu’il ne laissera place à aucun début de travaux ni d’expulsion sur la ZAD de Notre­-Dame­-des­-Landes.

Nos appels à soutien et réactions immédiates et massives, au niveau local, régional et au -delà, restent inchangés en cas de démarrage de chantiers ou de tentative d’expulsion. Nous les mettrons en œuvre avec toute la détermination nécessaire.

Il n’y aura pas d’aéroport à Notre­-Dame­-des­-Landes. La ZAD fleurira !

L’ensemble du mouvement anti­aéroport (l’ensemble des organisations de la Coordination des opposants au projet d’aéroport – Copain 44 – Naturalistes en lutte – des occupant.e.s de la ZAD)

Au club de boxe antifa et solidaire de Marseille

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La Plaine. Ses bistrots, ses graffitis, ses petits dealers… et son club de boxe populaire. Dans ce gymnase du centre-ville de Marseille, transsexuels, migrants, femmes voilées et jeunes de quartiers boxent ensemble en dépit des différences. Fondé sur des principes anticapitalistes et antifascistes, le club prône une mixité permettant de combattre les idées d’extrême droite : « Ici, on apprend à se connaître au travers de l’effort fourni et non des préjugés », explique Hazem, l’un des fondateurs du club.

Créé il y a trois ans par des militants antifascistes et des habitants du quartier, le club a depuis vu défiler des profils en tout genre. « Tu peux croiser de tout : des homos, des trans, des jeunes de quartier, des vieux, des enfants, des migrants, des étudiants, des chômeurs, précise Hazem. Les gens préfèrent venir ici car ils se sentent à l’aise. La plupart de nos adhérents sont des femmes. Certaines viennent voilées. Et contrairement aux idées reçues, c’est l’un des rares club où tu vois aussi peu de violence ».

A l’instar d’autres structures sportives, la boxe populaire remplit une fonction sociale incontournable dans le centre-ville. Pour autant, rares sont les clubs où la volonté de se mélanger est aussi poussée. Un succès qui pousse la majorité de ses adhérents à considérer le lieu comme un « club de quartier » plutôt qu’un « club d’antifas ».

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Kenneth Rexroth, l’anarchiste érotico-mystique

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On oublie parfois ce que fut l’Amérique littéraire et révolutionnaire durant la première moitié du XXe siècle : un lieu d’effervescence idéaliste, un creuset de culture libertaire où s’inventait la modernité. À Chicago, dans les années 1920, on aurait ainsi pu croiser un drôle de gaillard érudit, à la voix râpeuse et traînante, aux lectures incongrues, qui avait connu Alexandre Berkman, Emma Goldman et Eugène Debs (soit la fine fleur de l’anarchisme et du syndicalisme), qui fréquentait les clubs de jazz aussi bien que le milieu interlope des gangsters et des prostituées, apprenait le yoga tantrique, fondait un groupe dadaïste et s’apprêtait à partir en cargo vers l’Europe. Une dizaine d’années plus tard, c’est à San Francisco qu’on le retrouve, animant un cercle anarchiste, écrivant de la poésie érotique, rédigeant des essais sur le communalisme utopique entre deux traductions de haïkus japonais, tout en organisant les lectures où s’imposeraient bientôt les voix de la génération beat. Il n’aima ni la guerre ni les dogmes et prétendit moins changer le monde que l’apprivoiser — curieux incurable, optimiste tragique, individualiste solidaire, cet oxymore vivant méritait bien un portrait.

Par Adeline Baldacchino

Qui aurait pu croire que, derrière les poèmes d’amour de Marichiko (« Ta langue vibre et remue / En moi et je m’évide / Et m’embrase d’une / Lumière tournoyante, comme l’intérieur / D’une immense perle en expansion ») se cachait en fait la plume d’un anarchiste de 73 ans ? Qui aurait parié que ce drôle de moustachu grognon, passionné de poésie japonaise, avait fini par se prendre pour une jeune fille japonaise aux fantasmes crus et doux ? Le même avait donné des dizaines de conférences sur la littérature classique ou les expériences communalistes moyenâgeuses et américaines, devant un parterre d’étudiants hirsutes et fascinés de la faculté de Santa Barbara, tout en fustigeant les universitaires. Le même avait passé, quelques décennies plus tôt, des mois dans un monastère new-yorkais, vivant d’eau fraîche et de mysticisme et l’admettant tranquillement : « I am just a natural-born monk ». Lui, « moine de nature » ? Un curé très païen peut-être, ravi par la ferveur des longs silences et des forêts d’automne. Le même, encore, avait partagé la table du peintre Fernand Léger, dans le Montparnasse des années 1920 où il découvrait que les héros de son adolescence littéraire avaient tous « une petite odeur de corruption » : l’esprit de caste des intellectuels prétendument révolutionnaires l’effraya tant qu’il reprit le bateau une semaine plus tard…

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