[l’idéologie dominante est celle de la classe dominante]Homosexualité des bobos, homophobie des prolos ?

Par Gaël Klement 

Sous un intitulé volontairement provocateur, cet article a pour objectif de déconstruire une série de préjugés tenaces, y compris dans les milieux militants, en mettant en évidence les véritables liens entre l’homosexualité, l’homophobie et les classes sociales. Il s’agit ici de démontrer que ces liens sont très étroits et que, sur le terrain de l’homophobie comme ailleurs, la question des rapports de classe est déterminante à plusieurs niveaux. Si nous revenons sur l’articulation entre oppression, luttes et classes, c’est ainsi pour faire émerger et mettre en débat un certain nombre de conclusions relatives à notre projet politique, notre intervention, et pour interroger le rôle des militants révolutionnaires, et plus largement de notre « camp social », dans le combat contre l’oppression des homosexuel-le-s1

En 1996, l’auteur britannique de théâtre Jonathan Harvey a expliqué, à l’occasion de l’adaptation à l’écran de sa pièce Beautiful Thing, qui relate l’amour naissant de deux adolescents dans une cité populaire : « Les seules images que j’ai eues des homosexuels quand j’étais enfant étaient celles de ces garçons qui vont dans des écoles privées, qui portent des vestes de cricket et qui font de la barque sur la rivière, ou de ces garçons de la classe ouvrière qui se font mettre à la porte et finissent par se vendre ».2

la suite sur le site du NPA

MAIS LAISSEZ-MOI CRIER! – Répertoire des antiféministes

J’ai une grande gueule et un cerveau. Ajoutés à un féminisme intransigeant, ça fait de moi quelque chose comme l’ennemie publique numéro un.

 

Que je crie ou que je chuchote, du bout de mes doigts où aidée de mes cordes vocales, il y a toujours un homme – et souvent un « féministe » – pour tenter de me réduire au silence.

Je ne suis pas ici pour éduquer les hommes. Je ne suis pas là pour retracer l’histoire de l’oppression des femmes, pour mémoriser et vulgariser toutes les études sur le sujet, pour tirer des coups de statistiques ou pour revenir, toujours, au féminisme 101. Il y a des programmes en études féministes, des ouvrages de référence, des blogues et des alliés pour cela. Je ne parle pas pour éduquer. Et, la plupart du temps, je ne parle même pas pour convaincre. Je parle et j’écris pour informer, et surtout pour exprimer ma colère.

 

Ma colère est légitime, puissante, douloureuse, rouge, froide, explosive et ciblée. Aujourd’hui, c’est encore sur le coup de la colère que je te dis : ARRÊTE! Arrête de tenter de me réduire au silence.

 

D’abord, ça ne marchera JAMAIS. Chaque micro-agression sexiste m’enrage davantage. Chaque attaque antiféministe me radicalise. Chaque tentative de me museler renforce ma détermination.

LA SUITE SUR DE COLÈRE ET D’ESPOIR

PRINTFEST 2014 du 11 au 14 septembre au 6B

ATELIERS IMPRIMERIE FANZINES GRAVURE LINO SÉRIGRAPHIE FEMINISME PLAISIR

PRINTFEST C’EST QUOI ? >>>>

4 jours de création collective, d’échanges de savoirs, de rencontres et d’ateliers autour des objets imprimés à la main, photocopiés, reproduits, reliés, assemblés…

4 jours autour et avec des fanzines, des micro-éditions, des auto-productions de textes, d’images, de livres, de brochures poétiques et politiques…

4 jours pour s’approprier et s’autoriser, déployer nos capacités à diffuser nos désirs, nos plaisirs, nos luttes, nos idées et visions…

4 jours pour pratiquer, apprendre, découvrir des techniques de gravure sur lino, de sérigraphie, de reliure, de tampographie, de fanzinat, de pochoir, pour regarder des films, débattre, se connaître…

PRINTFEST, c’est l’occasion de pratiquer, explorer, découvrir, apprendre et réaliser des objets imaginés façonnés soi-même : fanzines, affiches, flyers, posters, livres, carnets, etc…

OÙ ? Au 6B, 6-10 Quai de Seine à Saint-Denis (93). Dans la salle d’expo au 1er étage

QUAND ? Du Jeudi 11 au dimanche 14 Septembre 2014, de 10h à 19h.

CONTACT ?    >>>     printfest@riseup.net

COMMENT ?  Le printfest est un événement DIY (Do It Yourself), ca veut dire qu’on crée un cadre pour faire et apprendre ensemble les un.e.s des autr.e.s, avec du matériel mis en commun à disposition de tout.e.s. Il n’y a pas de programme prédéfini, c’est ensemble qu’on décidera du déroulement des ateliers, du fonctionnement, etc… C’est un événement auto-géré, on le construit ensemble et auto-financé : une participation libre est demandée pour financer le matériel acheté et rembourser les frais engagés, chacun.e participe à la hauteur de ses moyens.

FÉMINISTE ?  Dans l’équipe du PRINTFEST on souhaite créer un espace où les minorités sexuelles, raciales, sociales et les meufs en général aussi n’auraient pas à subir les comportements oppressifs qu’on voit un peu partout se reproduire. Ça veut dire qu’on veille à notre vocabulaire, à nos façons de s’exprimer, qu’on cherche à ne pas reproduire de dominations sexistes, hétéronormatives, racistes, etc… Notre démarche s’inscrit dans un espace non-marchand. L’idée au coeur de PRINTFEST est aussi de donner à nos communautés (gouines, trans’, pédés, intersexes, bi-es, copines et copains qui en ont marre du patriarcat, queers, freaks, gender blenders, folles, butchs, personnes dont l’expression de genre est non-binaire, travailleur-euses du sexe, etc…) l’occasion de se réapproprier des moyens d’expression, de fabrication et de diffusion de nos cultures, nos luttes, nos questionnements, nos images, nos textes, nos vies, etc.
L‘événement soit ouvert à tou.te.s, tout en proposant aux participant.e.s d’être conscient.e.s et attentives à nos attitudes, comportements, propos…

printfest fly

PRINTFESTaffiche

CHECK theprintfest.noblogs.org

Féminisme, racisme et harcèlement de rue

J’ai reçu récemment un commentaire en réaction à mon article-témoignage sur le harcèlement de rue. J’ai hésité longtemps et finalement décidé de ne pas le publier car il va à l’encontre de mes critères de modération. Je le considère en effet comme raciste, mais ce racisme n’est pas évident pour tout le monde, donc je considère utile de m’expliquer sur ce sujet ici.

Le commentaire en question:

Je trouve incroyable que, par lâcheté intellectuelle, on ne mentionne pas l’origine culturelle des harceleurs en question. La jeune Belge qui a fait le fameux film en caméra cachée dont on a beaucoup parlé sur Internet a avoué du bout des lèvres que la très grande majorité d’entre eux étaient d’origine maghrébine. Ce phénomène n’existe pas en Pologne, en Russie, au Canada (trois pays dans lesquels j’ai vécu et où on peut se promener à moitié nue sans être insultée). Mais il est très présent en France, notamment dans certains quartiers… qui rappellent les images que l’on peut voir des foules masculines huant les femmes au Caire, à Alger ou à Tunis… Que ce dernier argument soit repris ad nauseam par des franges de l’extrême droite est une chose, l’occulter complètement comme vous le faites en est une autre…

 

On est donc en présence d’un phénomène social que beaucoup refusent d’analyser à sa juste mesure, et qui usent de circonvolutions pour ne pas nommer une réalité qui les dérange. Aussi parce que cela remet en cause leur doxa de bourgeois libertaires, adeptes tout à la fois de la « diversité culturelle », de la « libération sexuelle » et de « la déconstruction », sans réaliser que ces trois notions sont en contradiction les unes avec les autres.

La diversité culturelle, tant portée aux fonts baptismaux ces dernières décennies, c’est justement cela: des gens issus d’horizons culturels variés, qui n’ont pas nécessairement la même vision des rapports hommes-femmes, qui considèrent que l’espace public n’est pas un endroit pour les femmes, que l’homosexualité est un crime… Voilà ce que pensent la plupart des gens qui peuplent cette planète. Voilà le monde.

Vous ne pouvez pas, d’un côté, plaider pour la diversité et le multiculturalisme, et, de l’autre, vouloir que les individus issus de cultures non-européennes adhèrent spontanément à vos modes de vie de bourgeois occidentaux. On ne peut pas ériger nos valeurs de caste en loi de l’univers. Car nous sommes peu de choses: nous sommes avant tout déterminées par notre classe sociale, notre tribu, notre sexe, notre position au sein des rapports de production.

Donc par pitié les Bisounours, prenez conscience du tragique d’ici-bas. Il n’y a pas de douce harmonie entre gentils-bobos-ouverts-d’esprit-tous-unis-malgré-leurs-différences. Non. Il n’y a qu’une lutte incessante entre des groupes antagonistes aux intérêts (et aux valeurs, mais c’est la même chose) contradictoires, et qui s’affrontent perpétuellement, dans un rapport conflictuel incessant. Les harceleurs de rue vous en donnent un petit aperçu. Pour cela au moins, remerciez-les de vous rendre moins naïves.

Je ne mentionne pas « l’origine culturelle » des hommes qui m’ont harcelée ou agressée parce qu’il n’y a pas d’ »origine » systématique. La personne qui commente (une femme) sous-entend clairement, et l’explicite ensuite, qu’il s’agit d’hommes arabes ou noirs, « issus de l’immigration » comme on dit. J’ai été harcelée par des hommes blancs, des arabes, des noirs. Pas de systématicité, donc.

« Ce phénomène n’existe pas en Pologne, en Russie, au Canada (trois pays dans lesquels j’ai vécu et où on peut se promener à moitié nue sans être insultée). » Ah? Vraiment? Le projet Hollaback, qui vise à lutter contre le harcèlement de rue, existe en version polonaisebelge, dans trois villes canadiennes, et dans 26 pays en tout. Mais peut-être que le harcèlement de rue dérange plus certaines personnes quand il vient de non-Blancs.

« La diversité culturelle, tant portée aux fonts baptismaux ces dernières décennies, c’est justement cela: des gens issus d’horizons culturels variés, qui n’ont pas nécessairement la même vision des rapports hommes-femmes, qui considèrent que l’espace public n’est pas un endroit pour les femmes, que l’homosexualité est un crime… » Ce type d’arguments vise à faire de la misogynie et de l’homophobie une affaire de « culture » – entendre: d’autres cultures, et de défaut de civilisation. On respecte et protège NOS femmes, nous. Idem pour l’homonationalisme, qui repose sur l’idée que l’homophobie est chez nous une affaire du passé et est reservée aux étrangers, aux Arabes, aux Africains. Comme le dit cet article:

L’homonationalisme, impérialisme gay ou encore pinkwashing, est un phénomène aux facettes multiples, et c’est un des exemples de la domination blanche occidentale sur le reste du monde. C’est une forme de nationalisme qui prend appui sur l’accès des homosexuels à quelques droits et à une plus grande visibilité dans les pays du Nord, pour prouver une supériorité civilisationnelle de ces pays.

C’est ainsi que des pays impérialistes comme les Etats-Unis ou la France peuvent se présenter comme plus « progressistes », quand bien même ils mèneraient des guerres impérialistes dans des pays du Sud, et quand bien même le racisme (et même l’homophobie…) gangrènent leurs sociétés. Bref, c’est toujours « moins pire » que-là bas DONC on n’a pas à questionner leur impérialisme, puisque les « progressistes », c’est eux.

« Donc par pitié les Bisounours, prenez conscience du tragique d’ici-bas. Il n’y a pas de douce harmonie entre gentils-bobos-ouverts-d’esprit-tous-unis-malgré-leurs-différences. Non. Il n’y a qu’une lutte incessante entre des groupes antagonistes aux intérêts (et aux valeurs, mais c’est la même chose) contradictoires, et qui s’affrontent perpétuellement, dans un rapport conflictuel incessant. Les harceleurs de rue vous en donnent un petit aperçu. » Le harcèlement de rue serait donc affaire de choc des civilisations, « nous » contre « eux ». Encore une fois, le harcèlement de rue est loin d’être l’apanage des non-Blancs. C’est une manifestation parmi d’autres, et une des plus visibles, de la domination masculine, qui est elle aussi bien portante dans notre société, merci pour elle.

Beaucoup de personnes soulignent la convergence très problématique qui s’opère parfois entre arguments féministes et arguments d’extrême-droite racistes et xénophobes. Je conseille à ce sujet la lecture de Les féministes blanches et l’empireque j’ai déjà évoqué sur ce blog. Judith Butler l’évoque dans Le pouvoir des mots au détour d’une analyse de la violence verbale dans la musique rap. Elle montre que les discours conservateurs qui rendent le « gangsta rap » responsable de l’humiliation des femmes empêche de réfléchir de manière plus approfondie à « l’appartenance raciale, la pauvreté et la révolte », mais aussi que « la violence sexuelle contre les femmes est comprise au travers de tropes raciaux: la dignité des femmes est censée être menacée non par l’affaiblissement des droits reproductifs ni par la diminuation générale de l’aide publique [elle parle du contexte américain mais cela s’applique aussi à la France], mais d’abord et avant tout par des chanteurs afro-américains » (p. 45).

De même, les arguments féministes tendent à être utilisés par l’extrême-droite raciste et xénophobe pour, d’une part, nier la permanence du sexisme au sein de la société française et, d’autre part, attribuer ses reliquats à la présence de populations « étrangères » qui seraient culturellement enclines à la misogynie. Ce détournement est inacceptable et doit pousser à réfléchir sérieusement à la manière dont le féminisme présente ces questions.

AC Husson

Références citées:

« L’homonationalisme: une définition simple », sur le blog Chronik de nègres invertis.
Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée, Les féministes blanches et l’empire, La Fabrique, 2012).
Judith Butler, Le pouvoir des mots. Discours de haine et politique du performatif, Editions Amsterdam, [1997] 2004.

LU SUR CA FAIT GENRE 

Social et féminisme : Savez vous ce qu’est un contrôle domiciliaire CAF et connaissez vous le concept de « vie maritale »?


IMPORTANT : Pour les allocataires CAF et pour les personnes intéressées par le sujet de près ou de loin, reportez vous à la fin de l’article qui offre de nombreux liens truffés de conseils concrets pour vous préparer, vous défendre et résister.

Note : N’hésitez pas à ouvrir les liens en allant, car pro de l’internet que je suis, ils s’ouvriront dans un autre onglet, hé ouais!

Aujourd’hui, je viens vous parler Caisses des Allocations Familiales (voir lien pour page wiki), droits sociaux et féminisme. J’ai pu constater, en discutant sur le net ou dans la vie, qu’énormément de gens ne connaissaient pas ces choses là, tout simplement car elles n’y avaient jamais eu recours. (et c’est tant mieux)
Ainsi, pour être le plus claire possible, voici un petit rappel de ce qu’est la CAF et des prestations qu’elle distribue.

LA SUITE SUR MÉLANGE INSTABLE

Sexisme hipster ou le privilège de la distance

VICE_CoverL’autre jour, ma mère me demandait ce qu’est un hipster. Les définitions peuvent certainement varier, mais je lui ai répondu à peu près ceci : un hipster est une personne qui s’approprie certains éléments (souvent rétros) associés à la culture prolétaire, à des fins esthétiques, mais toujours avec une pointe d’ironie.

Certaines personnes mal avisées pourraient croire que les femmes hipsters n’ont pas de goût avec leurs leggings taille haute, leurs tricots des années 80 et leurs grosses lunettes. Leurs contreparties masculines pourraient passer pour des pas de classe avec leur pilosité faciale abondante, leurs chemises à carreaux et… leurs grosses lunettes. Qu’on les trouve mal habillés, les hipsters s’en tapent, car ils ne cherchent pas l’assentiment du commun des mortels : entre eux, ils savent qu’il y a un second degré et ça leur suffit amplement. Les hipsters ont horreur du mainstream, de là leur fascination pour la scène musicale indépendante et celle du café «troisième vague». Je ne jurerais de rien, mais je soupçonne les vrais hipsters de souffrir en secret quand ils passent devant unStarbucks et qu’ils apperçoivent un pseudo-hipster qui s’expose dans la vitrine derrière son macbook air.

N’est pas hipster qui veut : pour être capable d’une telle ironie face à la culture de la classe ouvrière, il faut avoir une bonne distance par rapport à celle-ci. C’est pourquoi les hipsters sont très souvent des gens issus de milieux privilégiés et instruits. En affectionnant entre guillemets certains objets aimés sincèrement par les vrais prolétaires, ils réaffirment leur position de pouvoir par rapport aux classes sociales inférieures.

Quand on a vécu dans le prolétariat, le vrai, on peut difficilement se payer le luxe d’apprécier au second degré un objet venant de cette culture. C’est pourquoi ma mère déteste mon sofa turquoise des années 60 en vinyle : durant son adolescence, elle l’a vu trop souvent dans les maisons de ses copines. À cette époque-là, les ouvriers commençaient à avoir un plus grand pouvoir d’achat et étaient attirés par le neuf, le chromé, la cuirette et le coloré. Pour ma mère, ce sofa évoque la petitesse des espoirs consuméristes du milieu modeste dont elle est issue. Elle n’a donc pas le privilège de la distance dont je bénéficie et qui me permet aujourd’hui d’apprécier les meubles cliquants de sa jeunesse.

Tout cela m’amène à parler du sexisme hipster, car ceci est un blogue féministe, après tout. Alissa Quart a été la première à utiliser cette appellation (inspirée du terme «racisme hipster») dans le New York magazine. Elle décrit le sexisme hipster comme «l’objectification de la femme en ayant recours à la moquerie, aux guillemets et au paradoxe». Contrairement au sexisme classique, le sexisme hipster est teinté d’ironie et s’adresse à un public averti. Le sexisme hipster est un shampoing nommé Dumb blonde[1], ou encore, le slogan d’un bar de danseuses végétalien (oui, ça existe!) de la ville de Portland qui dit : «Meat on the poles, not on the plates»[2].

Comme les hipsters se flattent entre eux de pouvoir reconnaître un second degré dans leurs choix esthétiques, les publicitaires qui font dans le sexisme hipster flattent leur public cible en établissant un lien de connivence avec lui. Comme le souligne Anita Sarkeesian dans une vidéo de Feminist Frequency, ces derniers savent que nous savons qu’ils savent que c’est du sexisme… (Cliquer sur ”CC” pour sélectionner les sous-titres en français)

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=PD0Faha2gow

L’été dernier, la chanson Blurred lines a fait beaucoup jaser. Dans le vidéoclip, trois jeunes femmes ne portant qu’un string couleur peau défilent et se dandinent autour du chanteur Robin Thicke et de ses deux accolytes, T.I et Pharell. Les trois hommes qui, inutile de le préciser, ont gardé leurs vêtements, se la jouent cool et ne se privent pas pour tâter et reluquer les dames. Selon Diane Martel, la réalisatrice, le sexisme du clip est ironique, car ce sont les personnages féminins qui sont réellement en contrôle. Pour sa part, Thicke admet que les femmes sont rabaissées, tout en suggérant que le clip est une parodie : «Nous avons essayé de faire tout ce qui est tabou (…) Tout ce qui est complètement dégradant pour les femmes. Comme nous sommes tous les trois d’heureux époux et pères de famille, nous nous sommes dit que nous étions les gars parfaits pour nous moquer de ça». En d’autres mots, comme ils ne sont plus de jeunes célibataires libidineux, ils auraient la distance nécessaire pour que leur sexisme passe dans la catégorie acceptable du second degré.

Tout comme le hipster, le sexisme hipster est conscient de lui-même. On osera moins le dénoncer, puisqu’on suppose qu’il a déjà fait son autocritique. Pour cela, certaines personnes lui pardonneront d’aller plus loin dans son exagération. American Apparel pourrait être considérée comme une compagnie “éthique” à bien des égards. Elle ne sous-traite pas sa production à l’étranger, ses employés gagnent des salaires décents, elle utilise du coton biologique pour plusieurs de ses vêtements et son propriétaire milite pour les droits des travailleurs nés à l’étranger. Pourtant, dans ses publicités, la compagnie atteint des degrés inégalés de sexisme en présentant les femmes comme des objets sexuels disponibles à la consommation. Le tout, dans une esthétique un peu rétro qui pourrait rappeler la porno des années 70. Du sexisme avec un clin d’oeil, quoi.

PETA, un organisme qui milite pour les droits des animaux, utilise depuis longtemps le corps féminin pour faire passer son message. L’an dernier, l’association a créé cette publicité très controversée dans laquelle on voit une jeune femme qui, au petit matin, retourne péniblement à la maison après être allée chercher des légumes pour son copain nouvellement végétalien et, par le fait même, nouvellement bête de sexe. Elle porte un collet cervical. Tandis que, de dos au spectateur, elle monte les marches de l’escalier avec difficulté, la caméra capte un rayon de soleil entre ses cuisses. On remarque alors qu’elle n’a que ses sous-vêtements sous son manteau. Quand elle rentre chez elle, le mec qui lui a infligé ses blessures est en train de plâtrer un trou dans le mur créé par la «vigueur» de leurs ébats. «Est-ce que ça va mieux?» lui demande-t-il gentiment.

http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=m0vQOnHW0Kc

Lisa Lange, la vice-présidente de PETA a défendu la misogynie de cette campagne publicitaire qui joue avec la violence faite aux femmes en évoquant l’ironie. «C’est du second degré» dit-elle. «Les gens qui regardent la publicité jusqu’à la fin voient que la femme a un sourire malicieux. Elle est heureuse de retourner avec lui. C’est ludique.» Comment les dirigeants de compagnies ou d’organismes qui se disent socialement responsables peuvent-ils célébrer le sexisme avec autant de candeur? S’imaginent-ils que nous vivons dans une société post-sexiste? Dans un monde où la violence envers les femmes n’est plus sexualisée? Éthique à géométrie variable…

Le sexisme hipster nous rebat les oreilles avec la même chanson que le sexisme classique. Que ses paroles soient plus sophistiquées, qu’il s’adresse à un public plus averti, ou qu’on le drape d’ironie pour le protéger de la critique n’y change rien. Contrairement au hipster qui, de sa position privilégiée, se place au dessus de la culture prolétaire, notre société n’est pas au dessus du sexisme. Au contraire, elle est en plein dedans. Tant que les femmes seront représentées comme des objets pour attirer les consommateurs ; tant qu’elles auront besoin de se dénuder pour obtenir une fraction de l’attention dont les hommes bénéficient en gardant leurs vêtements, il n’y aura pas de sexisme au deuxième degré, mais du sexisme, point. Face au sexisme, nous n’avons malheureusement pas le privilège de la distance.


  1. Blonde idiote
  2. La viande sur les pôles, pas sur les assiettes

lu sur http://feminada.wordpress.com/

QUAND LES FEMMES AVAIENT NETTEMENT PLUS BESOIN DE SEXE QUE LES HOMMES

Et comment le stéréotype s’est inversé. Traduction d’un article publié par la sociologue américaine Alyssa Goldstein sur le site Alternet.org.

quand les femmes avaient nettement plus besoin de sexe que les hommes (ref. photo (c) sapphic erotica)

quand les femmes avaient nettement plus besoin de sexe que les hommes (ref. photo (c) sapphic erotica)

J’inaugure aujourd’hui la catégorie traduction. Il y a concernant les histoires de couple, de sexe et de genre, une réelle richesse à aller voir ce qui se dit en dehors de notre cocon culturel francophone et néanmoins un peu autiste.

Je vous traduis donc cet article remarquable, publié le 19 mars 2013 sous le titre original When Women Wanted Sex Much More Than Men – And how the stereotype flipped, et qui me parle énormément puisque j’aime bien tout ce qui bouscule les idées reçues et remet un peu les pendules à l’heure en matière de sexe et de stéréotypes sexuels.

Partie I : l’ère des salopes

Au début du XVIIe siècle, un homme du nom de James Mattlock fut expulsé de sa paroisse à Boston. Son crime ? Il n’avait ni blasphémé ni souri le jour du Seigneur, ni enfreint d’autres interdits qu’on associe généralement à la morale puritaine. Non, le crime de James Mattlock avait été de se refuser à sa femme pendant deux ans. Même s’il est possible que les coreligionnaires de Mattlock aient considéré sa propre abstinence comme critiquable, il est probable que ce soit plutôt la souffrance de sa femme qui les ait convaincus d’ostraciser le mari. Les puritains étaient persuadés que le désir sexuel était une composante normale et naturelle de la vie, autant pour les hommes que pour les femmes (pourvu qu’il s’exprime dans le cadre d’un mariage hétérosexuel), mais aussi qu’en la matière les femmes avaient davantage de désirs et de besoins que les hommes. On pensait qu’un homme pouvait s’abstenir sans grande peine, mais qu’il était bien plus difficile pour une femme d’être privée de sexe.

Pourtant de nos jours, l’idée que les hommes s’intéressent au sexe davantage que les femmes est tellement répandue qu’on n’y prête même plus attention. Qu’on invoque les hormones ou la « nature humaine », il semble évident que les hommes ont beaucoup besoin de faire l’amour, de se masturber ou de regarder des films érotiques, et évident aussi que c’est nettement moins nécessaire pour les femmes (et si une femme ressent de tels besoins, c’est sûrement qu’il y a quelque chose qui cloche chez elle). Les femmes, il faut les courtiser, les persuader, voire les forcer à « se laisser faire » parce que la perspective du sexe ne les attire pas plus que ça — selon le stéréotype en vigueur. Pour les femmes, l’acte sexuel serait cette chose moyennement plaisante mais néanmoins nécessaire afin de gagner une approbation, s’assurer d’un soutien, ou préserver son couple. Et puisque les femmes ne sont pas — au contraire des hommes– esclaves de leurs désirs, elles sont responsables et doivent s’assurer que personne ne puisse « profiter d’elles ».

L’idée que les hommes sont naturellement plus portés sur la chose est tellement incorporée dans notre culture qu’on a du mal à imaginer que des gens aient pu croire le contraire par le passé. Et pourtant, durant l’essentiel de l’Histoire occidentale, de la Grèce antique jusqu’au début du XIXe siècle, on supposait que c’était les femmes les obsédées de sexe et les adeptes de porno de leur époque. Dans la mythologie grecque, Zeus et Héra se disputent pour savoir qui des hommes ou des femmes ont le plus de plaisir au lit. Ils demandent à Tirésias, qu’Héra avait un temps transformé en femme, d’arbitrer la question. Il répond : « si l’on divise le plaisir sexuel en dix parties, une seule échoirait à l’homme, et les neuf autres à la femme. » Plus tard, les femmes furent assimilées à des tentatrices à qui Ève avait légué son âme traîtresse. Leur passion sexuelle était vue comme le signe de leur infériorité morale et intellectuelle, laquelle justifiait un contrôle sévère par les maris et les pères. C’était donc aux hommes, moins enflammés de luxure et plus maîtres de leurs passions, qu’il convenait naturellement d’occuper les rôles de pouvoir et d’influence.

Au début du XXe siècle, le médecin et psychologue Havelock Ellis semble avoir été le premier à documenter le changement idéologique en cours. Dans son ouvrage de 1903 intitulé « Etudes de psychologie sexuelle », il dresse une longue liste de sources historiques antiques et modernes, de l’Europe à la Grèce, du Moyen-Orient à la Chine, quasi toutes unanimes pour dire que le désir féminin était le plus fort. Au début du XVIIe siècle, par exemple, Francesco Plazzoni concluait que la perspective de l’accouchement serait dissuasive pour les femmes si le plaisir qu’elles tiraient de l’acte sexuel n’était pas nettement supérieur à celui des hommes. Ellis note que Montaigne considérait les femmes comme « incomparablement plus sûres et plus ardentes en amour que les hommes, et elles en savent toujours bien davantage que ce que peuvent leur enseigner les hommes car ‘C’est une discipline qui naist dans leurs veines’. » L’idée que les femmes sont insensibles à la passion sexuelle était encore marginale à l’époque d’Ellis. Son contemporain le gynécologue autrichien Enoch Heinrich Kisch allait jusqu’à affirmer que « la pulsion sexuelle est si forte chez les femmes qu’à certaines période de la vie, sa force primitive domine entièrement leur nature. »

Mais le changement était clairement en route. En 1891, H. Fehling tenta de déboulonner la sagesse populaire : « c’est une idée totalement fausse que de prétendre qu’une jeune femme éprouve pour le sexe opposé un désir aussi fort qu’un jeune homme… Quand l’amour chez une jeune fille s’accompagne de manifestations sexuelles, il faut considérer le cas comme pathologique. » En 1896, Bernhard Windscheid postulait : « Chez la femme normale, particulièrement dans les classes sociales supérieures, l’instinct sexuel est acquis et non pas inné ; c’est quand il semble inné ou bien qu’il se manifeste spontanément que c’est anormal. Ne connaissant pas cet instinct avant le mariage, les femmes n’éprouvent pas de manque puisque la vie ne leur offre aucune occasion de l’acquérir. »

L’article est en trois parties. Pour continuer la lecture, c’est ici :

lu sur lesfessesdelacremiere.wordpress.com

La festivalE féministe Moeurs Attaque contre-attaque

Les festivités commencent le 24 mars pour la deuxième édition de la festivalE féministe Moeurs Attaque : du 24 mars au 12 avril 2014 à l’Université Paris 8 Saint-Denis

La collective féministe de Paris 8 organise la deuxième édition de la festivalE féministe Moeurs Attaque : trois semaines de festivités du 24 mars au 12 avril, d’ateliers mixtes et non-mixtes pour certains.

Le programme détaillé est disponible sur le site, la page facebook et à la fin de cet article !

De l’auto-défense au bricolage en passant par la danse, par des installations artistiques participatives, des temps de discussion sur le masculinisme, le harcèlement sexuel, le langage sexiste et bien d’autres thèmes, nous interrogerons les pratiques féministes et les problématiques liées au sexisme, aux violences, aux rapports de pouvoir, au capitalisme etc, qui traversent nos vies.

Nous accueillerons également des artistes comme Lady K, la graffeuse FedUp, des associations (CLASHES et Collectif anti-masculinisme IDF).

Grâce au cinéclub féministe et militant de P8, il y aura également des projections une fois par semaine pendant toute la festivalE.

À très vite pour un mois plein de belles surprises et de festivités militantes,

La collective féministe,

contact : marsattaquep8@gmail.com
http://facebook.com/moeursattaque
http://collectivefeministe.over-blog.com/

N’hésitez à nous écrire selon votre curiosité !

PDF - 6.3 Mo
Le programme complet

 

Selon « Majorité Opprimée », le féminisme sauverait la France de l’Islam

Majorite_opprimee

Le sexisme et l’homophobie imprègne la culture moderne comme une « marée noire », selon les propres mots d’Éléonore Pourriat, réalisatrice du court-métrage Majorité opprimée, qui est rapidement devenu viral sur internet. Ce film de 11mn envisage la vie telle qu’elle serait pour les hommes si les rôles de genre avaient été inverses.

L’analogie fonctionne très bien, et tout y est parfaitement identifiable. Le film suit Pierre – un Français de classe moyenne – traité avec condescendance, harcelé sexuellement et rabaissé à maintes reprises par des femmes. Cependant, le film se veut tellement familier qu’il en devient potentiellement assez cliché. Sur ce seul principe, il y aurait eu peu de chance que ce petit film devienne si viral et qu’il soit encensé et qualifié de « Swiftien ». Pas sans le cœur émotionnel du film. L’essence du film, ce qui a fait qu’il a vraiment valu le coup d’œil, ce sont ses préjugés de classe, le racisme qui l’imprègne et – assez ironiquement – la misogynie palpable qu’il charrie. Voilà le véritable contenu de la « marée noire » dont parle Pourriat.

Le premier rebond narratif de ce court-métrage consiste en un échange entre Pierre et un « nounou voilé » – ce dernier portant une cagoule clairement mise en scène pour signifier un hijab. Pierre, le Blanc de classe moyenne, s’emploie à le sauver de sa condition : « Est-ce que vous n’êtes pas en train de vous laissez enfermer ? D’abord, vous avez rasé votre moustache, maintenant on voit même plus vos rouflaquettes… Je suis désolé de vous le dire, Nissar, vous ressemblez à un enfant […] Vous n’appartenez à personne. »

L’acteur jouant le rôle de l’homme musulman exprime une idiotie certaine, une déférence notable et une attitude de soumission. Il sourit poliment, de manière anxieuse et grimaçante : « Mais c’est la loi et puis Dieu, il me protège comme ça… » Il constitue ce que la droite dure islamophobe dit des femmes musulmanes : des personnes infantilisées, sans capacité d’agir, et qui ont besoin d’être sauvées. Dans la logique de ce petit film, c’est là la preuve de la stupidité soumise de l’homme musulman ; et non celle de la condescendance raciale de son supposé sauveur. Pierre ajoute : « Vous êtes un homme », mais ce qu’il entend vraisemblablement c’est « Vous êtes un enfant ». C’est ainsi que ce film traduit littéralement la misogynie islamophobe.

Cependant, l’essentiel du film, son moment le plus horriblement instructif, se joue dans la scène où Pierre est agressé sexuellement par un gang de rue. L’une de ses membres est appelée « Samia » et il me semble clair qu’il s’agit là d’un coup de coude de la cinéaste pour nous signifier qu’il nous faut envisager ce gang comme un groupe de « Nord-Africaines ». Ces jeunes femmes sont représentées dans tout ce qui constitue les jeunes sauvageons, du ricanement à la hargne en passant par la pisse sur les murs : c’est bien la violente racaille [en français dans le texte] à laquelle se référait Sarkozy pendant les « émeutes de banlieue ».

Elles éructent des remarques sexuellement agressives à son encontre. Il tente, avec le calme et l’autorité de sa classe, de les faire battre en retraite. Mais elles manquent vraisemblablement de discipline : elles ne réagissent pas du tout bien à ses reproches plein de dignité. Bien au contraire, elles lui mettent un couteau sous la gorge, l’agresse sexuellement et l’humilie : « Je suis sûre que t’as une petite bite ».

Ce qui s’ensuit est tout aussi révélateur que l’agression elle-même. Pierre fait un signalement auprès des services de police, mais la réponse de l’officière de police – qui suppose que Pierre a tout inventé – le bouleverse d’autant plus. Épuisé physiquement et émotionnellement chamboulé, il est rejoint par son épouse qui est passée le chercher. La compassion dont elle fait preuve est presque de pure forme, et se voit immédiatement interrompu par le récit qu’elle lui fait de ces brillants accomplissements au travail. Elle lui reproche ensuite la manière sans pudeur dont il s’est accoutré, désignant ainsi son short et ses tongs, et lui signale que s’il choisit de s’habiller ainsi, « t’étonne pas qu’on vienne t’emmerder alors. » Dans sa frustration, Pierre demande : « Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Que je me mette une cagoule ? »

À quoi assistons-nous ici ? Le choix d’envisager la question des agressions sexuelles en termes de gangs de rue nous laisse entendre que la plupart de celles qui harcèlent et agressent Pierre – comme cette femme sans abri qui lui beugle dessus – sont de classe sociale inférieure. Dans la vraie vie, la grande majorité des agressions sexuelles, y compris les plus graves, sont l’œuvre du conjoint, de l’ex-conjoint, d’un membre de la famille ou d’une autre personne de l’entourage de la victime.

Au Royaume-Uni, environ 10% des agressions sexuelles graves sont l’œuvre de personnes étrangères à la victime. Il n’est dès lors pas exagéré de penser qu’en France la proportion d’agressions sexuelles impliquant des bandes de jeunes arabes doit être faible.

Pourtant, le film a choisi de tenir sur un scénario au sein duquel un « bon » Français est agressé, ignoré par la police qui laisse ainsi la racaille s’en sortir. L’épouse, ne soutenant pas son mari, lui fait craindre la pire des choses possible : une cagoule musulmane d’abruti. C’est là l’argument décisif pour ce qui est de ce film : la France civilisée risque d’être islamisée si elle n’embrasse pas le très curieux féminisme misogyne prôné par le film de Pourriat.

Et c’est pourquoi il est devenu si viral.

 

Richard Seymour

Traduit de l’anglais par Stella Magliani-Belkacem avec l’aimable autorisation de l’auteur.

lu sur http://indigenes-republique.fr/

Les cultures enclines au viol et les cultures sans viol. Les études interculturelles

Partie 1 : les études interculturelles

Partie 2 : le cas de la culture occidentale

Partie 3 : Alcool, fêtes & viol – les fraternités étudiantes aux États-Unis

Je vais commencer une petite série sur les cultures enclines au viol. Je débuterai par le résumé des études d’anthropologie, notamment celles qu’a menées Peggy Reeves Sanday, et qui l’ont conduit à penser qu’il existait des cultures sans viol et des cultures enclines au viol.

Femmes Minangkabau

L’anthropologue Peggy Reeves Sanday a étudié plusieurs sociétés préindustrielles afin d’établir leur vision du viol, mais aussi de la sexualité et des rapports entre les hommes et les femmes.

En 1982, elle a ainsi publié une première étude interculturelle où elle comparait 156 sociétés du monde entier1. Elle les a classées en trois catégories :

  • Culture sans viol : le viol est rare, voire absent (47% des sociétés étudiées)
  • Culture où le viol est présent, mais où il manque de données sur sa fréquence (35% des sociétés étudiées).
  • Culture encline au viol (18% des sociétés étudiées): culture où le viol est fréquent ; ou est utilisé comme un acte de cérémonie ; ou bien comme un acte pour punir ou menacer les femmes.

Dans une étude de 19932 portant sur 35 sociétés préindustrielles, Patricia Rozée a trouvé des chiffres bien différents. Elle nota la présence de viols dans toutes les sociétés étudiées et considéra ainsi qu’il n’existait pas de cultures sans viol. Cependant, Sanday ne prétendait pas que dans les cultures sans viols, le viol n’existait pas du tout, mais qu’il était socialement désapprouvé.

Rozée trouva des viols normatifs dans environ 97% de ces cultures (soit 34 cultures sur 35), et des viols non normatifs dans 63% d’entre elles. Ce que Rozée appelle « viols normatifs » sont des rapports sexuels non consentis, mais qui ne sont pas punis, car n’allant pas à l’encontre des normes culturelles établies. Elle classa ces viols normatifs  en six catégories : viol marital, viol d’échange (quand un homme « prête » sa femme à d’autres homme par geste de solidarité ou de conciliation), viol punitif, viol de guerre, viol cérémonial (rituel de défloration, test de virginité…) et enfin viol lié au statut (par exemple : viol d’une esclave par sin maître). Une septième catégories de viols normatifs peut être rajouté : le viol lors d’un rendez-vous amoureux3. A l’inverse, les viols non normatifs s’opposent aux normes sociales et sont donc punis. Ainsi le viol peut prendre de multiples forces, en fonction du contexte sociétal.

Parmi toutes les sociétés étudiées par Rozée, il y en avait donc une qui ne semblait pas offrir de structure sociale permettant de violer les femmes en toute impunité. On peut donc supposer que cette culture est une culture sans viol, selon la définition qu’en donne Sanday. Par ailleurs, les données de Rozée, tout comme celles de Sanday, montrent que la prévalence du viol varie significativement en fonction de l’organisation sociétale.

Reprenant les concepts de Sanday, je vais à présent vous décrire le profil des cultures enclines au viol et des cultures sans viol.

Les cultures enclines au viol

Une société prônant le viol présente plusieurs caractéristiques :

  • Le viol des femmes est largement autorisé, ou du moins, sa gravité est banalisée1. Des structures sociales permettent de le normaliser4
  • Le groupe des hommes est perçu comme opposé à celui des femmes. L’entrée dans l’âge adulte est marquée par des rituels violents, qui incluent parfois le viol de femmes1.
  • L’épouse d’un homme est perçue comme sa propriété1,4. Ainsi, quand une femme est violée, c’est le mari qui est dédommagé.
  • Domination masculine1,4
  • Séparation des sexes1
  • Violence interpersonnelle1,4
  • Inégalité économique4

Sanday, dans son étude interculturelle de 19821 décrit, de manière assez détaillée le viol et la sexualité dans plusieurs de ces sociétés. Je vous les résume ci-dessous :

Une sexualité violente

Femmes Gusii

Chez les Gusii, une société du sud du Kenya décrite en 1959, le taux de viol, estimé à partir de dossiers judiciaires, monte à 47,2 pour 100 000 personnes, par an. C’est un taux extrêmement élevé, et qui, de plus, sans doute sous-estimé. Les rapports sexuels hétérosexuels normaux sont décrits chez les Gusii comme un acte pendant lequel l’homme brave la résistance de la femme, et lui fait mal.Quand une jeune épouse ne peut plus marcher le lendemain de la nuit de noce, du fait de la douleur provoquée par l’acte sexuel, son mari est félicité par ses amis et est alors considèré comme « un vrai homme ». Il peut se vanter de ses exploits, notamment s’il a réussi à faire pleurer son épouse. Si l’époux n’a pas réussi à faire mal à sa femme, il est raillé par les femmes plus âgées, qui lui disent qu’il n’est pas viril et qu’il a un petit pénis. Ainsi, chez les Gusii, même un rapport sexuel légitime et consentant est considéré comme un acte agressif et douloureux pour la femme, impliquant un comportement contraignant et humiliant.

Disponibilité des femmes

Dans les îles Marshall (Pacifique), on dit que « chaque femme est comme un passage », c’est-à-dire que l’on considère que les hommes ont le droit d’avoir des rapports sexuels avec n’importe quelle femme.

Le viol comme menace et punition

Dans certaines sociétés enclines au viol, la menace de viol sert à contrôler les femmes. Ainsi, dans les forêts tropicales d’Amérique du

Portrait de deux amérindiens Mundurucu, par le peintre Hercules Florence.

Sud ou dans la Chaîne Centrale en Nouvelle Guinée, il est assez fréquent que la menace de viol soit utilisée comme un moyen de garder les femmes éloignées des maisons des hommes ou de les empêcher de voir les objets sacrés. Dans une société bien connue des anthropologues, les Mundurucu (Brésil), une légende raconte qu’autrefois les femmes dominaient les hommes, et les agressaient sexuellement. Les hommes leur étaient soumis, et effectuaient le travail des femmes, et les femmes ceux des hommes, à l’exception de la chasse. A cette époque, les femmes contrôlaient les maisons des hommes, et les « trompettes sacrées », qui contiennent les esprits des ancêtres. Or ces esprits demandaient régulièrement une offrande rituelle de viande, que les femmes ne pouvaient pas leur fournir, car elles ne chassaient pas. La légende raconte que les hommes ont alors pu voler ces trompettes et ainsi établir la domination masculine. Les Mundurucu gardent ces trompettes dans les maisons des hommes et interdisent aux femmes de les voir, sous peine de subir des viols collectifs. Ces punitions seraient prétendument nécessaires, afin d’empêcher les femmes de reprendre le pouvoir qu’elles avaient par leur passé. Dans cette société, le viol sert aussi à punir les femmes « dévergondées ».

Chez certains Amérindiens chasseurs de bisons, il n’était pas rare que le viol serve à punir une femme adultère. Chez les Cheyenne des grandes plaines, le mari outragé invitait tous les hommes célibataires à violer son épouse.

Le viol en temps de guerre

Une autre forme de viol est le viol en temps de guerre. Les Yanomamo, vivant dans les forêts d’Amérique du Sud ont pour tradition de brutaliser et de violer collectivement les femmes ennemies qui ont été capturées et qu’ils prennent comme épouses. Le manque de femmes, du aux infanticides des bébés de sexe féminin, est  par ailleurs la principale cause de guerre dans cette société.

Les cultures sans viol

Les cultures que Sanday appelle « cultures sans viol » sont des cultures où le viol est rare. Le viol n’y est pas totalement absent, mais il est socialement très désapprouvé et il est puni sévèrement.

La société iroquoise est matrilinéaire

Chez les Touaregs du Sahara, quand une femme dit non à un homme, celui-ci n’insiste pas et ne va pas se montrer jaloux d’un camaradeplus chanceux. Les Pygmées Mbuti de la forêt Ituri, les Jivaro d’Amérique du Sud ou encore les Nkundo Mungo d’Afrique, sont également des cultures où le viol semble quasi-inconnu1. Beaucoup de sociétés matrilinéaires sont des cultures sans viol5. Ainsi, la plus grande société matrilinéaire du monde, celles des Minangkabau d’Indonésie, est une culture sans viol6. C’est aussi le cas des Iroquois5.

Dans ces cultures, les femmes n’ont pas peur du viol quand elles sortent seules. L’anthropologue Maria-Barbara Watson-Franke raconte que, quand elle avoua à une guide Guajiro (Amérique du Sud)  qu’elle avait peur de se promener la nuit dans le désert, cette dernière lui dit qu’elle ressentait la même chose. Mais lorsqu’elle lui narra comment un homme l’avait une fois attaquée en Europe, la femme Guajiro la regarda étonnée : « Tu as peur des gens ? Oh non, il n’y a pas de quoi. Moi je pensai aux serpents ! » 5.

En réalité, les interactions entre hommes et femmes sont très différentes chez les cultures enclines au viol et les cultures sans viol. Dans les cultures sans viol, les femmes sont traitées avec beaucoup de respect, et les rôles reproducteurs et producteurs des femmes sont prestigieux1. Bien qu’il puisse y avoir une certaine division sexuelle dans les rôles et les privilèges, les deux sexes y sont considérés comme équitablement importants1. Les hommes de ces cultures reconnaissent l’autonomie et l’autorité des femmes5. Chez les Minangkabau, les hommes se comportant de manière trop virils sont peu désirables socialement, et ne sont pas considérées comme des bons partis pour le mariage6.

Fille zuni

Une grande importance est accordée aux rôles des femmes, notamment dans la continuité sociale1. Cette continuité sociale assurée par les femmes s’exprime, dans les sociétés matrilinéaires, par le fait que la mère nomme son enfant – lui assurant un statut de membre du groupe – et pourvoit à ses besoins5. Ainsi, chez les Minangkabau, la transmission de l’héritage s’effectue du côté maternel : les enfants n’héritent pas des terres et des biens de leur père6. Cette vision est opposée à celle, occidentale, selon laquelle la continuité sociale est assurée par un père autoritaire.  Cette importance de la contribution maternelle n’entraîne cependant pas une essentialisation de la maternité, telle qu’elle existe en Occident5. Dans ces sociétés, les mères jouent un rôle important dans la sociabilisation des enfants des deux sexes, et on ne considère pas, que les hommes devraient rompre le lien privilégié qu’ils entretiennent avec leur mère5. Ainsi, chez la culture Zuni (Nouveau-Mexique et Arizona), atteindre l’âge adulte signifie réorganiser les liens mère-enfant, et non pas les rejeter5. A l’inverse, en Occident, on considère qu’un garçon devient un homme en se séparant de sa mère et en créant des liens avec d’autres hommes. Cela peut passer par l’humiliation et la violence des femmes5.

Un des facteurs qui puissent expliquer que les sociétés matrilinéaires soient souvent des cultures sans viol est le fait que les hommes y jouent deux rôles bien distincts dans la continuité sociale : celui de père et celui d’oncle maternel5. Les pères doivent subvenir aux besoins de leurs enfants, et doivent s’en occuper, mais n’ont aucun contrôle sur eux. Chez les Minangkabau, les pères jouent ainsi un rôle très important dans la vie de leurs enfants ; la relation père-enfant est avant tout émotionnelle6. A l’inverse, ce sont les oncles maternels qui exercent l’autorité sur les enfants. Ainsi, les enfants d’une société matrilinéaire ont fréquemment un père, affectueux, et un oncle, autoritaire. La sexualité masculine et l’autorité sont donc dissociées en deux personnes, le père d’une part, l’oncle d’autre part. L’enfant apprend que l’homme qui est le partenaire sexuel de sa mère ne représente pas l’autorité. Ainsi, l’interaction hétérosexuelle n’est pas associée avec la dominance, comme en Occident5.

Chez les Mosuo, la violence interpersonnelle est rare.

La violence interpersonnelle est par très ailleurs faible dans les cultures sans viol1 . Chez les Mosuo de Chine ou chez les habitantsde Bougainville, non seulement le viol est très peu fréquent, mais le meurtre est lui aussi très rare5.

Enfin, chez ces cultures, l’environnement naturel est souvent regardé avec révérence, jamais exploité1.

Les pygmées Mbuti représentent typiquement une culture sans viol1. Ils respectent fortement la forêt, l’appelant « mère », « père », « amoureuse », « amie ». Les relations entre les sexes sont similaires à celles qu’ils entretiennent avec leur environnement : pacifiques. La division du travail est peu marquée, les femmes participant souvent à la chasse. Il n’est pas honteux pour un  homme de ramasser des champignons et des noix, ou de laver un bébé. Les femmes participent autant que les hommes aux prises de décision. Par ailleurs, il n’y a pas chez les pygmées Mbuti de volonté de dominer les autres et l’environnement.

Femme Mbuti

Conclusion

De ces études anthropologiques, on peut en déduire que le viol ne ferait pas partie de la « nature masculine », mais serait plutôt une conséquence sociétale. Les hommes ne seraient pas des « prédateurs sexuels » par nature.

Sanday apporte une hypothèse sur les causes qui font qu’une culture évolue vers une tolérance au viol, ou non1. Elle suggère que dans de nombreuses sociétés, les femmes sont associées à la fertilité, et les hommes à la destruction. En temps normal, la fertilité et la destruction sont appréciées pareillement, mais en période de disette, la destruction et la guerre sont perçues comme les valeurs suprêmes. Le rôle social des hommes acquiert alors un peu plus grand prestige, et le viol leur permet de rappeler leur supériorité1.

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Références

1. Sanday PR. The Socio‐Cultural Context of Rape: A Cross‐Cultural Study. Journal of Social Issues. 1981;37(4):5‑27.

2. Rozée P. Forbidden or Forgiven? Psychology of Women Quarterly. 1993;17(4):499–514.

3. Koss MP, Goodman L, Fitzgerald L, et alNo Safe Haven: Male Violence Against Women at Home, at Work, and in the Community. American Psychological Association; 1994.

4. McKenzie M, Rozee P. Rape : A Global Perpective. In: Feminism and Women’s Rights Worldwide.; 2009.

5. Watson-Franke M-B. A world in which women move freely without fear of men: An anthropological perspective on rape. Women’s Studies International Forum. 2002;25(6):599‑606.

6. Sanday PR. Rape-free versus rape-prone: How culture makes a difference. In: Evolution, gender, and rape.; 2003.

lu sur http://antisexisme.net/